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Piero Usberti #AuPoste

Voyage à Gaza: la balade de Piero Usberti

«Les Palestiniens n’oublient rien. Le plus précieux, c’est leur mémoire» dit Piero Usberti au début de son documentaire. Nous sommes en 2018, Piero a 25 ans, il filme, seul (une caméra, deux micros, et démerde toi), Gaza au présent.

Au gré de ses rencontres avec les jeunes Gazaouis se dessine l’Histoire de la Palestine, de la Nakba aux grandes marches du retour, tandis que se dévoile le Gaza d’avant le 7 octobre 2023. Celui que les bonnes âmes voudraient croire calmes. Mais, non: c’est un état de siège permanent, c’est la pauvreté, le manque d’eau, c’est l’instrumentalisation du terrorisme, le poids des traditions, et de la religion, le Hamas réac, une frontière infranchissable depuis laquelle Israël largue des missiles et gaze les cultures. Et la mer, les couchés de soleil imprenables, la chaleur d’un peuple fier, qui aime rire des coupures d’électricité, et relativise les horreurs.

Avec la Plateforme des ONG Françaises pour la Palestine, Au Poste est partenaire de Voyage à Gaza, en salles le 6 novembre.

«Une première fenêtre lumineuse sur ce monde jusqu’à présent caractérisée pour moi par de la noirceur et des images cauchemardesques de la dernière guerre à l’époque, celle de 2014.» C’est ainsi que Piero Usberti décrit l’effet sur lui du récit de son père, professeur à l’université de Sienne, lorsque celui-ci revient de Gaza en 2018, pour y organiser un programme d’échange universitaire. Un récit qui résonne si fort chez le jeune réalisateur qu’il fait naître une urgence : partir, lui aussi. Son père lui présente celle qui sera le sésame d’Usberti pour entrer à Gaza : Meri Calvelli, une italienne ayant travaillé en Palestine pendant 32 ans dans la coopération internationale. 


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Faire un film seul

Usberti aime parler, même à l’âge où il ne savait pas comment, il voulait déjà parler. Sa voix nous accompagne tout au long du film, incarnant une dimension littéraire et théâtrale à laquelle le réalisateur tient «je voulais une voix avec ce ton-là, avec cette rapidité-là qui ne laisse pas de souffle et qui dit tout ce qu’elle a à dire, soutenu par ces tambours.»

Au-delà de l’amour du langage, le besoin de parler d’Usberti répond au dispositif-même de ce film. Conscient des difficultés qu’il aurait de rassembler une équipe et une production, l’impératif de partir a finalement laissé place à la plus grande des contraintes et des libertés à la fois : partir seul.

Il le confie, partir seul, sur ce lieu de guerre, lui a d’abord fait peur. Aujourd’hui, il qualifie ce voyage et ce tournage, les deux étant inextricablement liés, de «moment merveilleux», «très beau, fort, intense, très joyeux.» Il réalise en arrivant que ce réel «spontané et riche, vivant devant mes yeux», ces rencontres avec ceux qui sont devenus ses amie.es, sont justement permises par le fait d’être seul.

C’est un film que j’ai porté très longtemps seul dans ma chambre avec mon ordinateur, qui a traversé des longs allers retours entre crise d’inspiration et courage (…) J’avais besoin d’être seul avec la matière pour comprendre où est ce que j’allais.

Piero Usberti 

Qui a tué Yasser Mortaja ?

Le film commence par cette question, lors des funérailles de Yasser Mortaja, photographe d’Al-Jazeera de 27 ans, tué dans les manifestations de la Marche du Retour. Connu et apprécié par les habitant.es, il est l’un des premiers photographes de Gaza à avoir acheté un petit drone pour prendre des photos. «Dans cet acte, je voyais quelque chose de révolutionnaire, un acte de résistance. Dans le sens où c’était ce qui permettait aux Gazaouis de conquérir une perspective aérienne sur leur terre et donc de prendre cet espace qui jusqu’à présent était celui des drones israéliens monitorant la bande de Gaza» explique Usberti.

Le réalisateur, d’un air presque démuni, poursuit «je ne sais pas pourquoi le film commence sur ça. C’est de l’ordre de l’intuition.» Le regard de 2024 sur Voyage à Gaza ne peut qu’être troublé par la mort d’un homme pour avoir utilisé un drone inoffensif, alors que des drones militaires sont déployés depuis un an contre les Gazaouis.

Cette manière de faire de l’humour, en appelant les drones « zanana », ce qui signifie « gros moustique », cette dialectique entre le drone inoffensif mais très fort dans la résistance, et l’existence de ces drones israéliens à l’époque invisibles, mais constamment audibles dans un bourdonnement constant, racontait beaucoup de choses d’emblée.

Piero Usberti

Pour Usberti, le fait de partir de cette question «qui a tué Yasser Mortaja ?» nous ramène à ce fait : un assassinat. Quelqu’un a été assassiné, quelqu’un avec un nom et un visage, quelqu’un, et non pas un chiffre ou un anonyme.

Qu’est-ce qu’une frontière ?

Usberti rappelle que la frontière a été imposée de manière unilatérale par Israël : «en 1947, quand l’ONU a décidé de la bipartition de la Palestine et Israël, les Palestiniens ne l’ont pas acceptée, ça leur a été imposé.»

«On l’appelle frontière, mais ce n’est pas une frontière, c’est le mur d’une prison» lâche Usberti. Sur ce tout petit territoire de 360km2, se dressent d’un côté, le barbelé, le mur, de l’autre, la mer. «Cette mer qui est très belle» se souvient Usberti, avant d’ajouter «et on ne le voit pas, mais très peu de kilomètres plus loin, il y a les navires de combat de l’armée israélienne qui enferment aussi la mer. Et en haut il y a les drones. Donc tout est fermé. Chaque rêve de chaque Palestinien de Gaza va constamment se confronter à cette frontière qui est partout.»

La mémoire comme façon d’être en vie

«À Gaza, tout le monde sait très bien d’où il vient» nous dit le réalisateur, qui explique que 70 % des habitants descendent des réfugiés de 1948.

Cette mémoire de ce qu’a été 1948 est peut-être la chose la plus précieuse que les Palestiniens ont, et qu’on essaie de leur enlever.

Piero Usberti

Avec la mémoire, d’une génération à l’autre, se transmet aussi un espoir : «un jour, on pourra vivre dans un État libre où on aura les mêmes droits que les autres». «Tout est politique à Gaza» nous dit Usberti. Cette façon palestinienne de résister «par comment on est, comment on vit, de ne jamais baisser la tête» porte un nom : le « sumud ». Pour Usberti, cette résistance «fait beaucoup plus peur à l’occupation israélienne, parce qu’elle n’est pas attaquable.»

Toutes les personnes qui ne partent pas du nord de Gaza, alors qu’elles sont clairement sous menace terroriste de la part de l’État israélien, préfèrent mourir dans leur idéal. Il n’y a rien de plus invincible que ça. 

Piero Usberti

La poésie pour résister

Dans le film, une fenêtre, une musique, La lettre à Elise. «Ce petit motif revenait très souvent dans le paysage sonore de Gaza. C’était poignant, un peu déchirant» décrit Usberti. Lors de son séjour, il découvre «ce petit refrain pour dire “on arrive”» provenant des camions distribuant l’eau dans les immeubles. Pour le réalisateur, cette mélodie qui l’a accompagné pendant ses longues années de montage, «c’était devenu Gaza.»

Si la politique est partout à Gaza, Usberti préfère parler de Voyage à Gaza comme d’un «portrait et une rencontre.» Pour Usberti, penser l’esthétisme du film, montrer la beauté, amener ces sons et ces images si lointaines de l’imaginaire commun autour de Gaza permet «de faire exister une rencontre entre le spectateur et cette terre qui ne soit pas filtrée par des considérations politiques», de toucher un public moins politisé qui ira le voir «pour sa dimension poétique, cinématographique.»

Cinq questions clés

Qu’est-ce qui a motivé Piero Usberti à réaliser Voyage à Gaza ?

Usberti a été inspiré par l’expérience de son père, qui a travaillé en coopération avec des universités palestiniennes et lui a transmis son attachement à la cause palestinienne. Le récit de celui-ci au retour d’un voyage à Gaza en 2018, et la rencontre d’Usberti avec Meri Calvelli font naître en lui l’urgence de partir vite, et seul.

Comment Usberti a t-il réalisé Voyage à Gaza ?

Usberti est parti seul à Gaza, sans équipe ni production, équipé d’une caméra et de deux micros. Filmant dès son jour d’arrivée, il réalise deux séjours, d’un mois, puis de deux mois. À son retour, il monte le film seul, pendant plusieurs années. 

Que représente la frontière pour les Gazaouis ?

Usberti rappelle que cette frontière a été imposée de manière unilatérale par Israël, et qu’il s’agit aujourd’hui plus d’une «prison» que d’une frontière. En effet, Gaza est bordée d’un côté par des barbelés et un mur, de l’autre par la mer, enfermée par des navires de combat israéliens, tandis que l’air est couvert par les drones.

Qui est Yasser Mortaja ?

Yasser Mortaja est un photographe d’Al-Jazeera, tué à 27 ans dans les manifestations de la Marche du Retour. Très connu à Gaza, il est l’un des premiers photographes de Gaza à avoir acheté un petit drone pour prendre des photos.

Qu’est-ce que le « sumud » ?

Usberti décrit le « sumud » comme une caractéristique du peuple Palestinien, une résilience s’exprimant «par comment on est, comment on vit, sans jamais baisser la tête.» Pour Usberti, cette résistance «fait beaucoup plus peur à l’occupation israélienne parce qu’elle n’est pas attaquable.»

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