Média 100% indépendant, en accès libre, sans publicité, financé par ses 1498 donatrices et donateurs ce mois-ci !

Je soutiens Au Poste
Yasmine Motarjemi Bernard Nicolas Marc Endeweld #AuPoste

Ce que l’empire de Nestlé nous cache: la parole d’une lanceuse d’alerte

Pour ce huitième numéro de la « Boîte noire », rencontre avec une lanceuse d’alerte sur le scandale Nestlé et un journaliste qui a travaillé avec elle. L’occasion de les interroger à la fois sur le fond du dossier (Yasmine Motarjemi a occupé pendant dix ans le poste éminemment stratégique de « directrice Monde de la sécurité des aliments » chez le géant suisse de l’agroalimentaire), mais également sur la manière dont un scandale sanitaire de ce type peut être révélé au grand public, et par le journalisme.

Puisque vous êtes ici...

Depuis 4 ans, #AuPoste défend les libertés publiques, la gauche critique, l’histoire vivante, les arts de la fugue et les voix qu’on bâillonne.

Depuis 4 ans, nous avons choisi de rendre accessible gratuitement toute notre production car nous croyons plus que jamais à l'information en circuit libre

Aujourd'hui, l’extrême droite est au pouvoir, les libertés sont sous attaque, la gauche est à rebâtir. Plus que jamais, une presse libre, fouilleuse et indocile est vitale.

Tout ça n’a pas de prix. Mais un coût.
Loyer, salaires, matos, transport: vos dons font tourner la machine.
Si vous en avez les moyens, merci d'opter pour un soutien mensuel.
Don à partir de 1€, annulable à tout moment.

Ancienne responsable de la sécurité alimentaire chez Nestlé, Yasmine Motarjemi a vécu de l’intérieur ce que peu de salariés osent raconter : l’aveuglement volontaire d’un géant de l’agroalimentaire face à ses propres dysfonctionnements. Harcelée, isolée, puis reconnue victime par la justice suisse après treize années de combat, elle a coécrit avec le journaliste Bernard Nicolas un livre-révélation. Ensemble, ils décryptent les rouages d’un système verrouillé, où l’éthique est sacrifiée au nom du profit, où les lanceurs d’alerte deviennent des cibles. Ce long entretien sonne comme une mise en garde : la sécurité alimentaire n’est pas un slogan, c’est un champ de bataille.

« Ce que Nestlé a fait, ce n’était pas de la négligence. C’était de la négligence délibérée. »

La voix est calme, mais chaque mot pèse. Yasmine Motarjemi ne s’emporte jamais. Elle expose, patiemment, méthodiquement, les étapes de sa descente aux enfers. Elle, qui pensait rejoindre une entreprise soucieuse de la santé publique, découvre peu à peu un système où la logique économique l’emporte systématiquement sur les impératifs sanitaires. « J’étais naïve. J’ai cru que nos objectifs étaient les mêmes. »

L’illusion d’une convergence entre santé publique et industrie

L’histoire commence pourtant sur une promesse. Scientifique senior à l’OMS, Motarjemi est approchée par Nestlé en 1998. En 2000, elle accepte. Le défi est immense : harmoniser la politique de sécurité alimentaire à l’échelle mondiale. « Au début, je croyais encore que mes valeurs étaient compatibles avec celles du groupe. » Une anecdote lui revient. Lors d’un entretien, un dirigeant lui demande comment elle compte concilier son idéal de santé publique avec les objectifs d’un business. « J’ai répondu que la sécurité alimentaire servait les deux. Je me trompais. »

« Nestlé n’a pas compris qu’elle n’est pas une entreprise comme les autres. » 
Yasmine Motarjemi

L’entreprise qui broie ceux qui alertent

Très vite, elle est confrontée à des cas concrets : produits pour bébés contaminés, absence de protocoles adaptés, incidents industriels minimisés. Elle rédige des alertes, des rapports, interpelle la hiérarchie. En vain. Pire : ses supérieurs l’isolent. Son poste est vidé de sa substance. Son équipe, démantelée. On ne lui confie plus rien. « Ils m’ont mise dans une pièce, sans ordinateur, sans téléphone. » Elle tient bon. Mais à quel prix ? Treize ans de harcèlement, de souffrance psychologique, de procédures. Jusqu’au jugement de 2023 : Nestlé est condamné.

« Ce n’est pas un accident, c’est une culture d’entreprise qui neutralise toute forme de contradiction. » 
Bernard Nicolas

L’enquête comme acte de justice

Bernard Nicolas, journaliste d’investigation, découvre le dossier en 2018. Loin des discours convenus sur la responsabilité sociétale des entreprises, il rencontre une femme debout, mais meurtrie. « Ce qui m’a frappé, c’est la rigueur de son raisonnement. Elle ne parle jamais pour elle seule. Elle parle pour tous. » Ensemble, ils décident de tout documenter. Le livre sera une somme, fondée sur les faits, les dates, les preuves pas un brûlot,une contre-enquête.

Double langage et culture du silence

À l’intérieur de Nestlé, la communication officielle évoque transparence, éthique, protection des lanceurs d’alerte. Mais dans les faits ? « Quand j’ai alerté, on m’a traitée comme une ennemie de l’intérieur. » Yasmine détaille les contradictions : campagnes internes de sensibilisation, chartes de bonne conduite et en parallèle, un management vertical, autoritaire, étouffant toute critique. « La vérité, c’est que personne ne voulait regarder les problèmes. »

Une solitude insoutenable, une parole essentielle

Ce qui traverse l’entretien, c’est la solitude. « À certains moments, je me suis demandée si je devenais folle », confie-t-elle. Sans appui médiatique, sans relais institutionnel, elle s’accroche. « Ce qui m’a sauvée, c’est ma conscience professionnelle. Et ma foi dans la vérité. » Le livre devient alors un espace de réhabilitation. Pas seulement d’un parcours individuel, mais d’une fonction essentielle dans l’entreprise : celle de protéger les consommateurs.

« Si une responsable sécurité ne peut plus alerter, alors à quoi bon ce poste ? » 
Yasmine Motarjemi

Un tchat révolté, admiratif et solidaire

Les réactions du tchat trahissent l’émotion. @JulienDubois s’indigne : « Ce n’est plus une entreprise, c’est une machine à broyer. » @Claire.S évoque sa propre expérience : « Moi aussi j’ai été poussée dehors pour avoir parlé. Merci Yasmine. » Ce soir-là, le tchat devient lui aussi un espace de réparation. Un endroit où d’autres langues se délient. Et où la parole de Yasmine agit comme un catalyseur.

Une affaire plus large que Nestlé

L’enjeu dépasse l’entreprise. Ce que Motarjemi et Nicolas révèlent, c’est une culture généralisée de l’impunité dans certaines grandes multinationales. « On préfère maquiller un problème que le résoudre. » Leur livre est un appel à l’action. À la vigilance,à une réforme de fond sur la place des lanceurs d’alerte. « Si j’ai parlé, conclut-elle, c’est pour que plus personne n’ait à vivre ce que j’ai vécu. »

__

Pourquoi Yasmine Motarjemi a-t-elle été harcelée par Nestlé ?

Parce qu’elle a dénoncé des pratiques contraires à la sécurité alimentaire. Son rôle de lanceuse d’alerte a été perçu comme une menace pour l’image et les intérêts du groupe.

Que dit la justice suisse sur le dossier Nestlé?

En 2023, elle reconnaît Nestlé coupable de harcèlement moral. Cette décision valide les alertes de Motarjemi et met fin à une longue bataille judiciaire.

Quel rôle joue Bernard Nicolas dans le récit Nestlé ?

Journaliste et coauteur du livre, il apporte un regard d’enquêteur indépendant. Il relie les éléments, donne un cadre aux accusations, et crédibilise un témoignage souvent ignoré.

Que révèle l’affaire Nestlé sur le monde de l’agroalimentaire ?

Qu’il existe une dissonance majeure entre les discours de responsabilité et la réalité interne des grandes firmes. Et que sans vigilance, les consommateurs en paient le prix.

__

Cet article est le fruit d’un travail humain, d’une retranscription automatique de l’émission par notre AuBotPoste revue et corrigée par Rolland Grosso et la rédaction.

Article précédent

«Ils partirent cinq cents...» Au Poste au cœur de la Marche citoyenne pour Gaza de Paris à Bruxelles

Article suivant

«Ce que j’ai vu, je dois le raconter»: parole d'Olivier Dubois, reporter captif d'Al-Qaïda au Sahel

×