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Ukraine/Russie: Para Bellum Numericum

La cyberguerre pour de vrai, avec Olivier Ertzscheid, Maître de Conférences Université La Roche/Yon et Nantes. Dans son blog, Olivier a parfaitement résumé les enjeux: « Il y a 10 ans, déclarer la guerre sur Twitter était une anomalie. Aujourd’hui, et avec la guerre aux portes de l’Europe en Ukraine, l’anomalie serait d’imaginer une guerre sans Twitter. » On prend le café avec lui, pour mieux comprendre ce que nous traversons. Les GAFA, l’Uberisation des conflits, GoogleMaps comme vecteur de guerre en direct. Venez nombreux, venez en paix — et déterminés.

La généralisation des technologies du numérique, à toutes les échelles de nos sociétés et nos existences, devait mécaniquement jouer un rôle majeur dans les guerres de notre siècle. Techniques de propagande, cyberattaques, renseignement, guerre de l’information et des images, auto-organisation et documentation de la guerre par les civils… autant d’usages qu’il s’agit d’observer pour comprendre les événements en cours.

Usages du numérique de guerre

Avec le numérique, et singulièrement les réseaux sociaux, les civils documentent eux-mêmes la guerre en cours, s’informent, et communiquent. En , la plateforme Telegram, en particulier le canal Ukraine NOW (1) auquel près d’un million d’ukrainiens sont abonnés, permet de s’informer en temps réel. Twitter, désormais incontournable en temps de guerre, est aussi bien utilisé par les gouvernements que par les citoyens. Les tweets du président Zelensky constituent une « ligne de vie », une incarnation du conflit, une preuve de vitalité du régime à laquelle les observateurs peuvent s’accrocher. La plateforme TikTok est aussi un relais important du quotidien des ukrainiens.

Les médias traditionnels et canaux officiels des gouvernements sont ainsi doublés, et les protagonistes du conflit doivent s’adapter à la facilité de circulation des informations. Sur Facebook, sur Wikipédia, les bots russes mènent des campagnes de désinformation. En parallèle, l’État russe mène une politique d’infrastructures numériques et de réseaux sociaux parallèles (Yandex, VK…) qu’il peut beaucoup plus facilement contrôler, si bien qu’on estime que seulement 5% des Russes parviennent à consulter des sources d’informations étrangères.

Pour passer sous les radars de la de l’envahisseur, les civils ukrainiens font preuve de créativité. Le retour à des vieilles technologies comme la radio à ondes courtes, très difficile à brouiller, ou encore l’utilisation détournée des avis (« google-bombing ») font partie des moyens mobilisés pour continuer à communiquer.

Détournement des usages

Le détournement de l’usage des outils numériques est bien entendu l’apanage des deux camps. L’armée russe aurait utilisé des services de travail à la tâche pour obtenir contre des sommes dérisoires du renseignement de cartes de sites stratégiques, ou encore de l’entraînement d’algorithmes de reconnaissance d’images. 

Les technologies et données en sources ouvertes telles que ce que Google propose via son service Maps (photos satellites, fréquentation en temps réel, trafic routier…) sont des données mobilisables pour le renseignement militaire, et de fait donnent une responsabilité éminente mais trouble aux dans la guerre numérique. Les personnages à la tête de ces plateformes (Mark Zuckerberg, Elon Musk, Jeff Bezos, Larry Page, Pavel Durov…) deviennent porteurs d’un lourd rôle à jouer dans les conflits en cours, malgré leurs aspirations à la neutralité répétées à qui veut l’entendre.

Les plateformes, via leurs règles de censure et d’avertissement sont éditorialisées. Elles ne sont pas seulement de simples canaux mais classent les infos, les censurent ou non, les accompagnent de messages d’avertissement. Lorsque l’Union Européenne a décidé la censure sur son territoire des chaînes du gouvernement russe RT et Spoutnik, elles ont appliqué la décision en moins de 24 heures.

Le code, c’est la loi. Tous les types qui déploient les outils technologiques actuels n’ont aucune formation juridique, philosophique, politique ; ce sont eux qui vont déterminer les valeurs des sociétés en construction, ils encodent leurs propres valeurs. Si l’on veut qu’elles contribuent à un espace démocratique, il faut qu’ils acquièrent cette culture.

Lawrence Lessig

La leçon à en tirer est que tout outil du numérique, toute technologie est à lire, au-delà de l’usage qui est vendu par son développeur en premier lieu, selon toutes les potentialités qu’il propose selon le contexte, selon les mains dans lesquelles il tombe. Le mode de production et de diffusion des informations, la gouvernance de ces outils devient un enjeu majeur. Face au modèle privé des GAFAM et au modèle public de la propagande d’État, Olivier Ertzscheid loue la réussite d’un projet tel que Wikipédia, non lucratif et dont l’architecture-même, les mécanismes d’édition et de correction font que les fake news y perdent très rapidement leur « pouvoir de toxicité ».

Le seul moyen de lutter efficacement contre les fake news, c’est de sortir du modèle marchand de la circulation des informations. La seule chose qui fait tourner le business des fake news, de la haine, c’est précisément la recherche de l’audience donc de l’argent.

Olivier Ertzscheid

(1) Le canal Telegram Ukraine NOW est devenu UNITED24 en octobre 2022 : https://u24.gov.ua/

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