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Félix Tréguer #AuPoste

Technopolice, ou la police totale

Un nouvel imaginaire politique est en cours, qui amplifie la violence d’Etat à travers une ville sous emprise autoritaire, et sans contrôle. Une gestion du désordre assistée par ordinateur où chaque policier deviendrait technologie, le règne des flics-machines.

Reporter, juriste, chercheur, sociologue, ethnologue, Tréguer nous embarque dans son enquête («Technopolice», éditions Divergences), du ministère de l’intérieur à la CNIL, de rendez-vous discrets chez les pontes de la surveillance par IA, aux rencontres avec l’industrie de la sécurité jusqu’à Denver, Colorado, ville mirage.

Prenez garde: on ne sort pas indemne de cette plongée dans le techno-solutionnisme.

Fin limier des pratiques du pouvoir dans le champ numérique, il explore dans son dernier ouvrage, Technopolice (Divergences) l’arsenal techno policier : drones, vidéosurveillance algorithmique, logiciels prédictifs, reconnaissance faciale.

«Je le prends pour l’un des meilleurs bouquins parus sur la police ces dernières années» déclare Dufresne en désignant le nouveau livre de Félix Tréguer. «C’est la première fois que je peux écrire en m’émancipant un peu de l’écrit universitaire classique, en assumant cette posture militante» confie ce dernier. 

À la genèse du livre, le projet Technopolice, coordonné par la Quadrature du Net. À la fin 2017, la Quadrature commence à documenter l’un des tout premiers projets, l’Observatoire Big Data de la tranquillité publique à Marseille. Le mot “technopolice” émerge alors au sein du collectif, pour qualifier «le processus de technologisation croissante de l’activité policière et en particulier des activités de surveillance.» Elle désigne la vidéo surveillance algorithmique (VSA, qui émet des alertes en analysant certains agencements de pixels sur des flux de vidéos de surveillance), les logiciels de police prédictive (notamment à l’échelle de quartiers où sont établis des «scores de risques»), et enfin, les drones.

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Un fait social total

«On espère de nous que nous jouions le jeu de critique constructive ou d’idiots utiles, c’est selon» lit Dufresne en citant Tréguer. Alors que certains essaient de poser l’antagonisme «d’une bonne et d’une mauvaise reconnaissance faciale», la Quadrature du Net choisit une posture de refus : «ces expériences sont dangereuses, on ne saura pas les encadrer efficacement, donc c’est niet.» 

Tréguer décrit la rhétorique des élites dirigeantes déclamant aux défenseurs des droits humains «vous vous offusquez de la surveillance d’Etat, mais vous livrez vos données en pâture aux GAFAM.» Cette mise en équivalence cherche à culpabiliser les citoyen.nes en masquant les abus de l’Etat.

Dans son livre, Tréguer utilise l’expression «fait social total» pour désigner les pratiques de la technopolice. Il cite la CAF, qui utilise un algorithme pour cibler les contrôles sur les allocataires les plus précaires.

Il y a toute une rationalité calculatoire d’optimisation, de ciblage, d’amélioration de l’efficacité de ces bureaucraties qui sont censés nous gouverner : c’est ce qu’on appelle le techno solutionnisme.

Félix Tréguer 

Selon Tréguer, cette rationalité circule bien en dehors des activités policières, et devient un «fait social total» lorsque cet aspect «proto-totalitaire» tend à nous faire sujet.

Aux origines de la technopolice

Avant le XIXe siècle, la police représente l’ensemble des activités gouvernementales, cherchant à s’imposer comme organe régulateur dans les communautés urbaines. «C’est une immixtion dans les questions de santé, dans les questions de l’ordre public, de circulation, d’aménagement de l’espace» développe Tréguer. D’ailleurs, Dufresne rappelle, dans un petit point sémantique, que les mots «police», «politique» et «cité» sont «complètement enchevêtrés» puisqu’ils partagent la même racine : “polis”.

Alors que notre périple dans le passé nous amène dans les années 60 aux Etats-Unis, «on voit plein de communes commencer à envisager le croisement de données, notamment socio-démographiques, sanitaires, sur l’absentéisme scolaire, pour aiguiller la prise en charge des pauvres et des communautés noires » explique Tréguer. D’après lui, ces programmes de politiques publiques édictés pour gérer des crises sociales très fortes (émeutes de Watts, campus anti-guerre du Vietnam) ressemblent à ce qu’on voit aujourd’hui.

Plus de technologie = gain d’efficacité ?

La technopolice s’est façonnée autour d’un mythe : l’idée que la science, la technologie allaient immanquablement conduire à un gain d’efficacité et une rationalisation de l’action policière. Pourtant, à chaque fois, le mythe n’a pas résisté à la réalité, qu’il s’agisse de la voiture, systématisée après la Seconde Guerre mondiale, ou du fichage, qui se répand dans les années 60. En revanche, observe Tréguer, ce recours croissant à la technologie «est concomitant de l’incarcération de masse.» Si c’est flagrant dans le contexte étasunien, on observe des tendances similaires en France. 

On est dans une période historique en France où c’est très clair : l’idée, c’est de faire tenir la société à coup de baguette, de bâtons, voire de LBD et d’armes létales.

Félix Tréguer

Le livre de Tréguer tord le cou à certaines idées : si l’on savait les caméras de surveillance inutiles pour lutter contre la délinquance, elles semblaient pouvoir se rendre efficaces dans le cadre d’enquêtes. Or, Tréguer nous le rappelle: la vidéosurveillance ne tient ce rôle que dans 1.13 à 3% des cas.

On devrait savoir combien de caméras se trouvent sur la voie publique, mais le chiffre n’existe pas. La CNIL ou la Cour des comptes rappellent régulièrement qu’il n’y a aucune étude qui permet de prouver un rapport coût-bénéfice pertinent de la vidéosurveillance, alors que c’est une politique publique qui représente des milliards voire des dizaines de milliards. 

Félix Tréguer

Le pire est à venir

11 septembre 2001. Au lendemain des attentats du World Trade Center émerge une mutation dans la pratique policière, avec l’idée «le pire peut arriver». Cette logique anticipatoire est aujourd’hui hégémonique en France.

Depuis 2001, c’est le retour en force de l’industrie techno-sécuritaire. C’est tout un tas d’appareils, de technologies, d’artefacts, de politiques publiques qui vont promouvoir cette technologie et une mentalité sécuritaire qui pullule depuis dans la société.

Félix Tréguer

Si l’on s’acharne à renforcer l’arsenal policier et techno-sécuritaire, «on n’entend jamais la question de quel type de société on crée» souligne Tréguer.

Ce n’est pas une crise sanitaire ou antiterroriste qui va légitimer d’augmenter les pouvoirs de la police. C’est l’impératif de l’innovation qui va justifier de suspendre les règles en matière de protection des données personnelles. Si on montrait un peu ce qu’est devenu l’état de la surveillance policière ou du capitalisme de surveillance numérique à nos pères et grands-pères, partie prenante des débats dans les années 70, ils hallucineraient.

Félix Tréguer

Une impunité organisée

Face au constat, se pose la question des contre-pouvoirs. À commencer par la CNIL, qui, mauvaise nouvelle «n’est pas notre alliée» rappelle Tréguer. «La CNIL a laissé proliférer ces dernières années les drones, la VSA, sans rien faire ou presque» nous apprend le chercheur. Plutôt qu’un lieu de défense des libertés publiques, la CNIL s’apparente plutôt à «une création juridique» pour les plus fervents défenseurs de la technopolice, servant à légitimer la fuite en avant vers la surveillance.

Le cadre expérimental de la VSA arrivera à échéance en mars. Pourtant, rappelle Tréguer, la VSA est déjà illégalement déployée partout en France par les polices municipales et, on l’a appris grâce à Disclose, par la police nationale, depuis des années. «Les pratiques se font toujours légaliser à posteriori» ajoute-t-il. 

Les drones, la VSA sont des dispositifs de surveillance extrêmement dangereux du point de vue des libertés publiques et ont été déployés à grande échelle dans l’illégalité totale (…) Et partout dans les exécutifs locaux, à la préfecture de police de Paris, jusqu’à Place Beauvau, il y a une impunité totale.

Félix Tréguer

Alors: que faire? Tréguer répond «j’espère qu’en racontant cette lutte depuis mon point de vue, mais une lutte éminemment collective, et en racontant un peu ce que ça a permis de faire, j’ai pu montrer quelques lignes de failles, de méthodologie : enquêter, faire des demandes CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) aller emmerder ses élus locaux…»

Alors que le taulier présente au tchat un graffiti “Siamo tutti antifascisti” à la fin du livre, l’entretien s’achève sur une note philosophique, célébrant la nécessité d’une réflexivité des luttes, qui ne doit jamais oublier ni la lucidité ni la joie.

Trois questions clés

Qu’est-ce que la VSA ?

La vidéo surveillance algorithmique est un outil utilisé par la police mêlant vidéosurveillance et intelligence artificielle. Elle émet des alertes en analysant certains agencement de pixels sur des flux de vidéos de surveillance.

Qu’est ce que l’on nomme nomme la “technopolice” ?

Selon Felix Tréguer, la technopolice désigne le «processus de technologisation croissante de l’activité policière et en particulier des activités de surveillance» Elle désigne la vidéo surveillance algorithmique, qui émet des alertes en analysant certains agencement de pixels sur des flux de vidéos de surveillance, les logiciels de police prédictive, notamment à l’échelle de quartiers où sont établis des scores de risques, et enfin, les drones.

Quel est le travail de la Quadrature du Net ?

La Quadrature du Net est une association de défense des libertés liées au numérique. Elle mène un travail de veille, de production et de mise en débat d’analyses, de plaidoyer politique et juridique, de sensibilisation et de formation.

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