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Le réalisateur de « La (Très) grande évasion »1 revient avec une nouvelle bande sous le coude, intitulée « Personne n’y comprend rien », et, pour une fois, c’est assis dans le célèbre canapé orange qu’il nous en parle. Le film sort ce mercredi 08 décembre, allez le voir au plus vite !
Treize ans d’enquête, cent-trois minutes de documentaire
Le film raconte l’enquête. C’est un procédé qu’on a décidé assez tôt, de ne pas raconter l’affaire strictement dans sa chronologie, mais de raconter l’histoire du point de vue de l’enquête, avec le rythme de l’enquête, et de recomposer le puzzle.
Yannick Kergoat
L’enquête, c’est donc d’abord celle de Médiapart, à travers ses journalistes Fabrice Arfi et Karl Laske, qui flairent en 2011, documents à l’appui, qu’une « équipe » du candidat UMP aurait été chercher de l’argent en Libye. On parle d’au moins 5 millions d’euros plutôt bien tracés, jusqu’à 50 millions selon les estimations. Mouammar Kadhafi, en mal de reconnaissance internationale, a saisi l’occasion de redorer son blason ; en témoigne sa visite d’État en très grandes pompes à l’Élysée, en décembre 2007… reçu par le tout fraîchement élu président Nicolas Sarkozy.
Là où l’affaire prend un tour encore plus terrible, c’est qu’entre aussi en jeu dans ce pacte secret l’amnistie d’un très proche de Kadhafi, Abdallah Senoussi, condamné pour l’attentat de l’UTA 772, avion français ayant explosé en vol au-dessus du Niger en 1999 avec 170 personnes à son bord, dont 54 ressortissants français. Comble du cynisme, les proches des victimes seront reçus par le président Sarkozy le dernier jour de la visite de Kadhafi, dont les liens avec le commanditaire de l’attentat étaient parfaitement connus.
Quatre ans plus tard, les excellentes relations d’alors entre les deux chefs d’État semblent irréelles tellement la situation a changé. Dans le sillage du Printemps Arabe, qui a déjà vu les présidents tunisien et égyptien chassés du pouvoir, une guerre civile se déclenche en Libye. L’ONU, avec Sarkozy « en pointe », vote une intervention militaire dans le but exprimé de protéger les populations civiles ; en octobre 2011, Kadhafi est chassé à son tour, puis battu à mort pendant sa fuite dans des circonstances obscures, impliquant le bombardement présumé de son convoi par l’armée française. Danièle Klein, sœur de l’une des victimes et engagée dans l’Association française des Victimes du Terrorisme, intervient dans le documentaire.
Cette guerre en elle-même est aussi un point d’interrogation. Alors, c’est peut-être le point aveugle du film. Et je pense qu’on peut l’expliquer comme ça : le film raconte des faits qui sont établis par l’enquête, vérifiés, d’intérêt public. Sur le déclenchement de la guerre, le rôle de Nicolas Sarkozy, ce qui l’a motivé à pousser ce conflit, et cette guerre avec les conséquences dramatiques qui s’en sont suivies jusqu’à aujourd’hui – un pays divisé, des factions, un arsenal qui est parti dans les mains des islamistes, etc ; je ne vais pas faire le bilan – on n’a que des hypothèses. On n’a pas de faits attestés. On a une commission d’enquête parlementaire anglaise, qui dit qu’il y avait manipulation d’opinion publique au début de la guerre ; on a des cibles militaires un peu étonnantes ; on a la mort de Kadhafi dont on ne s’explique pas vraiment, qui n’était pas du tout dans le mandat de l’ONU, voté par l’ONU. On a tout un tas de questions.
Yannick Kergoat
Le documentaire se concentre plutôt, donc, sur les épisodes qui s’en suivent, à partir du moment où l’enquête est reprise à son compte par la justice, au rythme des volte-faces de Ziad Takkiedine, intermédiaire de la transaction et personnage pivot de toute l’affaire, et des interventions médiatiques du clan Sarkozy, profitant à plein de la complaisance d’une sphère médiatique acquise à sa cause pour jouer sa partition.
Investigation et complaisance
« Personne n’y comprend rien », a dit Nicolas Sarkozy au Figaro Magazine en 2023, en évoquant cette affaire de financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007, une parmi d’autres qui lui colle aux basques. La phrase cynique est prise au pied de la lettre par Yannick Kergoat, qui, avec ce film, relève le défi lancé par l’ancien président.
C’est aussi, en quelque sorte, une réparation, la prise en charge d’un travail de vulgarisation et d’exposition des faits qu’on aurait pu attendre des médias traditionnels. On y aura beaucoup plus souvent vu et entendu le principal intéressé se défendre – souvenons-nous du « Quelle indignité ! » – que le fond de l’histoire, terrain où Mediapart se sera senti bien seul. Pour le média indépendant, c’est treize années d’enquête, plus de cent cinquante articles – et une somme de 1400 pages – rédigés par Fabrice Arfi et Karl Laske : une des enquêtes les plus importantes et emblématiques de son histoire.
La critique médiatique apparaît en filigrane tout au long du documentaire, signature de celui qui fut le président de l’association ACriMed (Action Critique Médias). La faveur du monde médiatique pour l’ex-président, dans le service public, dans les longues tribunes offertes par BFM et Paris Match notamment, y est brillamment illustrée.
Le dispositif filmique se veut sobre, créé avec l’envie d’ancrer dans le présent la narration du passé. C’est un écrin pour la parole d’Arfi et de Laske – le film est d’ailleurs une commande de Mediapart, après une première expérience réussie d’adaptation au grand écran de leurs enquêtes avec Media Crash – ainsi que des autres protagonistes du récit, dont les interventions dans le documentaire répondent aux archives vidéo des interventions médiatiques de Sarkozy et autres prévenus dans l’affaire – Guéant, Takieddine et consorts. L’investigation face à la complaisance.
Tant que c’était une affaire « Mediapart », on peut dire : « C’est Mediapart, les autres journalistes n’ont pas à marcher sur leurs plate-bandes, c’est eux qui ont les documents, c’est plus compliqué d’en traiter » ; mais une fois que ça a été une affaire judiciaire, qu’il y a eu des révélations, des déclarations, des mises en examen, etc, pourquoi c’est pas devenu une affaire médiatique un tout petit peu plus conséquente ? Pas une « une » de la presse magazine en France sur le sujet ? Est-ce qu’on imagine ça ?
Yannick Kergoat
À l’aspect factuel du film se superpose une lecture analytique des conséquences, du « coût et des enjeux démocratiques » de cette affaire hors normes. « Le sous-texte, c’est qu’on a un personnel politique qui est là depuis des années, qu’on retrouve à toutes ces étapes-là, un peu inoxydables. Qui, malgré les affaires, sont toujours là, redeviennent ministres », nous dit le réalisateur. Et, pour cause, se succèdent à l’écran Michel Barnier, François Fillon, Claude Guéant, et bien d’autres visages de la Ve République qui ont occupé – occupent en ce moment pour certains, des fonction vitales de nos institutions.
La démocratie, elle a besoin pour fonctionner, que ça plaise ou que ça déplaise, d’une justice qui soit forte, qui soit indépendante, et qui fasse respecter le droit, les grands principes républicains et qui protège les libertés des gens. […] Les attaques de certains politiques contre la justice, moi, je pense que ça discrédite la République et ça sape la confiance des citoyens dans l’institution, dans la démocratie. Je pense que c’est extrêmement grave, et ça l’est encore plus quand ça vient d’un président de la République, qui est censé de par la Constitution œuvrer pour garantir l’indépendance de la justice. Donc c’est bien lui qui devrait être le dernier à venir tenir ce genre de propos.
François Molins dans le film
1 Pour l’amour du fisc. Avec Yannick Kergoat, réalisateur de «La (Très) grande évasion» – Au Poste, 8 décembre 2022 – https://www.auposte.fr/pour-lamour-du-fisc-on-prend-le-cafe-avec-yannick-kergoat-real-de-la-tres-grande-evasion/
Cinq questions-clé
Nicolas Sarkozy, soupçonné d’avoir financé sa campagne présidentielle de 2007 avec de l’argent versé par le régime libyen, alors dirigé par le colonel Kadhafi. Il est jugé pour corruption, détournement de fonds publics, financement illégal de campagne électorale, association de malfaiteurs. Il est l’un des treize prévenus de ce procès.
L’affaire dite de « Karachi » concerne des contrats d’armement passés en 1994 par la France avec l’Arabie Saoudite d’un côté et le Pakistan de l’autre, qui ont occasionné des commissions et rétro-commissions impliquant des membres du cabinet et du gouvernement d’Édouard Balladur, alors Premier Ministre, dont Nicolas Sarkozy était le porte-parole ; Ziad Takkiedine a été reconnu comme intermédiaire de la transaction et condamné en 2021. Les commissions auraient pu servir à financer la campagne présidentielle de Balladur en 1995.
L’UTA 772 est un vol commercial opéré par la compagnie française Union de Transports Aériens, entre Brazzaville (République du Congo) et Paris, le 19 septembre 1989. Il explose en plein vol, au dessus du Niger, victime d’un attentat à la bombe, commandité par une équipe de fonctionnaires et membres des services secrets libyens, dont Abdallah Senoussi, beau-frère du colonel Mouammar Kadhafi, alors chef de l’État libyen. L’attentat aurait eu lieu en représailles à l’opposition de la France à la tentative d’invasion du Tchad par la Libye.
Le film est co-écrit par Yannick Kergoat avec Fabrice Arfi, Karl Laske et Michaël Hajdenberg, tous trois journalistes à Mediapart. Il donne la parole à Julia Cagé, François Molins, Patrick Haimzadeh et Danièle Klein, en plus de Fabrice Arfi et Karl Laske.
Le procès, qui s’ouvre le lundi 06 janvier 2025, doit durer trois mois et demi. L’ancien chef de l’État français encourt 10 ans de prison et 375.000 euros d’amende.
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