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Mathieu Rigouste

Rigouste: bienvenue dans la machine sécuritaire globale

Dans La guerre globale contre les peuples (La Fabrique), le chercheur Mathieu Rigouste, bien connu de nos services, poursuit son patient démontage des rouages de l’ordre sécuritaire mondial. S’appuyant sur deux décennies d’enquête, il révèle comment les doctrines de contre-insurrection – nées dans les colonies et recyclées dans les quartiers – ont été intégrées à un système global de domination. Une mécanique froide, rentable, qui fabrique de l’ordre et du chaos, du contrôle et de la peur, au service d’un capitalisme en crise.

« Je fais ce choix profondément politique, en termes d’analyse, de montrer […] que ça ne fonctionne jamais aussi bien que les dominants l’espèrent, que les dominés, la majeure partie du temps, trouvent des moyens de se réorganiser collectivement. […] Si on veut bien regarder, on voit que la lutte paye, il n’y a que ça en réalité qui paye… »

Mathieu Rigouste, sociologue et auteur de La guerre globale contre les peuples (La Fabrique), a l’habitude d’être convoqué. « Je peux me servir un café seul si tu veux. » propose-t-il. Après sa venue Au Poste en janvier pour présenter son documentaire Nous sommes des champs de bataille, le voilà donc aujourd’hui pour nous parler de son nouvel ouvrage, véritable encyclopédie pour décrypter et analyser la machine sécuritaire qui nous domine.

Son travail  tisse un lien indispensable à la compréhension d’une répression méconnue : l’utilisation du savoir-faire colonial (la « contre-insurrection ») dans l’asservissement des mouvements sociaux.  « Guerre contre les peuples », « effet boomerang », Mathieu Rigouste met des mots sur des maux.

« La guerre contre les peuples est un bon moyen de maintenir […] un ordre social inégalitaire. »
Mathieu Rigouste

Cette violence systémique, trouvant son origine dans une modernité capitaliste, s’illustre aujourd’hui dans toutes les formes de répression : guerre contre la drogue, les exilés, répression aux frontières, racisme de l’exécutif, etc.

« Quand je parle de colonialité, je parle de formes de pouvoir qui s’autorisent à mutiler, à tuer, à faire mourir ou à laisser mourir. À produire de la vie écrasée et qui, en général, sont connectées évidemment à l’ordre racial. » continue Mathieu Rigouste.

L’Histoire comme arme de compréhension

Dans son ouvrage, le chercheur se plonge dans l’histoire du colonialisme occidental, mettant en lumière l’importation des techniques de domination d’hier vers nos métropoles d’aujourd’hui.

« Je fais de l’enquête depuis les luttes. Sur ce chemin-là, je me suis rendu compte qu’il y avait des choses similaires […] notamment cette réimportation d’expériences de violences issues des guerres coloniales.»
Mathieu Rigouste

Le préfet Pierre Bolotte va par exemple être chargé, dans les années 70, de créer une « police des quartiers populaires et des immigrations », calquée sur les patrouilles exerçant en Algérie : la BSN (Brigade de Sécurité de Nuit) naît alors, ancêtre de la BAC (Brigade Anti-Criminalité). Sa mission : « En gros, attraper des prolétaires noirs et arabes pour leur trouver du shit ou des défauts de papiers, tout ça permettant de faire des mises à disposition, donc des points dans la carrière des policiers, des commissariats et des ministères de l’Intérieur. » affirme le chercheur.

En écho à la pensée de Michel Foucault, il ajoute : « Comme on le voit dans le livre, notre époque contemporaine est très marquée par des dynamiques préventives [d’inspiration coloniale (ndlr)] qui consistent à surveiller la population, ses moindres gestes, sa vie sur les réseaux sociaux, sa consommation, dans l’idée de pouvoir agir en amont, […] de renforcer, d’optimiser le contrôle. ».

Des concepts pour décortiquer la domination

Grâce à son livre, Mathieu Rigouste ouvre notre spectre de pensée. En parlant de « guerre contre le peuple », il clarifie une situation souvent dénoncée mais peu expliquée.

Avec des notions telles que « réverbération  » ou « effet boomerang », il démontre par exemple les origines coloniales d’armes telles que le lanceur de balles de défense (LBD). Tout d’abord expérimentée en Irlande du Nord et en  Palestine occupée (colonie britannique jusqu’en 1948), l’utilisation des LBD va ensuite en effet être importée dans les métropoles pour finir par marquer durablement le corps des manifestants, comme ce fut le cas lors du mouvement de contestation des Gilets jaunes ( trente éborgné·es, six mains arrachées…).

Un commentaire dans le tchat souligne la tension : « L’Histoire humaine ne serait donc qu’une longue liste de guerres, de colonisations, de crimes variés et divers et de massacres ? C’est affolant… »

Rigouste esquisse un sourire et se veut optimiste : « Oui et non, parce que ce n’est pas une tragédie humaine. Cela vient de certains rapports sociaux de domination liés au capitalisme, à l’ordre racial, au patriarcat. Les classes populaires ne sont pas responsables. »

« Tant que la police existera, on aura des bouquins de Mathieu sur la police. » Anne (Tchat).

« Voilà, c’est ça ! » répond notre invité sur un ton enjoué

« Je suis d’abord un militant qui fait de la recherche en sciences sociales. Mon but, c’est de changer les choses. Tant qu’on est dans un monde catastrophique et tant qu’on sera inégaux, moi, le sens que je donne à ma vie, c’est de participer à la résistance. »
Mathieu Rigouste

Son travail méticuleux sur la machine sécuritaire qui nous asservit donne la force à Mathieu Rigouste de rester confiant dans les luttes qu’il reste à mener.

« Je milite pour une société d’égalité, d’entraide, de solidarité dans laquelle je suis persuadé qu’on n’aura plus besoin de ce truc qui s’appelle police. On assurera notre sûreté par nous-mêmes, d’une manière différente. »

Un café et un entretien d’1 h 30 plus tard, Mathieu Rigouste disparaît et retourne à son train de vie occupé, entre ciné-débat et présentation de son nouveau livre. On le garde à l’œil.

FAQ

De quoi traite La guerre globale contre les peuples de Mathieu Rigouste ?

L’ouvrage de Mathieu Rigouste revient sur les origines coloniales de la machine répressive. Il se plonge dans l’histoire du colonialisme occidental pour mettre en lumière l’importation des techniques de domination d’hier vers nos métropoles d’aujourd’hui.

Qui est Pierre Bolotte, le père des BAC ?

Pierre Bolotte est un ancien administrateur colonial français. Ayant commencé sa carrière en Indochine, il fut l’un des commanditaires de la répression des émeutes de mai 1967 en Guadeloupe. Présent en Algérie, il va être chargé dans les années 1970 de créer la BSN, l’ancêtre de la BAC.

Que veut dire LBD ?

L’acronyme LBD, signifiant lanceur de balles de défense, est une arme utilisée par les forces de l’ordre pour réprimer les mouvements sociaux. Son utilisation, d’abord réservée à la répression coloniale, s’est ensuite vue importée directement dans les métropoles.

Qu’est-ce que l’« effet boomerang » ?

L’effet boomerang correspond à l’importation de techniques réservées normalement à la répression coloniale aux usages sécuritaires métropolitains.


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