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Emmanuelle Josse #AuPoste #BonjourColère

Résister en féministes, avec La Déferlante

Emmanuelle Josse, cofondatrice de La Déferlante, nous plonge dans le numéro spécial “Résister en féministes”. Elle évoque les luttes d’Assa Traoré, Sophie Binet, de la poétesse Laura Vazquez, de l’historienne Nonna Mayer, des écrivaines Kaoutar Harchi et Fatima Ouassak et de bien d’autres voix féministes qui dessinent les résistances de notre époque.

Dans ce dernier numéro paru à l’automne 2024, La Déferlante gravite autour d’un verbe à l’origine de toutes les luttes : Résister. En parcourant ses pages, nous avons causé intersectionnalité et universalisme républicain, féminisation des partis d’extrême droite, de ses représentantes comme de son électorat, et la nécessité d’une politisation des ventres des femmes, lieu de manifestation du projet suprémaciste de l’extrême droite.

Ce numéro Résister en féministes appelle à un féminisme antifasciste, face à la montée des extrêmes-droites qui prônent une régression des droits reproductifs et une oppression toujours plus importantes des femmes, notamment racisées et musulmanes, et des personnes à la croisées des identités de genre.

Intersectionnalité, universalisme républicain et communautarisme

«Pour qui on se bat ? Est-ce qu’on se bat pour des femmes blanches, des classes moyennes et supérieures cisgenres ? Ou est-ce qu’on élargit la lutte à des femmes qui sont travailleuses précaires, des femmes racisées, des femmes trans ? Comment on met en jeu ces diverses oppressions ?» Voici pourquoi La Déferlante a choisi pour slogan «la revue des révolutions féministes», au pluriel. En effet, au cœur de La Déferlante se trouve la nécessité d’une approche intersectionnelle, c’est-à-dire la conscience d’oppressions croisées, notamment celles de race, de classe, d’identités sexuelles et de genre.

Le féminisme n’appartient pas qu’aux femmes blanches. Assa Traoré, dans La Déferlante

Face à la nécessaire identification des oppressions et donc de la spécificité des individus que nécessite l’intersectionnalité, se dresse le barrage du principe d’universalisme républicain. La co-fondatrice de La Déferlante rappelle que « l’universalisme républicain est une manière de penser que le grand corps politique dans lequel va se projeter […] la nation française, est composé d’individus abstraits qui ont des droits et des devoirs, en faisant abstraction des conditions matérielles réelles dans lesquelles ils évoluent. »

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Dans cette perspective, supprimer les mots «racisme», «genre» etc. devrait magiquement faire disparaître les discriminations qui leur sont liées. Cette façon de concevoir les individus comme tous égaux, non dans leur nature mais dans leur réalité, pose cette idée que Josse résume ainsi «la race n’existe pas, donc il n’y a pas de racisme». Face à cet universalisme se dresse un grand épouvantail : le communautarisme. 

Le communautarisme, c’est toujours celui des minorités ou assez classiquement des gens qui galèrent, et se retrouvent ensemble parce qu’ils ont besoin de se faire du bien et de se construire des espaces de lutte.

Emmanuelle Josse

«Lorsqu’autour de Macron, il n’y a que des hommes de 40 ou 50 ans qui dirigent le pays n’importe comment, là, ça n’est pas désigné comme un communautarisme» ironise Josse.

La féminisation de l’extrême droite 

Dans ce numéro 15 de La Déferlante, l’on retrouve un entretien de la journaliste Sarah Bénichou avec les sociologues de renom Nonna Mayer – bien connue de nos services – et Francesca Scrinzi, analysant notamment la montée en puissance des femmes dans les partis d’extrême droite.

«Placer une figure de femme à la tête de ces partis va mettre à distance leur dimension violente, alors qu’ils cherchent à s’institutionnaliser » explique Josse. Citant Marine Le Pen et Giorgia Meloni comme exemples de femmes leaders qui s’attachent à mobiliser une image maternelle, qu’elles conjuguent avec une espèce de “self made woman”, Josse décortique avec nous cette stratégie de féminisation, qui concerne aussi l’électorat d’extrême droite.

 Dans les pays où on est les plus avancés sur les questions de genre […] les femmes se tournent moins vers l’extrême droite .

Emmanuelle Josse

Il y a encore quelques années, il y avait une vraie différence entre le comportement des hommes et des femmes lorsqu’il s’agissait de voter pour le parti frontiste. Depuis, l’acclimatation très progressive de la population, l’institutionnalisation du parti, sa normalisation – terme que propose Nonna Mayer à la place de la «dédiabolisation», et notamment l’arrivée et la montée en puissance de Marine Le Pen a lissé cet écart. En France, le fossé de genre n’est plus significatif dans le vote pour le Rassemblement National.

Le ventre des femmes : un enjeu suprémaciste

« Il y a des femmes à qui on interdit d’avorter : les femmes blanches en bonne santé. Et puis dans le même temps il y a des femmes qu’on pousse à avorter, qu’on stérilise » explique Josse. La question de la nécessaire politisation des corps des femmes est au cœur du numéro 15 de la Déferlante, qu’il s’agisse de la bande-dessinée de Audrey Lebel et Aurore Petit sur les lobbys ultraconservateurs, menant une offensive réactionnaire dans toute l’Europe, et même jusqu’au Brésil, de la situation des Plannings familiaux français sous le péril des groupuscules antigenre, de l’écofascisme qui cible aussi les minorités de genre, ou encore du texte signé par l’autrice Fatima Ouassak, fondatrice du syndicat de parents Front de Mères, également bien connue du comico. Au cœur de cette politisation, le ventre des femmes, cible centrale du projet suprémaciste. 

Derrière le projet suprémaciste, il y a l’idée d’une communauté blanche, où on ne veut pas d’autres enfants que des enfants blancs. Par ailleurs, des enfants blancs en bonne santé, puisque le projet suprémaciste est aussi un projet eugéniste.

Emmanuelle Josse

Si le contrôle du corps des femmes est aussi vieux que le patriarcat, il est aujourd’hui en voie d’institutionnalisation lorsque l’extrême droite est au pouvoir. À l’instar de Fatima Ouassak, quel lien peut-on faire entre la mort des enfants racisés de banlieues, comme Nahel Merzouk, et les luttes féministes ?

Pour y répondre, Josse mobilise la théorie de la justice reproductive, qui apparaît dans les années 90, portée par des féministes afroétasuniennes. Ces militantes considéraient que le fameux discours reproductif du «je veux pouvoir avorter comme je veux» était à penser différemment pour les femmes racisées, pauvres, ou handicapées, avortées pour certaines sans leur consentement, de manière tout à fait tout à fait violente. Josse cite ainsi l’exemple des femmes inuites au Groenland dans les années 70, stérilisées de force. 

Le fémo-nationalisme : le féminisme comme arme xénophobe

L’entretien nous propose aussi de plonger dans la rhétorique fémonationaliste, un concept évoqué par la chercheuse Kaoutar Harchi, et conçu par son homologue américaine Sarah R. Farris. Le fémonationalisme s’appuie sur la pensée issue des think thank d’extrême droite de la culturalisation de la violence, cette idée selon laquelle des violences existeraient dans certaines cultures mais seraient absentes d’autres, que Josse résume ainsi «nous sommes des sociétés modernes et avancées, tandis qu’il y a des cultures dans lesquelles les femmes sont traitées comme inférieures ».

Partant de ce principe, le fémonationalise instrumentalise la lutte contre les violences faites aux femmes, pour en faire une arme contre les hommes racisés, ou pour stigmatiser les femmes elles-mêmes, notamment les femmes musulmanes, à travers le port du voile.

«On va d’un coup s’intéresser à l’envie que les femmes ont de rester en vie uniquement à partir du moment où elles sont blanches et attaquées par des hommes racisés» explique Josse, citant l’exemple récent d’expression de ce fémonationalisme dans «la récupération monstrueuse» du féminicide de Philippine. «On a vu d’un coup des gens, typiquement qui n’ont pas pris la parole du tout sur le procès Mazan, se livrer à des récupérations absolument dégueulasses» rapporte Josse, avant d’ajouter sidérée «l’argumentaire consistant à dire “il aurait fallu renvoyer la personne accusée de ce féminicide, il aurait fallu qu’elle soit renvoyée au Maroc”, consiste quand même à dire que la vie des Marocaines ne coûte rien».

«Les féminismes sont dans une constante redéfinition. Le jour où ce n’est plus le cas, soit on a tout gagné, soit c’est que l’idée est morte » déclare Josse joyeusement. En apprenant à penser l’intersectionnalité, en s’emparant de nouvelles pensées comme la justice reproductive, en rejetant l’illusion de l’universalisme républicain, en continuant à politiser le ventre de toutes les femmes, la Déferlante mène une réflexion et un travail utile à tous.tes. Pourvu que la revue nous accompagne très longtemps pour penser les féminismes de demain.

Trois questions clés

Pourquoi Emmanuelle Josse parle-t-elle du viol comme d’un acte «ordinaire» ?

Josse insiste sur le fait que le viol est « un acte ordinaire commis par des hommes ordinaires » pour souligner la fréquence de ce crime et la banalité de ses auteurs. Elle critique la tendance à percevoir ces actes comme des exceptions, alors qu’ils sont le reflet de violences systématiques, banalisées dans le quotidien.

Qu’est-ce que le fémo-nationalisme ?

Le fémo-nationalisme, comme l’explique Josse, consiste à utiliser le féminisme pour justifier des discours xénophobes. Il « racialise le sexisme » en opposant les sociétés « modernes et avancées » aux cultures perçues comme opprimant les femmes. Cette stratégie détourne la lutte pour les droits des femmes afin de légitimer la stigmatisation des populations racisées.

Pourquoi l’intersectionnalité est-elle un enjeu central dans les révolutions féministes ?

Josse insiste sur l’importance de l’intersectionnalité dans les luttes féministes, pour identifier la multiplicité des oppressions, notamment de race, de classe, de religion, qui peuvent se superposer pour de nombreuses femmes et personnes issues des minorités de genre. Les spécificités de leur situation n’étant pas les mêmes, les féminismes doivent s’emparer de ces réalités pour les faire converger, et ne laisser personne de côté.

Pourquoi la justice reproductive est-elle cruciale dans les luttes féministes selon Josse?

Josse insiste sur l’importance de la justice reproductive dans les luttes féministes contemporaines, qu’elle résume ainsi «c’est une manière de penser les droits reproductifs des femmes, non pas simplement à l’échelle des femmes mais aussi des enfants (…) de pouvoir faire naître des enfants dans un monde où ils ne vont pas être assassinés à douze ans, où ils vont pas être harcelés par des flics.»

Comment les corps des femmes sont-ils politisés dans les projets suprémacistes ?

Josse explique que les projets suprémacistes étant des sociétés d’individus et d’enfants blancs, leur politique investit les ventres des femmes en fonction des couleurs de peau. « Il y a des femmes à qui on interdit d’avorter : les femmes blanches en bonne santé. Et puis dans le même temps il y a des femmes qu’on pousse à avorter, qu’on stérilise » explique la cofondatrice de La Déferlante.

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