René Dumont l’écolo: le candidat-prophète qui avait raison

« L’utopie ou la mort », disait-il. On railla ses propos, ce drôle de candidat vert à pull rouge, tiers mondiste convaincu et bateleur sans pareil. 50 ans plus tard, le journaliste Arthur Nazaret est allé à la recherche de ceux qui ont fait campagne avec Dumont, et enfanté l’écologie politique. Un mouvement jeune, candide et essentiel, drôle et brouillon, immature et visionnaire. Son enquête parait au Seuil.

Journaliste politique, Arthur Nazaret a couvert jusqu’à l’arrivée de Vincent Bolloré et Geoffroy Lejeune la gauche et les Verts pour Le Journal du Dimanche. Aujourd’hui, il s’occupe des questions d’énergie et de climat pour Politico. Son Histoire de l’écologie politique (La Tengo) s’est imposée comme une référence.

La rencontre en quelques mots

Le 2 avril 1974, le président de la République Georges Pompidou, malade, décède. Au sein de la mouvance écologiste, alors non structurée et encore moins unifiée, on s’active à la hâte pour trouver un candidat à sa succession. René Dumont, agronome et militant tiers-mondiste, est à cette époque en voyage d’étude en Algérie, loin de ce qui se trame de l’autre côté de la Méditerrannée. C’est pourtant lui qui finira, après rebondissements, par incarner « l’acte de baptême » de l’écologie politique. Tout reste à inventer. L’aventure de cette campagne-éclair de trois semaines s’écrira entre une péniche sur la Seine, garée près du pont de l’Alma, et un bus à impériale transformé pour l’occasion.

[En 1974], on est dans une période de croissance, de progrès, on croit en la science sans se demander quelles sont ses finalités. C’est une période « de fête » pour la plupart des Français, et René Dumont est celui qui arrive en disant que la fête est finie, que « notre modèle, celui que vous aimez [celui des Trente Glorieuses] » est en train de détruire la Terre.

Arthur Nazaret

C’est presque à contre-courant de l’époque que Dumont mène sa campagne, ce qui expliquera son tout petit score (1.32%). En interne, on se demande s’il vaut mieux finir par soutenir Mitterand, ou bien ne pas appeler à voter du tout. L’écologie n’est, dans les années 1970, pas ancrée politiquement, contrairement à son candidat dont les idées et le parcours personnel sont adossés à la gauche radicale. Le mouvement continuera tout au long de son histoire de se poser la question de son rapport à la gauche, avec la résolution constante de ne pas faire de l’écologie un supplétif dans un programme politique, mais bien un programme à part entière. Quitte à fluctuer sur la vision de l’écologie portée.

L’Utopie ou la Mort

Avec son ouvrage « L’Utopie ou la Mort », publié en 1973, l’agronome acte sa vision propre des questions environnementales, en reprochant aux publications dans le sillage du club de Rome – dont le fameux rapport de 1972 pointait déjà l’impossibilité d’une croissance infinie dans un monde aux ressources finies – qu’elles « nomment le problème sans montrer la cause ». Et pour lui, la cause, c’est le productivisme et donc le capitalisme. Ce faisant, il se démarque des courants de gauche alors tous acquis au productivisme, à commencer par le Parti Communiste.

J’ai essayé de mettre l’éclairage sur d’où viennent les idées [de René Dumont], quels penseurs les ont portés, parce que le livre « L’Utopie ou la Mort » est celui où Dumont passe de productiviste à écologiste, et où il paie ses dettes à ces penseurs. C’était important de montrer qu’il était à la fois un prophète et un héritier.

Arthur Nazaret

Le prophète au verre d’eau

Dans sa lutte contre le nucléaire, contre le modèle du tout-voiture, mais aussi d’une certaine manière contre le patriarcat, il sera rejoint par, entre autres, des autrices féministes telles Christiane Rochefort et Françoise d’Eaubonne (dont l’œuvre fondatrice de l’éco-féminisme est redécouverte aujourd’hui), des journalistes, des artistes, des penseurs tels André Gorz. L’ouvrage d’Arthur Nazaret retrace, à travers les yeux de ses compagnons de route, le cheminement intellectuel de « l’homme au verre d’eau », ainsi que ces romanesques et fondatrices semaines de printemps 1974.

Bonsoir, mes amis. Ce sont mes cinq dernières minutes, et je ne voudrais pas que dans un demi-siècle, vos petits-enfants disent : « ce sont nos cinq dernières minutes » si nous continuons notre attitude incompréhensible, irresponsable devant la dégradation de la nature.

René Dumont, à la toute fin de sa campagne

Trois questions clés