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Rassemblement national: Les racines de la colère

Depuis cinq années, Vincent Jarousseau, photographe-documentaire, arpente la France oubliée. Auteur de «L’illusion nationale» (2017, avec Valérie Igounet) et des «Racines de la colère» (2019), tous deux parus aux Arènes, il prépare un nouvel ouvrage intitulé «Les femmes du lien». Au cœur de son travail: le frontisme. D’où vient-il? Que (nous) dit-il? Que pèse-t-il, et comment? Café serré avec Vincent, ce mercredi.

L’ouvrage « Les racines de la colère » relate sous la forme d’un roman-photo deux ans de conversations avec huit familles de Denain, ville du bassin minier du Nord très concernée par le vote à l’extrême-droite. Plutôt que de centrer sur la politique, le livre prend le parti de questionner « l’imaginaire, le mode de vie » des personnes qu’il rencontre. Il met ainsi en tension les différences parfois abyssales entre leur quotidien et les discours libéraux. En premier lieu, la question de la mobilité, hyper-valorisée par les libéraux, met en relief toutes les contradictions : jusqu’où peut-on se projeter, se mouvoir, physiquement comme idéalement ? Le veut-on seulement ? En plus des difficultés économiques, les métiers pratiqués, les cercles de socialisation s’inscrivent localement, et les imaginaires se forgent loin des voyages sur un week-end dans une capitale européenne, de la « mondialisation heureuse », du « voyage qui élargit la culture » ; et finalement se heurtent à l’injonction permanente à (se) bouger pour réussir.

Le vote RN est parfois un vote d’adhésion, parfois un vote de colère, sans grande attente sur le résultat. Dans la propension à voter pour le RN, le racisme ne joue qu’un rôle secondaire ; c’est plutôt les inégalités sociales, et la perception que Marine Le Pen se situe du côté des « travailleurs ». La présence d’une parole raciste, souvent à l’unisson de celle des médias, est réelle mais ne résiste pas bien à la réalité des actes ; racisés et non racisés s’entendent d’autant plus qu’ils partagent de mêmes problématiques et horizons difficiles. Même si son programme ne résout en rien ces questions et les empirent, le discours du RN articule la valorisation du travail manuel avec celui de l’ancrage local, comme une promesse à toute une frange de la population qui ne se sent pas concernée ni embarquée dans le projet néo-libéral.

Dans un monde où l’individualisation des rapports sociaux a été d’une certaine manière imposée, où l’on a complètement cassé les cadres collectifs d’organisation avec le néo-libéralisme depuis des décennies, les seules cellules de solidarité qui existent encore aujourd’hui est la famille, le voisinage, les réseaux de solidarité locaux qui sont finalement un impensé du politique aujourd’hui, y compris du politique local.

Vincent Jarousseau

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