Radicalisation islamiste: José Gutierrez-Privat, un philosophe enseignant en prison raconte

Qui sont ces hommes? Pourquoi ont-il agi, au nom de qui, de quoi? Comment faire émerger leur réflexion en ces lieux d’enfermement? Sans les juger, Gutierrez-Privat fait le pari de la réflexion. Professeur à Sciences-Po Paris, membre depuis 2015 du Centre d’études sur la radicalisation et leur traitements de l’Université Paris-Diderot, il vient de publier «La raison derrière les barreaux» (Grasset). José Gutierrez-Privat se rendait pour la première fois Au Poste. Et ce fut passionnant.

La rencontre en quelques mots

Avant de travailler dans les prisons, José Gutierrez-Privat est d’abord professeur de philosophie. Et c’est à ce titre qu’il est amené à côtoyer les détenus, notamment de jeunes hommes, et qu’il s’est intéressé à la notion de radicalisation, à ce qui pouvait déclencher ou motiver le passage à l’acte de certains d’entre eux. Mais également, à l’inverse, en quoi ce terme inquiétant n’était peut-être parfois qu’un fantasme des plateaux télé !

Toutes les thèses, les simplifications qu’on pouvait faire sur la radicalisation étaient aveuglées par la peur de ce qu’était vraiment le terrorisme.

José Gutierrez-Privat

Un enseignant en prison

C’est bien ce statut d’enseignant qui lui permet d’approcher au plus près les personnes incarcérées et d’obtenir leur confiance. Il peut ainsi comprendre les mécanismes qui peuvent mener à la radicalisation, en ignorant totalement les raisons qui ont conduit ces hommes en prison en premier lieu.

Vous avez une mission d’enseignant et surtout pas, et là c’est très important, de renseignement. Parce que certains de vos de vos élèves, évidemment, se méfient de vous en se demandant si vous ne faites pas partie du renseignement pénitentiaire qui est, plus que jamais dans ces endroits là, en éveil.

Je ne donne pas du tout des renseignements. D’ailleurs, qu’est ce que ça pourrait….quels renseignements je pourrais donner ? S’ils ont bien compris Rousseau ? S’ils ont bien interprété les textes de Hobbes ? Il n’y aurait pas grand chose à tirer de ça. Est ce qu’une matière philosophique servirait à un service de renseignements? J’en doute fort.

David Dufresne puis José Gutierrez-Privat

Questionner la radicalisation

J’ai refusé de céder à l’appel du soupçon généralisé pour ces injonctions de détection des signaux faibles ou forts de la radicalisation, et d’entériner l’idée que la culture radicalisée incarnerait la nouvelle figure du mal sans avoir pris au moins les temps d’approcher les personnes concernées. Certaines d’entre elles allaient bientôt se retrouver dans mes cours. Il était indispensable pour moi de continuer d’aborder les questions essentielles de ma discipline en m’interrogeant sur la pédagogie la plus adaptée trouver la bonne pratique, la bonne mesure, comme pour n’importe quel public. Même si cela pouvait sembler étrange, ces personnes allaient devenir avant tout mes élèves.

José Gutierrez-Privat

Au travers des exemples qui composent son livre, José Gutierrez-Privat nous montre la diversité des profils de ceux qui deviennent des terroristes. Et on comprend à quel point il est crucial de ne pas céder aux injonctions simplistes qui peuvent nous mener à rapidement catégoriser telle ou telle personne comme potentiellement coupable ou innocente. La bascule entre la pratique intensive d’une religion et le passage à l’acte terroriste est un point qu’il est quasi-impossible à déterminer par avance

La personne qui a commis l’attentat à Nice, c’est quelqu’un qui, jusqu’au moment de son action violente, n’avait pas du tout une idéologie affirmée. Il n’était pas du tout dans une pratique religieuse extrémiste et au contraire, il se permettait des choses qui étaient, qui auraient pu scandaliser même un croyant ou un pratiquant très modéré comme blasphémer, insulter Dieu, etc. Donc c’est assez justement, ça montre bien à quel point la question de l’idéologie, de l’emprise idéologique et surtout de la pratique religieuse, ça c’est l’autre point important, à quel point la pratique religieuse intensive est une sorte de porte d’accès déjà à la violence ou à la radicalisation violente.

José Gutierrez-Privat

De l’idéologie au passage à l’acte

Toute la difficulté de la radicalisation repose sur l’absence d’une passerelle automatique menant du discours à la violence.

José Gutierrez-Privat

Une vision simpliste consiste à croire que c’est uniquement la pratique de la religion, d’une religion, qui, seule, mène à la radicalisation. C’est à ce titre que l’on sacrifie l’État de droit, afin de satisfaire un impératif sécuritaire contre une menace invisible, qui pourrait se manifester à tout instant. C’est également la théorie du « djihadisme d’atmosphère », que nous présentent certaines chaînes d’information en continu, et qui a l’avantage d’être une notion vague qui ne repose sur aucun élément tangible…la clef du succès quand on ne souhaite pas réfléchir davantage au sujet !

L’idéologie peut être un déclencheur, mais il faut d’autres éléments. Donc jamais une idée toute seule ne peut mener à l’action. Il faut que d’autres éléments s’ajoutent, pour que cette idée fasse corps et donne la puissance et l’action.

José Gutierrez-Privat

Mais heureusement José Gutierrez-Privat vient nous apporter quelques éléments de réflexion bien plus réalistes : pour beaucoup, c’est un désir identitaire, de s’identifier à un groupe ou à une figure héroïque qui va motiver le passage à l’acte. Les médias jouent alors un rôle crucial, car ce sont eux qui inversent le mythe, à la façon de Scarface, film dans lequel le héros est le criminel sanguinaire.

Ceux que vous évoquez ne veulent-ils pas tout détruire pour tout reconstruire mais avec leur logiciel dilué dans cette refonte ?

Il faut, pour endiguer cette apparence héroïque, couper avec toutes ces choses là qui font de la posture jihadiste une posture héroïque.

lereune dans le chat puis José Gutierrez-Privat

Trois questions clés