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Q comme qomplot: comment les conspis défendent le système

Dans la plus orange des librairies parisiennes, Le Monte en l’Air, rendez-vous semi clandestin avec Wu Ming 1, auteur anonyme (chez Lux Editeur) pour sa longue enquête sur QAnon, la nébuleuse conspirationniste américaine au service de la haine, du mensonge et du statu quo.

Nous serons là, tapis dans l’ombre, aux côtés d’Yves Pages, animateur de la soirée, et des traducteurs : Anne Echenoz et Serge Quadruppani.

Automne 2017, sur 4Chan, forum massivement utilisé par l’extrême-droite américaine. Un utilisateur du nom de Q poste des messages cryptiques à base de rituels pédo-sataniques prétendument pratiqués par des politiques américains de premier plan, de révolution imminente fomentée par Donald Trump, et d’autres choses de même nature.

L’analyse des imaginaires complotistes à travers les siècles montre une récurrence de ces quelques thèmes, de l’abus d’enfants aux rituels de sang en passant par le satanisme et l’antisémitisme. Mais plutôt que de s’intéresser à la « chronologie linéaire » de ces imaginaires, Wu Ming 1 et Yves Pagès s’interrogent sur les conditions de transmission et de résurgence des mouvements complotistes. Ils retrouvent dans de nombreux changements d’époques les sources d’un retour de la matrice complotiste, comme par exemple la panique d’Orléans dans l’après-68 immédiat. Aux États-Unis, ces années voient apparaître les premiers complots en rapport à la culture populaire, par exemple la supposée disparition de Paul McCartney et son remplacement par un sosie. Wu Ming 1 détecte que tous les mouvements complotistes ultérieurs ont en commun « l’interprétation paranoïaque des produits de la culture de masse », recherchant frénétiquement des symboles, des indices cachés. Les mécanismes du film « L’Exorciste » paru en 1973 trouvent un écho significatif dans les ressorts des mouvances complotistes de cette période

Il faut faire très attention à ces moments que sont les crépuscules, les fins de cycles historiques. Dans le cas de la généalogie du mouvement QAnon, j’ai identifié les années 1969 à 1973 comme un crépuscule significatif. C’est un moment de recombination culturelle, d’apparition de certains fantasmes à une époque de déclin de la contre-culture américaine, de retour de flamme réactionnaire violent.

Wu Ming 1

Nous avons alors déjà tous les éléments constitutifs de la bouillie qu’est QAnon. Il ne manque plus qu’Internet,  mais du point de vue du noyau narratif, tout est déjà là. Ces mouvances naissent comme réaction aux mouvements alter-mondialistes des années 1970, comme le mouvement hippie, et en partie de la dégénération de leurs imaginaires. Le new age, le flower power, le psychédélisme commencent à connaître des dérives néo-libérales et fascistes.

Wu Ming 1

Il ne s’agit pas de traquer les méchants complotistes, mais d’observer comment des imaginaires qui connaissent la défaite peuvent, en subissant ces contre-chocs, sortir du champ des luttes et partir en vrille dans des lignes de fuite complètement délirantes. […] Ce livre a la grande honnêteté politique de dire comment on réfute le complot et les gens qui peuvent y croire, sans les mépriser, sans les psychiatriser, sans les prendre pour des incultes, ce qui se fait habituellement et qui produit finalement une défense du système.

Yves Pagès

Croire à un complot, ça te donne une raison de vivre. C’est comme si tu devenais le héros d’un roman.

Pimikosaicho dans le tchat

Yves Pagès insiste sur la nécessité de distinguer les fantasmes qui relèvent de l’imaginaire, des théories plausibles qui parfois se révèlent vraies. Wu Ming 1 s’est prêtée à l’exercice de dresser une liste de caractéristiques communes pour les théories plausibles d’un côté, pour les complots imaginaires de l’autre, pour se rendre compte que les deux listes sont d’exacts contraires :

  • _Les théories réelles mettent en jeu un nombre limité d’acteurs, sont situées dans leur contexte historique, et ciblent un point central fixe et unique, pour s’évanouir lorsque la réalité est découverte. Elles sont élaborées et creusées par des acteurs qui cherchent à vérifier la véracité de leur théorie, et non pas à tordre le réel pour la valider artificiellement. Ces acteurs peuvent être des journalistes, des collectifs citoyens par exemple, parfois même des commissions parlementaires comme celles qui révélèrent certains des pires scandales de la CIA.
  • _Les fantasmes complotistes, au contraire, mettent en scène un nombre d’acteurs illimités, et sont mis en œuvre de manière parfaite – « tout est prévu, tout est parfaitement programmé, tout fait partie du plan… ». « Ils n’ont pas de point central précis mais regardent la domination du monde et de la réalité dans son entièreté », nous dit l’auteur. Rien ne vient les confirmer ni les infirmer, ils se prolongent donc indéfiniment, traversant les époques et les contextes sociaux.

Finalement, ces narrations fantasmagoriques et toxiques ne s’attaquent pas aux « vrais complots ». Wu Ming 1 nomme « narration de la diversion » et « homéostase du système » les ressorts qui conduisent à ne pas remettre en question le système dénoncé, voire même à le légitimer.

Chaque fantasme de complot a un noyau de vérité qui réside dans notre mal de vivre dans la société capitaliste. Le conspirationnisme donne de mauvaises réponses à de bonnes questions. La bonne question, souvent, est “Pourquoi est-ce que je vis une vie de merde ?”. Et voilà qu’arrive le complot, qui dit “Toute la réalité sociale dans laquelle tu vis est un complot.” Il répond aussi bien à un besoin de critique du pouvoir que d’un besoin d’enchantement, d’émerveillement. Les débunkers, fact-checkers et autres illuministes te disent que la réponse est erronée mais se foutent complètement de la question. De cette manière-là, ils ne font que défendre le statu quo.

Wu Ming 1
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