«Je suis très honoré d’être invité Au Poste, une des meilleures émissions du PAF» confie Clément Sénéchal, auteur de Pourquoi l’écologie perd toujours ? (Le Seuil), avant de citer la formule marxiste de «crétinisme parlementaire» pour qualifier sa mauvaise expérience télévisuelle de la veille (C Politique).
D’emblée, la critique de ce qu’il nomme «l’écologie installée» est cinglante : «Hier soir il y a eu une espèce de crétinisme écologique où ils ont essayé de créer un cordon sanitaire autour de moi, où j’ai été désigné comme dangereux, violent. Dès qu’on essaie d’interroger l’écologie installée à partir d’une lecture de classe où l’on parle du capitalisme, ces gens se sentent objectivés, et mis en danger.»
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L’écologie du spectacle
«L’’écologie radicale, qui est à mon avis la seule écologie pragmatique possible aujourd’hui, pour les classes bourgeoises écolo mais pas trop, c’est dangereux» argue Sénéchal. À rebours de cette écologie utopique, Lucile Juteau propose de commencer par poser les termes qui parcourent le livre son invité : “environnementalisme” et “écologie du spectacle”.
Pour Sénéchal, l’environnementalisme c’est «l’écologie dépolitisée», une forme d’écologie du spectacle, construite (en partie) dans les années 1970 et que l’on subit encore aujourd’hui.
L’écologie du spectacle est une écologie symbolique, qui reste à la surface, qui accumule des images, des mises-en-scène, des postures, des mises en circulation des concepts creux, visant à sensibiliser sans intervenir dans les rapports de force.
Clément Sénéchal
En restant à distance de la question sociale, l’écologie du spectacle peut prétendre dépasser les clivages politiques, servant «in fine d’accélérateur de carrière pour des élites opportunistes qui n’ont pas le temps pour la lutte des classes.» Sénéchal prend pour exemple des figures comme Barbara Pompili pour dénoncer la stratégie d’Emmanuel Macron de détourner ces «figures les plus installées de l’écologie pour enterrer les revendications écologiques. C’est pour ça que l’écologie perd tout le temps».
Il entame une longue liste d’exemples de cette écologie spectacle, d’où en ressort un désinvestissement total du champ politique par les élites de cette «écologie installée».
Est-ce que les porte-paroles officiels de l’écologie ont vraiment codé cette cause comme un objet de lutte révolutionnaire ? Pas vraiment (…) L’écologie, c’est libérer les écosystèmes de la loi du profit. C’est un projet de classe violent.
Clément Sénéchal
Selon Sénéchal, cette écologie de l’apparence, de la demi-mesure, «donne l’illusion d’une prise en charge» alors qu’elle n’a aucune prise sur la société.
Le cas Greenpeace
Clément Sénéchal fut chargé de plaidoyer chez Greenpeace France pendant plusieurs années, jusqu’en 2022. Il ne mâche pas ses mots concernant l’ONG, que ce soit dans son livre ou Au Poste : «une petite bulle d’entre soi où tout le monde suit les mêmes tendances.» Il en retrace la naissance et l’histoire, marquée «par le choix de la sensibilisation au détriment de la confrontation.»
Ce qui se joue dans cette écologie moderne, c’est : est-ce qu’on va jusqu’au bout de la confrontation, ou est-ce que notre objectif est simplement d’exister dans la sphère du spectacle ?
Clément Sénéchal
À travers trois campagnes clés de l’ONG, en 1969 contre des essais nucléaires, puis contre la chasse à la baleine et enfin contre le commerce de fourrure des phoques, Sénéchal dénonce sa dépolitisation et ses logiques coloniales.
Il décrit les bateaux Greenpeace conçus comme des «agences de communication flottante», cherchant en priorité à créer des images de confrontation, avec des espèces iconiques mobilisant des affects. En somme, une écologie des «bons sentiments», «une charité environnementale» totalement dépolitisée. Il illustre sa vision avec l’exemple de Paul Watson, déclarant à l’époque «préférer les animaux marins aux humains» déplaçant le «eux et le nous» au humains versus les animaux, plutôt que les prolétaires versus les bourgeois.
La dépolitisation s’exprime également dans la stigmatisation notamment coloniale des classes travailleuses, comme les Inuits dans le cas de la lutte contre le commerce de phoques – c’est d’ailleurs à l’issue de cette campagne que Paul Watson quitte Greenpeace pour fonder Sea Shepherd. L’impasse stratégique était là dès le début. Pourtant, sa notoriété n’a fait que grandir, rappelle Lucile Juteau.
Paul Watson et la désobéissance civile
«Que pensez-vous de ce moment que nous vivons avec l’incarcération de Paul Watson ?» lance Lucile Juteau à son invité. Pour Sénéchal, ce moment est «une remise à plat de la réflexion sur la désobéissance civile.»
Observant que, d’une part, lorsque l’écologie du spectacle utilise la désobéissance civile, elle en évite toujours «les aspects répressifs» et, d’autre part, qu’elle crie au scandale d’Etat dès qu’un militant est en garde-à-vue, Sénéchal dénonce l’embourgeoisement d’une écologie se pensant comme «une classe privilégiée qui n’aurait pas à subir la répression d’Etat.» Il rappelle ainsi que la théorie de la désobéissance civile remet en cause des législations précises, mais non pas l’idée même du droit. «Ça veut dire porter sa cause dans des tribunaux. Mais ça, on l’a un peu oublié, à force de faire de la désobéissance civile soft» poursuit-il.
Pourtant «réputée comme la branche la plus radicale» de l’écologie comme le dit Lucile Juteau, Sea Shepherd n’a pas dépassé cette logique du spectacle d’après Sénéchal. C’est un mouvement qui reste centralisé autour d’une figure héroïque et charismatique, sans politisation des masses populaires. Le tchat est parfois sceptique, comme vert2ter «un peu dur de dire ça, Sea Shepherd lutte quand même», auquel Sénéchal répond «certainement, mais l’équation n’est plus à l’échelle du problème.»
Où est l’écologie ?
«On a laissé croire qu’on pouvait faire évoluer les pratiques sans passer par des lois politiques appuyées par des rapports de force. Ça invisibilise la structure du capitalisme» pose Sénéchal, à présent désigné comme professeur dans le tchat.
L’écologie, on ne sait plus où elle est aujourd’hui. Le référentiel est devenu extrêmement creux : on en parle au RN, dans les entreprises, partout. Mais on ne sait plus à quoi ça correspond vraiment. C’est une espèce de chose vaporeuse qui ne sert plus de point d’appui pour la lutte des classes, et qui a été colonisée par les élites capitalistes.
Clément Sénéchal
Dans le tchat, lechieur demande «Quand on voit que la Révolution française a plus de deux siècles ou que Marx a plus d’un siècle et qu’on est toujours dans un espace politique qui laisse très peu d’expression au peuple, est-ce que pour l’écologie qui est une lutte récente, ça ne semble pas déjà perdu d’avance?» «La tâche est ardue» euphémise Sénéchal, avant de développer : «la question écologique nécessite un bouleversement anthropologique majeur. C’est une crise civilisationnelle. L’écologie doit être clivante parce que la société capitaliste est conflictuelle.»
Sénéchal évoque également une écologie «mal codée», qui a manqué son destin : «elle aurait dû devenir une force propulsive au sein de la lutte des classes et centrale au sein de la gauche de rupture.» Pour autant, il n’est pas pessimiste.
Les batailles perdues sont celles qu’on ne livre pas. Il y a des signes de faiblesses et d’essoufflement du système capitaliste. C’est plus facile pour moi d’imaginer la fin du capitalisme que la fin du monde.
Clément Sénéchal
Sénéchal précise : «je pense que ce n’est pas l’écologie qui va régler la destinée écologique du monde, c’est la lutte des classes.» Selon lui, cela passe par une écologie «remise à l’endroit», c’est-à-dire qui prend parti, et entre dans un rapport de conflictualité sérieux.
Une écologie bourgeoise
«L’écologie de la sensibilisation s’adresse aux classes supérieures, qui ont des ressources culturelles et économiques pour avoir le temps d‘écologiser leur mode de vie» explique Sénéchal. Pour les 9 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, ce projet n’a pas de prise. Pire encore, ce sont justement ces populations qui sont accablées par les paradigmes écologiques actuels. Sénéchal donne l’exemple du principe «pollueur payeur», extrêmement punitif pour les classes populaires. De la même façon, la rhétorique des «écogestes» produit une forme d’éco-citoyenneté morale, «qui est une violence symbolique additionnelle pour la classe populaire.»
Est-ce que le mode de vie de la classe bourgeoise est universalisable dans le cadre des limites planétaires? La réponse est non.
Clément Sénéchal
Dans le tchat, Reve_de_licorne demande à l’invité «il me semble que c’est une révolution morale qu’il faudrait faire avant une révolution politique ?» «Je ne suis pas d’accord», avance immédiatement Sénéchal, situant cette réflexion dans une «position idéaliste». Si la conscientisation ne suffit pas, c’est que les classes populaires sont prises dans des contraintes pratiques qui les tiennent loin de ces questions.
Vers une écologie du clivage
Pour finir l’entretien, Lucile Juteau et Clément Sénéchal dressent ensemble un panorama des luttes pour le climat : se détachent-elles de l’écologie spectacle ? Pour Sénéchal, l’exemple de Dernière Rénovation fut «extrêmement rafraîchissant», puisqu’il a montré que l’on pouvait mener des actions coups de poings même avec une très faible structure économique. Il regrette toutefois que leur démarche n’ait été que trop peu alignée à une lecture de classe.
Quant aux Soulèvements de la Terre, Sénéchal le qualifie «d’admirable». Et pour cause : il s’agit du seul mouvement à avoir été capable de faire peser un risque sur le pouvoir depuis des décennies, notamment d’après Sénéchal, grâce à sa structure décentralisée. «Quel autre mouvement écolo a été menacé de dissolution ?» s’enthousiame l’invité.
«Que faire ?» demande Juteau pour conclure. L’ancien chargé de plaidoyer à Greenpeace est sans appel «il faut une écologie qui assume d’être une force antifasciste irréductible. Il faut que l’écologie devienne antifasciste.»
Trois questions clés
Pour Clément Sénéchal, l’écologie du spectacle est une écologie «qui reste à la surface, qui accumule des images, des mises-en-scène, des postures, des mises en circulation des concepts creux, visant à sensibiliser sans intervenir dans les rapports de force». Dépolitisante, elle se passe d’une lecture de lutte des classes et d’un rapport conflictuel au pouvoir, pour rester dans le domaine du symbolique.
Paul Watson est un militant connu pour avoir fondé en 1977 l’ONG Sea Shepherd, qui lutte contre la chasse à la baleine de manière offensive, notamment via le sabordage. Le 21 juillet 2024, il est interpellé et incarcéré au Groenland, suite à un mandat d’arrêt du Japon, qui demande son extradition.
Pour Clément Sénéchal, cette écologie s’adresse seulement aux classes supérieures «qui ont des ressources culturelles et économiques pour avoir le temps d‘écologiser leur mode de vie», à l’inverse des 9 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Ces paradigmes moralisent l’écologie, stigmatisant les classes populaires par le biais d’une violence symbolique, et les oppresse économiquement, avec des taxes dictées par le principe «pollueur payeur».
- propagande https://x.com/AuPoste1/status/1845689464703590419 & https://x.com/auposte1/status/1845565808811884705 & https://x.com/AuPoste1/status/1845402497931780191
- Clément Sénéchal https://x.com/ClemSenechal & https://www.instagram.com/clement_senechal/
- Pourquoi l’écologie perd toujours – Clément Sénéchal – 2024 https://www.seuil.com/ouvrage/pourquoi-l-ecologie-perd-toujours-clement-senechal/9782021508208
- Clément Sénéchal pour Frustration https://www.frustrationmagazine.fr/author/clement-senechal/
- Clément Sénéchal pour Mediapart https://www.mediapart.fr/biographie/clement-senechal
- Clément Sénéchal a hâte https://x.com/ClemSenechal/status/1845566116820582769
- ô laven: »lire Les Trois Écologies – Félix Guattari – 1989 http://www.editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=2868 «
- Plus Jamais ça: 34 mesures pour un plan de sortie de crise https://www.greenpeace.fr/espace-presse/plus-jamais-ca-34-mesures-pour-un-plan-de-sortie-de-crise/
- Sous les lacrymogènes, la convergence entre mouvement climat et Gilets jaunes s’est opérée Par Émilie Massemin & Jean Segura 23 septembre 2019 https://reporterre.net/Sous-les-lacrymogenes-la-convergence-entre-mouvement-climat-et-Gilets-jaunes-s-est-operee
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