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Périclès: le projet fou et facho de Pierre-Édouard Stérin

« 150 millions d’euros sur les dix prochaines années » pour mettre en avant les « valeurs clés » de l’extrême droite, « servir et sauver la France » : le projet (secret) Périclès fixe les ambitions du croisé Pierre-Édouard Stérin pour porter Le Pen au pouvoir. On en cause avec Thomas Lemahieu, grand reporter de L’Humanité, qui a révélé le plan.

Cinquantenaire milliardaire né en Normandie, catholique traditionnaliste et libertarien, Stérin est l’un des « business angels » français. Les révélations de Lemahieu sur son projet PERICLES, pour “Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes” ont fait le tour de la presse nationale. Elles ont valu au journaliste, avant publication, des menaces de poursuites pour « divulgation du secret des affaires ». Avec lui, nous avons causé think-tanks, « école des futurs maires » pour former les candidats, guérilla juridique…

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Pierre-Edouard Stérin est le fondateur en 2003 de la société de coffrets cadeaux Smartbox, délocalisée en Irlande, à l’origine de sa fortune personnelle et de celle de son fonds d’investissement, Otium Capital, via lequel il exerce ses « actions philanthropiques ». Thomas Lemahieu nous conseille de regarder du côté de la presse belge, puisque Stérin y est exilé fiscal (« patriote »…) – où l’on y apprend qu’après avoir fui de France la perspective du « bolchévisme d’Hollande » en 2012, le couple y est déçu de ne pas retrouver son cadre de vie des Yvelines : « Pas de trace, non plus, de boudin truffé ou des rôtis ficelés que je trouvais dans Yvelines. (…) Avant de quitter la France, j’ai dit à mon mari que j’acceptais à la condition de partir au soleil une ou deux fois par an. Pour l’instant, l’accord tient : il m’emmène au Maroc ou dans les îles »3 … 

Stérin : le « business angel » patriote et exilé

Exil fiscal lui permettant de « dilapider » l’argent ainsi conservé aux causes de son choix4. Via son « Fonds du bien commun », Stérin investit par exemple dans des mouvements anti-IVG ou pour le développement d’écoles privées, et organise des enchères pour des projets dûment sélectionnés, souvent « des restes de mouvements très conservateurs » comme la Manif pour tous. Sont mentionnés également la détention par Stérin du média en ligne Néo, de la chaîne en cessation de paiement Factuel5 et du Crayon, dont la ligne d’extrême-droite est de notoriété publique.

Il s’est exilé pour des raisons fiscales revendiquées, en disant que ce qu’il pouvait escamoter à l’impôt, il comptait le rétrocéder par le biais de la philanthropie aux causes qu’il choisissait.  Il refuse l’idée qu’on décide d’octroyer vers les causes décidées démocratiquement le fruit de l’impôt. Il se définit au fond comme une sorte de toute puissance, comme un milliardaire qui choisit les causes qu’il veut défendre.

Thomas Lemahieu

Circulez, y’a rien à voir

Pour Pierre-Édouard Stérin, tout n’est qu’une « fable » (JDD, 5 juillet 2024) – malgré des liens attestés entre des proches de Stérin et Éric Ciotti avant les législatives pour placer des candidats6, le rachat d’une demeure des Le Pen par l’adjoint de Stérin, François Durvye, membre également du groupe des Horaces7 autour de Marine Le Pen et présent au carré VIP du RN pour la soirée des européennes. Pour les personnalités de la droite évoquées durant l’enquête et contactées par Thomas Lemahieu (Fillon, Lisnard, Philippe…), toutes réfutent leurs liens avec le projet ou le milliardaire8. Pourtant, trois jours avant la révélation du projet par l’Humanité, Stérin prend les devants et présente sa vision des choses via FigaroVox (17 juillet 2024) et, deux jours avant, le JDD découvre « miraculeusement » le plan9 (en omettant quelques détails…). Une tentative de « court-circuitage » selon Lemahieu, qui ne pousse qu’à s’y intéresser plus encore.

Un business plan pour les gouverner tous

Le projet Périclès est présenté à la manière d’un business plan, révélateur de l’esprit derrière pour Thomas Lemahieu : « ils parlent de politique comme d’un marché ». Pour François Durvye, adjoint de Stérin, PDG d’Otium Capital et en charge du projet Périclès, l’objectif est un « McKinsey de droite » (« comme s’il existait un McKinsey de gauche… »). Une vision business du projet politique, Stérin qualifiant lui-même les révélations de « divulgation du secret des affaires ». 

L’une des valeurs de cette révélation, c’est de montrer dans quel type d’esprit ces gens font de la politique. Ils font une forme de business plan, de powerpoint qui ressemble à un projet dans une start-up. Ce n’est pas aussi détaillé, mais ils parlent de politique comme d’un marché.

Thomas Lemahieu

Trois victoires en objectif : idéologique (« rendre nos idées majoritaires dès maintenant »), électorale (« faire la différence dans les élections d’ici à deux ans ») et politique (« permettre l’exercice du pouvoir politique dès la première échéance »). Le détail du projet organique est détaillé dans l’article de l’Humanité10. Plusieurs stratégies du projet sont abordées dans l’émission, notamment :

Le rachat d’un institut de sondage pour produire un baromètre fournissant à l’extrême-droite des chiffres “sur l’immigration, sur l’extrême-gauche, sur l’islam” pour légitimer leurs lubies.

Puis, le rachat think-tanks, notamment : l’Institut Thomas More, fondé par Charles Million (figure de l’union des droites, à l’initiative de la première alliance régionale avec le FN en 1998) et l’Institut du Pont-Neuf, fondé et dirigé par Charles Beigbeder (ancien membre Medef et UMP, proche de Reconquête et actionnaire de l’Incorrect, média belge réactionnaire). Sans vergogne, le plan révèle un « milieu de requins (…) capables de se bouffer entre eux » puisqu’il indique, par exemple, qu’il conviendra de remplacer Beigbeder de son propre think-tank. Une véritable « O.P.A. » de fachos.

Créer leur propre think-tank, c’était leur projet visiblement au départ. Puis ils se disent, non, il faut accélérer. Donc faisons comme on sait faire, on rachète.

Thomas Lemahieu

Ensuite, la formation de candidats, avec l’objectif explicite de victoire électorale du RN. Pour cela, le projet est acté depuis fin septembre 2023 : une formation de centaines de candidats pour les municipales de 2026, avec l’espérance d’une prise de plus de « 300 villes à gagner absolument ». Un projet « validé par le RN » qui implique le conseil, la création d’une « école des futurs maires » et l’examen statistique des situations électorales – avec pour but de faciliter la mise en place des politiques une fois à la tête de l’Etat. 

Le projet a été validé par la direction du parti et l’état major aux Estivales du RN 2023. Il y a la constitution d’une équipe par département pour valider les villes et identifier les candidats. Tout ça est dirigé par la direction générale du RN. (…) Cela ne rend pas le RN exclusif ou prioritaire pour la suite, pour eux, il faudra faire la même chose avec LR. Mais c’est quand même révélateur que le premier truc validé, c’est un conseil pour garantir des victoires électorales au RN aux municipales.

Thomas Lemahieu

Enfin, une « guérilla juridique » à travers le collectif Justicia, avec pour but « de faire du contentieux stratégique » contre « l’islamisme, l’immigration, les atteintes à la liberté d’expression et la théorie du genre ». Il s’agit bien « d’industrialiser les procédures » selon Thomas Lemahieu, de faire du « harcèlement judiciaire » à une échelle « très » importante (une quarantaine de procédures par an pour « changer les lois dans leur sens »). 

Ce qu’ils appellent les atteintes à la liberté d’expression, c’est bien, mais c’est leur liberté d’expression, pas la nôtre.

Thomas Lemahieu

Obnubilé par une gauche fantasmée

Pour saisir l’idéologie du projet, Lemahieu revient souvent sur comment Stérin et ses proches eux-mêmes définissent leurs ennemis : l’extrême-gauche c’est « toute la gauche voire même le centre ». Par exemple, pour le responsable idées de Périclès, Pierre Valentin « il n’y a pas une feuille de papier à cigarette entre Mélenchon et Macron »… La perspective même du « bolchévisme » d’Hollande en 2012 est révélatrice d’une obnubilation paranoïaque. 

Il est obnubilé, il considère que la France est à droite, à droite toute, à l’extrême-droite même, et que là, avec le résultat des législatives, il pourrait y avoir un gouvernement de gauche. Mais du coup, dit-il, ça le pousse à accélérer.

Thomas Lemahieu

Bolloré bis ? 

Force est de constater la ressemblance entre Pierre-Edouard Stérin et Vincent Bolloré. Une ressemblance que Lemathieu appuie par une proximité et « sympathie » avérée du premier pour le second, Stérin ayant, notamment, observé et admiré le rachat récent du JDD par le milliardaire breton, qu’il surnomme parfois « Bollo » ou « V.B. ». Caractérisés tous deux par une « ambition dévorante » et les « mêmes orientations politiques » – Stérin se distingue par sa fortune moindre certes, mais qu’il compense en investissant, et pas des moindre : il parle d’investir 100% de son patrimoine « pour le bien commun ». 

Il a peut-être moins d’argent, mais il a décidé d’en donner plus. (…) Parce que c’est son ambition déclarée : dilapider sa fortune pour verser de l’argent aux causes les plus réactionnaires

Thomas Lemahieu

Que faire ?

Lemahieu reconnaît que la gauche, faute de moyens et intérêts aussi puissants, n’a pas la capacité d’avoir un antagoniste aux Stérin et Bolloré sur la plan médiatico-financier, et que la fenêtre médiatique n’est pas propice à la réaction que la révélation d’un tel projet devrait susciter à gauche (c’est même durant l’émission qu’est annoncé la proposition de Lucie Castets au poste de Première ministre par le NFP). Il ouvre tout de même la réflexion, à une échelle plus accessible, sur le plan de « la bataille des mots ». En effet, le vol du sens des mots est effarant et il convient, par exemple, de ne pas laisser le terme « bien commun » à ces mouvances pour qualifier leurs projets…

Quatre questions clés

Qui est Thomas Lemahieu ?

Grand reporter et journaliste au pôle enquêtes de l’Humanité, Thomas Lemathieu est à l’origine de la révélation du projet Périclès.

Qui pilote le projet Périclès ?

Pour faire gagner l’extrême-droite et ses valeurs, Pierre-Édouard Stérin s’est entouré des deux hommes qui dirigent ses structures financières principales : François Durvye, DG du Fonds Otium Capital et conseiller économique de l’ombre de Le Pen et Bardella11, et Alban du Rostu, DG du Fonds du bien commun et ancien de McKinsey. 

Qui était vraiment Périclès ?

Périclès était un homme d’État grec influent du 5ème siècle AJC, réélu plusieurs fois stratège et considéré comme l’un des principaux architectes de la démocratie athénienne. Il est source de débats historiographiques, reste qu’il est notamment l’instaurateur du misthos, une indemnité versée aux citoyens les plus pauvres pour qu’ils puissent participer aux assemblées populaires sans être pénalisés financièrement. Bien loin de l’idée de concentrer et rediriger les richesses à l’insu de la démocratie…

Qu’est-ce que le concept d’hégémonie culturelle ?

L’hégémonie culturelle est un concept développé par l’intellectuel marxiste italien Antonio Gramsci (1891-1937) – notamment dans ses Cahiers de prison12, rédigés alors qu’emprisonné par le régime fasciste. 
En analysant l’échec des mouvements révolutionnaires marxistes en Europe, il prolonge la théorie marxiste avec une forme de domination qui s’exerce, outre la force, par des moyens idéologiques et culturels (éducation, médias, religion, etc…), façonnant les perceptions, croyances, idées et valeurs des individus pour maintenir le pouvoir de la classe dominante. Une domination difficile à identifier, car souvent perçue comme normale ou naturelle.
Si Stérin, comme d’autres aujourd’hui, à droite et à l’extrême-droite, parle de « bataille culturelle », c’est que les idées de Gramsci sont parfois détournées de leur contexte émancipateur original pour servir leurs propres objectifs politiques et diluer la critique marxiste de la société et des structures de pouvoir.

[1]  EXCLUSIF : Périclès, le projet secret de Pierre-Édouard Stérin pour installer le RN au pouvoir (L’Humanité, 19 juillet 2024)

[2] Médiapart, 19 juillet : Le plan Périclès : des millions pour l’extrême-droite et une victoire du RN

France Info, 20 juillet : Plan Périclès : ce que l’on sait du projet du milliardaire catholique Pierre-Édouard Sterin pour promouvoir des valeurs conservatrices et faire gagner la droite aux élections

Libération, 21 juillet : Qu’est-ce que «Périclès», le projet du milliardaire Pierre-Edouard Stérin pour faire gagner l’extrême droite ?

Le Monde, 22 juillet : Le plan du milliardaire Pierre-Edouard Stérin pour « permettre la victoire » de la droite et de l’extrême droite

La Croix, 22 juillet : Périclès, le plan du milliardaire Pierre-Édouard Stérin pour unir et faire gagner les droites

[3]  «La Belgique, ce n’est pas qu’un paradis fiscal, c’est un paradis tout court…» (Le Soir, 25 septembre 2014)

[4]  Évadé fiscal en Belgique, comment Pierre-Édouard Stérin a construit sa fortune (L’Humanité, 24 janvier 2024)

[5] En cessation de paiement, le média en ligne «Factuel» devrait s’arrêter un an après sa création (Libération, 23 avril 2024)

[6]  « Versailles connection » : comment le milliardaire Pierre-Edouard Stérin place ses pions au RN (Le Monde, 26 juin 2024)

[7]  Marine Le Pen, les Horaces et les dessous de la dédiabolisation (Libération, 26 février 2024)

[8] Périclès : après les révélations de l’Humanité, la droite esquive et la gauche s’indigne (L’Humanité, 23 juillet 2024)

[9] Les secrets du projet Périclès de Pierre-Édouard Stérin pour influencer la métapolitique française (JDD, 18 juillet)

[10]  Projet Périclès : le document qui dit tout du plan de Pierre-Édouard Stérin pour installer le RN au pouvoir (L’Humanité, 19 juillet 2024)

[11]  RN : François Durvye, le financier secret de Jordan Bardella et Marine Le Pen (Le Nouvel Obs, 23 juin 2024)

[12]  Antonio Gramsci, Cahiers de prison. Anthologie, Gallimard, 2022.

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