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Pandémie : le CAC 40 dit «merci Macron» pour le pognon de dingue

« L’argent magique » existe, et ce sont les entreprises qui en profitent. En deux ans de pandémie, elles ont obtenu des centaines de milliards d’euros d’aides nouvelles, qui se sont ajoutées aux milliards d’euros d’aides directes ou indirectes déjà en place. Qui sont, dès lors, les « assistés » ? Le vrai « pognon de dingue » est celui qui alimente les caisses des grands groupes, pas celui qui finance les services publics ou la protection des plus démunis. Avec Maxime Combes (économiste, « Allo Bercy ? ») et Olivier Petitjean (journaliste), on décortique le quoi-qu’il-en-coûte. Et comment l’État organise sa propre impuissance.

Le 09 septembre 2020, Maxime Combes alerte pour la première fois sur Twitter à propos des dividendes extraordinaires versés par Veolia et Suez à leurs , entreprises ayant touché plusieurs centaines de millions d’euros d’argent public sur fond de et de chômage partiel. Petit à petit, avec Olivier Petitjean, il recense les grands groupes qui touchent de l’argent public « magique » d’une main, tout en versant des dividendes et supprimant des emplois de l’autre.

« Allo Bercy ? »

Nous avons toutes et tous été exposés, pendant la pandémie, à la rhétorique de l’État interventionniste qui ne peut donner les aides que sous conditions, puisqu’il n’y a pas « d’argent magique ». Nous avons certainement beaucoup moins entendu parler du robinet grand ouvert pour le dans le même temps – 5.6% du PIB versés en aides aux grands groupes en 2020. Les dispositifs, y compris invisibles, se sont multipliés en leur faveur : « fonds de solidarité », « plans de relance », exonération de charges, rachat d’action par les banques centrales… autant de mécanismes non débattus ou bien approuvés discrètement pendant l’été, masquant un réel assistanat des grands groupes. Combes résume ainsi : « l’Etat se retire et met les entreprises entre lui et la population », idée centrale du néo-libéralisme. En guise de contreparties, les délocalisations et suppressions de postes en masse se poursuivent allègrement, tandis que les dividendes sont maintenus voire augmentés – les deux-tiers des entreprises du CAC40 ont battu leur record de profit en 2021.

Il ne faut jamais gaspiller une bonne .

Winston Churchill

La caractéristique des plans de relance est qu’ils visent explicitement à conserver l’appareil productif tel qu’il était avant la pandémie, à ne pas le transformer. Les grandes entreprises promettent de résoudre les crises actuelles par le progrès technologique, sans remettre en cause l’objet de leurs productions. L’avion deviendra vert, la voiture roulera à l’hydrogène…

Il y a deux types de profiteurs de crise : ceux qui détiennent une production essentielle comme les vaccins, pour lesquels l’État refuse d’appliquer les outils à sa disposition (licence libre…), et ceux qui se sont enrichis parce qu’ils étaient déjà riches, comme Bernard Arnault et Blackrock.

Olivier Petitjean

C’est bien le manque de transparence qui permet, pour l’heure, l’impunité du gouvernement aux yeux d’une population légitimement préoccupée par les crises en cours. « Il est impossible de dire combien a touché », avance Olivier Petitjean ; les données existent à Bercy mais le gouvernement refuse de les rendre publiques, au nom du secret bancaire. C’est un grave problème démocratique dans la mesure où l’on parle de centaines de milliards d’euros. Dans le même temps, la vis est toujours plus serrée sur les services publics, les dispositifs d’aides aux plus précaires, le fameux « assistanat. ». À l’Assemblée Nationale, les groupes à gauche de la majorité présidentielle, ainsi que certains députés ex-LREM, ont porté des propositions en ce sens durant la pandémie, propositions systématiquement refusées.

Au-delà des conséquences économiques, ces choix ont des portées politiques et sociales : ce que Maxime Combes appelle « la délégation de service public aux multinationales » s’enracine, imposant leur vision à tous les pans de notre vie. Cette baisse volontaire des comptes publics représente ainsi une excuse idéale pour justifier de futures politiques d’austérité.

Certains grands groupes profitent d’aides diverses, les actionnaires s’enrichissent, les dirigeants rechignent et pinaillent pour donner des primes aux salariés.

Didy_blue | Tchat

« D’où vient ce pognon ? », demande David Dufresne. « La réponse n’est pas magique » : une partie est constituée d’argent public existant et réorienté, ainsi que d’un emprunt massif des États de l’Union Européenne, mais la majeure partie provient d’emprunts de la France, à des taux très faibles. Maxime Combes est clair : ces dispositifs auraient pu être mobilisés pour les services publics mal en point, l’hôpital, l’éducation, ou la transition écologique ; si ce choix n’a pas été fait, c’est pour des raisons politiques.

En donnant sans conditions, l’État ne se donne aucun levier pour contrer les fermetures d’usines, délocalisations et autres très mal nommés « plans sociaux ». Selon Combes, pour exemple, l’entreprise Vallourec – qui vient de fermer une usine en France – « c’est un milliard d’euros d’argent public mis sur la table sur les huit dernières années, et dans le même temps, on est passé de 5500 à 2300 emplois ».

L’État organise sa propre impuissance, et il le fait en payant des consultants…

Olivier Petitjean

Les deux journalistes mettent au jour le « maquis » que représente les quelque 2000 mécanismes d’aides aux entreprises, maintenu dans l’intérêt des grandes entreprises au détriment des plus petites : l’effet de masse fait que seules les grandes entreprises peuvent entretenir des services capables de rechercher efficacement les . L’État a intérêt à conserver cette complexité pour maintenir le flou, continuer à communiquer sur des aides aux petites entreprises qu’elles ne touchent souvent pas, tandis que les grands groupes s’accaparent sans concurrence et sans contestation le plus gros des aides. Le phénomène est justifié officiellement par l’idée que la bonne santé des grands groupes profite à tous : meilleurs salaires, meilleur paiement des sous-traitants, innovation, et ainsi de suite. La réalité est bien évidemment différente : sans conditions posées par le gouvernement, les grands groupes ont tout loisir – et ne se privent pas – de faire passer ces aides en dividendes, dans des proportions souvent étrangement équivalentes. Cette dichotomie entre petites et grandes entreprises, cette différence de traitement se nomme le corporate welfare, concept proposé par le militant américain Ralph Nader.

Ce n’est pas le grand retour de l’État interventionniste, l’État met de l’argent sur la table mais pour garantir la rentabilité des grands groupes. L’État se transforme progressivement en assureur de la rentabilité du capital.

Maxime Combes

Avec cet ouvrage, nos deux invités proposent un contre-discours à celui, inique, du président Macron et de la parole politique et médiatique dominante. Ce discours est une véritable « arnaque » de la population et des communs, dont l’État en tant qu’outil se voit massivement détourné en faveur des intérêts de la classe capitaliste.

Un pognon de dingue mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie Co-auteur : Olivier Petitjean Co-auteur : Maxime Combes

« L’argent magique » existe, et ce sont les entreprises qui en profitent. En deux ans de pandémie, elles ont obtenu des centaines de milliards d’euros d’aides nouvelles, qui se sont ajoutées aux milliards d’euros d’aides directes ou indirectes déjà en place. Qui sont, dès lors, les « assistés » ? Le vrai « pognon de dingue » est celui qui alimente les caisses des grands groupes, pas celui qui finance les services publics ou la protection des plus démunis.

Avant la pandémie, les aides aux entreprises augmentaient déjà trois fois plus vite que les dépenses sociales. Distribuées sans véritables conditions, sans suivi et sans transparence, elles ne servent qu’à perpétuer les carences d’un modèle économique à bout de souffle, qui enrichit les milliardaires, détruit des emplois et dérègle le climat.

L’ère du « quoi qu’il en coûte » inaugurée au printemps 2020 n’a que très peu profité à l’hôpital, à l’éducation et aux travailleurs essentiels. La pandémie aura surtout servi à consacrer la mise des finances publiques au service du secteur privé. Adieu l’État-providence pour tous, bienvenue dans le corporate welfare, l’État-providence pour les entreprises !

Maxime Combes, économiste, travaille sur la mondialisation et le réchauffement climatique et contribue au magazine en ligne Basta ! (bastamag.net). Il est l’auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (« Anthropocène », Seuil, 2015). Olivier Petitjean, journaliste, est le cofondateur de l’Observatoire des multinationales et son coordinateur depuis 2013. Spécialiste de l’investigation sur les grandes entreprises et le lobbying, il est l’auteur du Devoir de vigilance (éd. C. L. Mayer, 2019).

https://www.seuil.com/ouvrage/un-pognon-de-dingue-mais-pour-qui-olivier-petitjean/9782021508314
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