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Jean Songe Yannick Bourg

Outreau, 20 ans. Outreau, l’enquête définitive

Vingt ans se sont écoulés depuis le procès de « l’affaire d’Outreau ». Fait sans précédent, à l’issue du procès en appel, Chirac, alors président, présente les « regrets et excuses » de l’État à douze des adultes longtemps incarcérés, finalement acquittés. L’affaire d’Outreau va diviser l’opinion en deux camps irréconciliables, et mis le feu aux médias (pyromanes).

Yannick Bourg dit Jean Songe, frère de sang, revient sur l’affaire. Son enquête s’appuie sur l’examen minutieux des 20.000 pages du dossier d’instruction, des dossiers périphériques, d’autres pièces, parfois inédites, et sur les minutes du procès. Son livre permet de comprendre la complexité des faits, d’en rectifier certains, de déceler les incohérences et les failles de l’enquête, d’appréhender la souffrance des enfants victimes, mais aussi de mettre au jour nombre d’éléments jamais révélés auparavant. Il était temps.

Le fait divers fascine, repousse, amuse, amène à s’interroger. Jean Songe revendique son attrait pour ces histoires banales et extraordinaires à la fois, dans ce qu’elles peuvent raconter de la « nature humaine ». Celle dans laquelle son dernier ouvrage nous entraîne est en même temps une des plus sordides affaires de violences sexuelles sur enfants ayant eu lieu en France, et un magistral imbroglio judiciaire qui, vingt-quatre ans après les faits, n’a pas fini d’être démêlé. Au milieu de tout cela, des hommes, des femmes, des enfants.


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Je suis toujours très gêné quand, d’un individu, on désigne un monstre. Il n’y a pas de mal absolu. Les monstres existent très peu, hormis les quelques cas psychiatriques qui sortent du chaos ordinaire de la nature humaine. Dans l’affaire d’Outreau, il n’y a pas de monstre, c’est ça qui est terrible. Il y a des individus avec des dysfonctionnements, liés à leur histoire, à leur contexte, aux pressions de la société, à leur tempérament personnel aussi. Les étudier ne cherche pas du tout à les excuser, mais à mieux comprendre cette nature humaine. Qu’est-ce qui fait que des gens commettent des atrocités ?

Jean Songe

Beaucoup a été dit et écrit sur l’affaire d’Outreau et le procès qui s’en est suivi. Mais peu de ces travaux dépassent le parti pris – que ce soit celui des enfants ou celui des parents – en cherchant la nuance dans l’incroyable complexité de cette affaire. Celle-ci est hors-norme par le nombre de personnes citées, dix-sept adultes et seize enfants, les témoignages contradictoires, les rétractations.

Récolter la parole des enfants est un enjeu, notre propre capacité en tant qu’adultes à recevoir cette parole l’est tout autant. Plus ou moins jeunes au moment de faits qui s’étalent sur plusieurs années, leur rapport au temps, à la mémoire, l’expression de leurs ressentis est forcément différente de celle d’un adulte, qui plus est quand ces enfants ont été éduqués, construits dans un environnement où nos conventions sociales n’ont pas vraiment cours. À cela s’ajoute que les liens familiaux, même très compliqués, jouent un rôle déterminant dans cette affaire et ont pu influer sur les récits, avec notamment une pression exercée par les grands-parents.

Témoigner dans un tribunal est donc une difficulté en soi, et le faire dans la salle d’audience du tribunal de Saint-Omer, trop petite, victime du « succès » du procès auprès de la presse, a rendu l’histoire encore plus compliquée. Face aux enfants, dix-neufs avocats représentant les adultes soumettaient les enfants à un « flot de questions ininterrompu » des heures durant, sous les regards desdits adultes dont leurs agresseurs.

L’affaire d’Outreau est finalement autant celle des faits étudiés que des dysfonctionnements de l’enquête et du procès, qui ont fait l’objet d’une commission parlementaire en 2006, elle-même critiquable. Les conclusions de cette commission révèlent une succession de défaillances, d’abord dans le signalement des maltraitances, puis dans l’instruction de l’affaire – « un défaut de prudence et de méthode, une instruction univoque, une valorisation excessive du rôle des experts » – mais aussi une « pression médiatique excessive », qui pourrait faire l’objet d’un livre à part entière.

Le livre de Jean Songe se propose donc, de reprendre, des années après, le dossier de justice page après page, les articles de journaux, de recouper tout ce que le juge n’avait pas forcément sous les yeux pendant son travail. Avec le luxe du temps et du recul, contrairement au tumulte médiatique de l’époque prêt à publier le pire dans la précipitation, l’écrivain tire le vrai du faux. Il reconstitue la trame de ce qu’il s’est réellement passé, et à travers ces événements, donne à voir les rouages de la justice des Hommes. En essayant de la rendre, cette justice, aux enfants concernés.

Les enfants, c’est la pièce cardinale, parce qu’ils ont été niés. Ensuite, en appel, ils ont été niés. Au procès d’appel à Paris, les experts ont été niés. La présidente de la cour d’assises dit aux experts venus défendre les enfants, grosso modo : « on s’en fout, ça ne nous intéresse pas ».

Jean Songe

Trois questions clés

Qu’appelle-t-on « l’affaire d’Outreau » ?

L’affaire dite d’Outreau est une affaire de pédocriminalité ayant eu cours pendant plusieurs années à la fin des années 1990 à Outreau dans le Nord-Pas-de-Calais. L’affaire est aussi une affaire d’erreur judiciaire, certains des accusés ayant vécu une détention provisoire pendant trois ans avant d’être acquittés. Elle est jugée en première instance à Saint-Omer en 2004, puis en appel à Paris en 2005.

Quel est le verdict du procès en appel de l’affaire d’Outreau ?

Six des dix personnes condamnées en première instance, sans les quatre ayant plaidé coupable, ont fait appel de leur jugement. Le procès en appel les acquittera toutes. Ces accusés ont passé pour certains plusieurs années en détention provisoire.

Quels sont les ouvrages de Jean Songe ?

Après avoir publié plusieurs romans noirs, Jean Songe a écrit tour à tour sur le nucléaire (Ma vie atomique, Calmann-Lévy/2016), la Sodexo, fleuron du capitalisme français (Sodexo la gloutonne, Seuil/2021) et plus récemment l’affaire d’Outreau (À l’ombre d’Outreau, Seuil/2024).

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Philippe Corcuff est professeur de science politique à l’Institut d’études politiques de Lyon. Ses recherches se situent au croisement de la sociologie et de la philosophie politique. Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages chez Textuel, dont le remarqué La Grande Confusion (2022).

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