De barricades en barricades : l’Histoire des droits racontée sans concession

Non, s’insurge l’historienne, chaque droit est une victoire arrachée, souvent dans la rue, parfois au prix du sang. Entre anecdotes historiques et échanges mordants, elle nous entraîne, avec ironie, dans une contre-Histoire vibrante et militante, où chaque mot est un rappel que la lutte est loin d’être finie.

On est dans un gouvernement de merde et il fait un temps de merde.

_{Mathilde Larrère}

Mathilde Larrère attaque fort, installée face au taulier. Dans On s’est battu.es pour les gagner, son dernier livre, elle clame haut et fort que l’histoire des droits est une lutte, pas une simple chronologie de lois signées par des ministres bienveillants. C’est cette vérité, sans artifice, qu’elle est venue défendre. La nouvelle caméra automatique du studio suit chacun de ses gestes, et cela l’amuse bien «Non mais je n’ai pas l’intention de bouger comme une malade non plus !» Avec la convoquée du jour, l’émission promet d’être aussi énergique qu’elle, bien loin d’une conversation feutrée.

De la Révolution aux manifs féministes

« On nous fait croire que les droits tombent du ciel, mais c’est derrière des barricades, dans des rues retournées, ou au détour de funérailles transformées en manifestations sauvages que les droits ont été conquis », martèle Mathilde Larrère qui raconte ses journées à courir les manifs féministes, appareil photo en main, pour archiver les pancartes qui portent l’espoir et la rage de tout un mouvement. « Je fais ça pour la Bibliothèque Marguerite Durand, pour que dans 50 ans on sache ce qui se criait dans la rue. » Ce besoin de garder la trace, de documenter, c’est ce qui la pousse à récolter ces témoignages visuels, qu’elle publie aussi sur les réseaux sociaux pour les immortaliser.

Les droits ne sont pas des cadeaux, ce sont des conquis.

_{Mathilde Larrère}

Les luttes sociales : une conquête acharnée

Mathilde revient avec passion sur plusieurs luttes sociales majeures. La Révolution française, bien sûr, qui a fondé les droits de l’Homme, mais aussi des premiers droits sociaux, comme le droit à l’insurrection. «C’est le moment où le peuple a pris conscience de sa force», explique Mathilde, évoquant les barricades de 1789 comme une première affirmation du pouvoir citoyen.

Ensuite, elle plonge dans le XIXe siècle – ce siècle qui la passionne tant ,  ce siècle des ouvriers qui se sont battus pour la journée de huit heures. « Ces gens ne sont pas des héros glorieux d’une fresque hollywoodienne », précise Mathilde, « ce sont des gens qui avaient les mains abîmées, des vies courtes, et qui risquaient tout pour que leurs enfants ne subissent pas la même exploitation. » Elle raconte la grève des Canuts de Lyon en 1831, où les ouvriers de la soie ont osé défier l’État et les patrons pour réclamer un salaire minimum décent. Le soulèvement fut brutalement réprimé, mais la graine de la révolte était semée, et elle pousserait à chaque génération.

Mathilde évoque aussi la Commune de Paris de 1871, qu’elle décrit comme un moment unique où « les pauvres ont gouverné eux-mêmes, même si ce n’était que pour deux mois. » C’est un exemple, dit-elle, de ce que pourrait être une démocratie réelle, où les citoyens prennent le pouvoir sans attendre qu’on le leur donne. Et même si l’expérience s’est terminée dans un bain de sang, l’esprit de la Commune a continué à inspirer les luttes sociales partout en Europe.

Les pionnières des droits des femmes

L’historienne passe ensuite à la longue lutte pour les droits des femmes. Les suffragettes, en Grande-Bretagne et en France, ont subi moqueries, emprisonnement et violence, mais ont continué à se battre jusqu’à obtenir le droit de vote, même si celui-ci n’est arrivé qu’en 1944 en France. « Ce n’est pas si vieux que ça », rappelle Mathilde, « nos grands-mères étaient des citoyennes de seconde zone. »

Mathilde convoque également Louise Weiss, figure majeure du mouvement suffragiste français, qui n’a jamais cessé de dénoncer l’exclusion des femmes de la citoyenneté. « Louise Weiss était une militante inlassable, une journaliste et une écrivaine qui a utilisé sa plume et son énergie pour dénoncer l’injustice. Elle s’est littéralement mise en travers du chemin des députés, avec des pancartes, pour réclamer le droit de vote des femmes. » Mathilde évoque cette image emblématique de Louise, accompagnée d’autres suffragettes, déployant des banderoles devant l’Assemblée nationale.

« Louise Weiss savait que les mots ne suffisaient pas, qu’il fallait agir et provoquer pour obtenir des droits. » Et quand, finalement, les femmes ont obtenu le droit de vote, Louise avait déjà plus de 70 ans. « C’est ça, l’engagement. On se bat pour des choses que l’on ne verra peut-être jamais. Mais sans ces combats, rien n’avance. »

Les droits des ouvriers, des minorités : une bataille sans fin

« Ce qui m’intéresse, c’est de voir ce qu’il reste des combats passés, et comment ils nourrissent ceux d’aujourd’hui » explique Mathilde Larrère. L’historienne évoque la place des femmes, des ouvriers, des sans-papiers. Elle insiste sur la nécessité vitale de comprendre que les luttes ne sont jamais finies, mais toujours reprises, réinventées.

L’Histoire est écrite par ceux qui ont osé la transformer, pas par ceux qui se sont contentés de la subir.

_{Mathilde Larrère}

Quand David Dufresne la qualifie de « pétroleuse historienne », elle sourit et hoche la tête. Oui, elle est prête à mettre le feu aux idées reçues sur la conquête des droits : chaque droit naît dans la rue, pas dans le bureau d’un ministère, chaque droit est conquis par la lutte, pas accordé gracieusement par le pouvoir.

Un tchat engagé

Le tchat s’enflamme. Parmi les messages, celui de Clairette37 : «Merci Mathilde, on voit trop souvent ces droits comme des acquis intouchables.» Et un autre, plus virulent, signé JulienC: «On voit bien que les gouvernants d’aujourd’hui veulent tout reprendre petit à petit, il faut rester vigilants.»

L’échange avec les auditeurices devient un prolongement naturel de la discussion, chaque réaction venant nourrir le propos de l’invitée. Le tchat aussi est conscient et rappelle que la lutte est collective, que les idées circulent, s’enflamment et se partagent au-delà du cadre de l’émission.

Une contre-Histoire nécessaire

Mathilde Larrère ne fait pas dans la demi-mesure, et c’est ce qui rend l’émission si vivante. Avec elle, chaque droit a une histoire, et chaque histoire est un combat. Elle rappelle que derrière chaque loi, chaque avancée, il y a eu des batailles souvent douloureuses. Ce n’est pas un plaidoyer nostalgique, mais un appel à l’action : se souvenir pour ne jamais cesser de lutter.

Trois questions clés