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Guillaume Dasquié #AuPoste

Messageries chiffrées : liberté ou surveillance totale ?

Sky ECC, messagerie chiffrée, s’est retrouvée au cœur d’une vaste opération policière qui a engendré l’interception de plus d’un milliard de messages. Dans son documentaire, «ECC: la messagerie du crime» (C+), Guillaume Dasquié explore les enjeux liés à la surveillance numérique, à la vie privée et aux limites de l’action des États. En posant la question du cadre légal et du respect des libertés individuelles, il interroge les conséquences de ces pratiques sur notre rapport à la sécurité et à la confidentialité des communications.

« On voit bien qu’il y a un secteur qui est extrêmement sensible, celui des communications chiffrées vis-à-vis duquel les autorités ont une forme de tolérance dès lors que ce sont des partenaires réguliers des gouvernements. Ce qui ne va pas, c’est quand ça vient d’une petite start-up qui met ça sur Internet à la disposition de tout le monde. Il y a véritablement cette dimension-là. »

Guillaume Dasquié, co-réalisateur du documentaire Sky ECC, la messagerie du crime, a le sourire contagieux. « J’adore ce studio ! » s’exclame-t-il en arrivant. Pour le convoquer, messagerie chiffrée oblige : « Pour le travail, j’utilise quasi exclusivement Signal avec mon numéro de téléphone usuel, celui connu des autorités. »

C’est donc par ce même numéro que Guillaume Dasquié, contacté par nos services, a répondu présent à l’appel. Passé par Le MondeLibération ou Intelligence Online, dès la deuxième question posée, Dasquié donne le ton.

« Quand je dois être en relation avec des sources qui peuvent prendre des risques, j’utilise un téléphone que j’achète en liquide dans une petite échoppe .Puis, je vais acheter une carte SIM dans un tabac pour pas grand-chose et ensuite, dans un espace style Internet café, je me connecte au Wi-Fi », affirme-t-il le sourire en coin.

À l’origine de plusieurs révélations marquantes, Dasquié revient sur les enjeux de déontologie. 

« Nous sommes redevables vis-à-vis de nos sources et de nos contacts, nous devons tout faire pour les protéger en les avertissant des risques qu’elles encourent, notamment via leurs moyens de communication. »
Guillaume Dasquié

Mais comment protéger une source lorsque l’on se voit observer et épier ? À l’instar d’Ariane Lavrilleux, comment enquêter si notre vie privée est bafouée ?

Surveiller pour mieux protéger, vraiment ?

L’Affaire

Dans son nouveau documentaire, Guillaume Dasquié explore le lien étroit entre liberté et sécurité par l’intermédiaire de l’affaire Sky ECC. Créée en 2013, à l’aune d’un essor dans le domaine de la sécurité numérique, l’entreprise canadienne basée à Vancouver Sky Global va se spécialiser dans le domaine des messageries cryptées grâce à la popularité de son application phare : Sky ECC.

« Ce que rajoute Sky ECC, ce sont des fonctionnalités supplémentaires qui vont beaucoup plaire à plusieurs catégories de clients, sécurité, volume de data … et aussi, par exemple, la possibilité de dissimuler l’application  en prenant l’apparence d’une calculatrice opérationnelle. Si vous vouliez que la calculatrice redevienne une messagerie, une équation vous était demandée. »
Guillaume Dasquié

Problème : ce chiffrement des données va rapidement attirer de riches entrepreneurs ainsi que plusieurs organisations criminelles (parfois les mêmes). Libre d’accès, source d’anonymat, de discrétion et d’une vie privée conservée, les messageries cryptées vont rapidement devenir les figures de proue de la criminalité organisée.

« Sky ECC était une messagerie qui était vendue sur Internet. Donc difficile de dire si les clients étaient seulement des criminels. Reste que la messagerie apparaît dans de nombreuses affaires, pas en France, mais en Belgique et aux Pays-Bas, autour du port d’Anvers. »

Très vite, la volonté de l’exécutif d’avoir la mainmise sur ces messageries va émerger. Mais à quel prix ?

« Qu’est-ce que tu préfères ? Plus de liberté ou plus de sécurité ? »

Les attentats en France et en Belgique de 2015 et 2016 vont déboucher sur l’apparition d’un discours officiel bien connu d’aujourd’hui: « Si nous (les autorités [ndlr]) avions pu surveiller et écouter les terroristes, les attentats, peut-être, n’auraient pas eu lieu.Ce ne sera jamais une garantie totale de sécurité, mais on aurait pu s’en approcher. »

La réalité de la situation semble cependant tout autre. Procès après procès, enquête après enquête, un constat se dessine : une écoute des communications n’aurait pas suffi à prévoir et empêcher le déroulement des faits en raison de la complexité et des précautions prises par les protagonistes.

L’idée de s’attaquer aux réseaux de messageries cryptées se démocratise néanmoins jusqu’à s’immiscer au sein des sphères du pouvoir d’EUROPOL.

« L’idée était de lancer une interception généralisée contre Sky ECC avec en tête que plusieurs dizaines de milliers de personnes utilisaient cette messagerie », continue-t-il.

« Surveiller 10 000 personnes sans motifs spécifiques. Est-ce légal ? » 
Louis Pouzin (Tchat)

« Ce n’étaient pas 10 000 personnes mais 170 000, le tout réunissant plus d’un milliard de messages », répond Dasquié. « C’est ce chiffre qui m’a alerté quand j’ai entendu parler de cette affaire. »

Correspondant à la population carcérale de France, d’Allemagne, de Belgique et des Pays-Bas réunies, cette intervention a ainsi « indéniablement porté atteinte à la liberté de plusieurs milliers de personnes ».

Ces interrogations soulevées par de telles interventions policières ne figurent néanmoins pas au premier plan du débat public. Sommes-nous prêts à nous laisser observer et contrôler pour plus de sécurité ? Est-ce légal ? Quel est l’avis des citoyens sur ces questions fondamentales ? Autant de débats qui semblent absents des discussions quotidiennes auxquelles nous avons affaire.

La surveillance généralisée remet-elle en cause l’État de droit ?

Pour Guillaume Dasquié, ces politiques débouchent sur une question effrayante. « Si on écoutait systématiquement tous les flux de communication avec des moteurs d’IA bien puissants, peut-être qu’il n’y aurait plus d’assassinats du tout. » C’est ce point de tension, ce débat crucial qui semble omis d’un monde politique au « médiocre niveau ».

Ne jamais renoncer à ses libertés

Accepter cette surveillance globale, c’est laisser libre cours à l’idée conservatrice et liberticide considérant qu’il faudrait accepter l’inacceptable.

« Pourquoi la police n’aurait-elle pas l’autorisation de savoir où est-ce que vous surfez sur Internet alors que Google le sait ? » 
Gérald Darmanin

Les politiques et l’exécutif surfent en effet sur l’idée dangereuse qui consisterait à dire : « Je n’ai rien à cacher, donc vous pouvez me surveiller. » La vie privée ne constitue pas un élément anodin de nos libertés fondamentales. Faire une croix dessus, c’est rayer un pan entier de son autonomie et de son indépendance de la  pensée. Comme avant d’entrer dans la chambre d’un adolescent, ne renoncez pas à ce que l’État toque avant de consulter votre vie privée.

« Ne laissez pas tomber vos libertés fondamentales. Soyez libres de les exercer ou pas, de protéger ou pas vos données privées. »

FAQ

Qu’est-ce qu’EUROPOL ?

Europol est une agence dépendant de l’Union européenne  ayant pour objectif de lutter contre le terrorisme, la  cybercriminalité et le crime organisé en coordonnant les forces de police.

Qu’est-ce que Sky ECC ?

Sky ECC est une plateforme de messagerie sécurisée utilisée par de nombreux individus pour protéger leur vie privée. Elle garantit la confidentialité des échanges grâce à un système de cryptage de bout en bout. Cette confidentialité fut à l’origine de plusieurs enquêtes concernant une partie de ses utilisateurs.

Qu’a révélé Guillaume Dasquié ?

Le journaliste Guillaume Dasquié est à l’origine de plusieurs révélations importantes de ces dernières décennies. Il fut, par exemple, l’auteur d’une enquête publiée dans le journal Le Monde en 2007 , révélant, sur la base de documents de la DGSE, la connaissance potentielle d’un risque d’attentats par voie aérienne qui ont eu  lieu aux États-Unis le 11 septembre 2001.

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