Macron ou le narcissisme pervers au pouvoir

Le ressentir est une chose ; analyser en quoi consiste cette pathologie au pouvoir en est une autre. C’est tout l’enjeu de l’enquête de Marc Joly, reconnu pour son savoir sur la violence morale et la sociologie du pouvoir. 

Avant de se lancer dans l’étude de cas du président, le sociologue a travaillé pendant six ans à la catégorie de perversion narcissique telle qu’elle a été construite par le psychiatre et psychanalyste Paul Claude Racamier. Joly en donne le cadre global, avant d’en disséquer avec nous ses manifestations : la perversion narcissique est «un mode de fonctionnement psychique, qui repose sur la projection dans l’autre d’affects, la culpabilisation, le détachement de toute responsabilité, le fait de ne pas travailler un conflit et de l’éjecter par le biais de paradoxes, d’injonctions paradoxales […] la manipulation, la réduction d’autrui à l’état d’objet», provoquant le «sentiment de ne pas exister dans l’esprit de l’autre». 

«Au cours du premier semestre de l’année 2023, je suis stupéfait de retrouver dans le discours des personnalités politiques et syndicales mobilisées contre la réforme des retraites, imposée à toute force par Emmanuel Macron, le même champ sémantique que celui des femmes victimes de violences morales conjugales, sur lesquelles j’ai enquêté. Déni de l’altérité, orgueil, folie ridicule, violence verbale, violence personnelle, mépris, manipulation, mensonge toxique, état de sidération, absence d’empathie, immaturité, plaisir malsain. Au-delà de ces expressions, j’identifie les mêmes signes de victimation et de traumatisme. Voix tremblante, gestuelle traduisant un état de choc, incompréhension, incapacité à trouver les mots» lit Dufresne en citant la page 26 de l’ouvrage. Le décor est planté.

La préparation au pouvoir de Macron

En remportant l’élection, Macron est selon Joly dans le déni total des conditions très particulières qui ont permis son accès au pouvoir. Pour preuve, le sociologue cite le président «au fond, ma victoire contre Marine Le Pen, n’est absolument pas différente de la victoire du général de Gaulle contre François Mitterrand». Pourtant, d’après le sociologue, cette élection doit surtout à l’impatience des milieux d’affaires dont Macron a su jouer «pour s’imposer comme une alternative à Hollande qui donnerait totalement satisfaction aux milieux.» 

Le «déni de son imposture», s’incarne dans le fait que Macron, puisqu’il a obtenu une majorité relative en 2022, aurait du faire alliance avec la droite. «Sauf que le président du groupe de la droite républicaine à l’Assemblée nationale, c’est Olivier Marleix, et lui a vu que Macron est juste un imposteur» relève Joly. 

Le macronisme au pouvoir ne peut pas se normaliser, à cause des conditions très particulières de prise du pouvoir par Macron : toutes ces manipulations, ces entreprises de prédation, de tromperie, de mensonges.

_{Marc Joly}

La perversion macroniste

L’entretien dominical délie les langues, et notre invité nous apprend assez vite avoir travaillé «dans une vie antérieure pour deux hommes politiques». L’un se disant gaulliste de gauche – en réalité d’extrême droite – et l’ancien maire du 11ᵉ arrondissement, Georges Sarre. Alors que Joly avoue son passé gaulliste sans pouvoir réprimer un certain amusement, le taulier lâche en riant «c’est une catastrophe !» Si aujourd’hui, le sujet est source de plaisanteries, il a le mérite d’avoir éclairé Joly sur deux points.

D’abord, «le fantasme monarchique, le fantasme d’un président roi, d’un roi élu qui va lutter contre les féodalités comme les rois qui ont fait l’unité de la France», fantasme qui serait «l’arrière fond de la cinquième République.» Ensuite, le fait que si la manipulation et le narcissisme sont «une disposition de toute personne qui fait de la politique», de Mitterand à Sarkozy en passant par Hollande, «la spécificité de Macron, c’est la perversion» revendique Joly. 

La différence de Macron avec ses prédécesseurs s’incarne d’après le sociologue dans «la manière dont il a manipulé, dont il a instrumentalisé, sidéré les personnes les plus compétentes en matière de manipulation de calcul politique […] la perversion, c’est ça. Il y a une faille et je vais m’y glisser et je vais m’y glisser en faisant fi de tout principe moral, de tout principe éthique.» 

Joly voit en Macron quelque chose de «perturbant» qui lui évoque «énormément le vécu des victimes de manipulation toxique, d’emprise narcissique» : une façon de dire la vérité sur ce qu’il est, «presque sur un mode de provocation», à l’instar «des hommes qui disent «je suis un connard.» Chez Macron, cela s’illustre lorsqu’il dit «je suis thatchérien» par exemple. «D’une certaine manière, il dit la vérité de ce qu’il est, c’est-à-dire un ultralibéral, un type violent» résume Joly. Parallalèlement, Joly décrit un «halo de bienveillance et d’horizontalité» autour du présient, expliquant le fait que «les gens ne voient pas ou n’intègrent pas ce qu’il dit.» Pour le sociologue, les raisons pour lesquelles Macron a suscité une haine que ses prédécesseurs n’avaient pas suscité, «c’est le sentiment de s’être fait avoir sur un plan interpersonnel.»

La paradoxalité, symptôme de folie

«Pour Racamier, la paradoxalité, c’est presque le summum de la folie. C’est la stratégie de la folie qui réussit» définit Joly, avant d’ajouter «le pervers se soigne de son angoisse de folie en projetant sa folie dans l’autre. Lui, il projette sa folie dans toute une société.» La paradoxalité a un objectif : elle «sidère, désoriente, discrédite en disqualifiant, insécurise» lit Dufresne en citant l’ouvrage de Joly. 

Ce dernier entreprend de décrire à quel point la paradoxalité est au coeur du comportement du président. D’abord, l’exemple récent de Macron déclarant «les choses sont très simples. Il y a les carnivores, il y a les herbivores. Il faut être omnivore.» Paradoxe. Autre exemple, que Joly rapporte : en 2015, Macron affirme «au fond de moi-même, je suis convaincu que les Français n’ont jamais voulu la mort du roi», avant de déclarer plus tard «le peuple français, il faut toujours se souvenir que c’est un peuple régicide.» Paradoxe. «Ce n’est que ça» poursuit Joly, rappelant que les exemples sont légions chez le président.

En soutenant par exemple que le rôle d’un président n’est pas de chercher à être aimé, et en assurant dans la foulée qu’il aime la France et les Français depuis toujours, Emmanuel Macron envoie le message suivant : “Certes, mon rôle n’est pas de chercher à être aimé, mais puisque je vous aime depuis toujours, si vous ne m’aimez pas, vous témoignez d’une ingratitude inexcusable”. Le paradoxe est fait pour culpabiliser et culpabiliser est une manière de soumettre.

_{La pensée perverse au pouvoir (Anamosa) p74}

Une prédation qui a réussi

«Le pervers s’arrange toujours pour être à la limite, mais en restant dans le cadre de la légalité. Sauf qu’il n’a aucune considération pour les principes qui sous-tendent la légalité et il joue avec jusqu’à la limite où ça devient presque scandaleux. Mais il peut toujours dire “j’ai respecté de la légalité”» exprime Joly à propos de Macron.

Fondamentalement, le macronisme au pouvoir, c’est une prédation qui a réussi. C’est une prise du pouvoir qui a réussi par le secret, par le sabotage, par la manipulation, le mensonge, le fait de se faire passer pour un premier communiant, pour quelqu’un de gentil, de bon. C’est étrange toutes ces déclarations de François Hollande, qui dit «Macron, c’est vraiment quelqu’un qui n’a pas de perversité.» Il a dit ça. «C’est vraiment un type gentil.» Ce n’est pas normal. 

_{Marc Joly}

La perversion s’illustre d’après Joly notamment dans la façon «jouissive» de «pardonner, créer un lien de dépendance avec quelqu’un qui nous a insulté, humilié, et qui devient sous notre coupe» pour qu’il nous soit redevable de quelque chose. Dans le cas de Macron, il est frappant de constater le nombre de personnes qui l’ont rejoint après l’avoir critiqué en première instance. Rachida Dati par exemple, qui avait dit «la macronie c’est l’alliance des plus mauvais de droite et de gauche.» Si Macron ne peut pas travailler avec ceux qui l’avaient «démasqué» Macron, pointe Joly, en revanche «il va jouir et jubiler de récupérer ceux qui l’ont le plus insulté parce que c’est une manière de les dominer encore plus.»

Le couple Brigitte et Emmanuel Macron

Nous arrivons sur le dernier point crucial de l’analyse de Joly : le couple Brigitte et Emmanuel Macron. Si ses analyses peuvent gêner à la lecture, mentionne Dufresne, «c’est la clé de ce qu’il est» affirme Joly. Le sociologue est catégorique : «on ne peut pas comprendre Macron si on le dissocie de ce couple.» Au cours de son enquête, il a rencontré plusieurs personnes qui ont bien connu le couple, et lu tous les livres écrit sur Macron. Pour le sociologue, leur relation n’est certainement pas à regarder comme une relation inégale entre un adulte et un adolescent où Brigitte Macron aurait eu l’ascendance sur Emmanuel Macron. 

«Mon interprétation sociologique, c’est qu’il est mis sur un pinacle par sa grand-mère comme futur artiste, futur écrivain, quelqu’un qui va s’accomplir dans la création» développe Joly, ajoutant «lorsque le couple se rencontre, Brigitte a la fonction de lui renvoyer cette image de toute-puissance, de génie, de créativité absolue. Et c’est ça qui structure la relation.» Or, poursuit Joly, «Macron n’a aucune créativité. Il n’a aucune originalité.» L’analyse de Joly de la conquête du pouvoir de Macron tient donc à la fois dans la compensation «de cette absence de créativité totale», et sur «le besoin dingue de reconnaissance, de réparation par rapport à tout ce que ce couple a subi comme ragots, comme pression.» 

En 2007, ils partent ensemble à la conquête de Paris, Joly précisant «c’est vraiment une entreprise à deux.» Il cite en exemple le fait que ce soit Brigitte Macron qui ait présenté au futur président Bernard Arnault, alors qu’elle enseignait dans le même établissement où étudiaient les enfants du milliardaire. Depuis, la fonction de Brigitte a toujours été «de valider Macron dans l’illusion qu’il est omniscient, qu’il sait tout et qu’il est dans la toute-puissance. C’est sa fonction objective dans ce couple et ça a des effets directement politiques» analyse Joly.

Pour le tchat, La pensée perverse au pouvoir est «un manuel de survie en Macronie.» Vient alors une dernière question : comment se défaire de cette emprise ? Joly esquisse un espoir : «la perversion a au moins une qualité, c’est que lorsqu’on a compris comment ça fonctionne et ce que ça met en lumière comme dysfonctionnement des institutions, il ne faut plus se payer de mots.» Pour le sociologue, tous ceux qui voudrait se revendiquer de la social-démocratie ne peuvent plus se présenter «sans avoir des comptes à rendre sur ce que ça a produit, de vouloir mettre en œuvre cette espèce de mythe du dépassement, qui est au fond un fantasme de parti unique».

Cinq questions clés

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