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François Hourmant #AuPoste

L’étoffe des contestataires

Le vêtement est politique. Le vestiaire des contestataires est éloquent. François Hourmant, directeur de recherches à l’Université d’Angers, en fait la démonstration dans son nouvel opus, «L’étoffe des contestataires» (PUF).

Des soutiens-gorge jetés dans les « poubelles de la liberté » par les féministes américaines des années 1960 à la nudité des Femen, des Gilets jaunes aux Bonnets rouges comme le k-way noir du black bloc, l’apparence est le message. Et le corps, son vecteur. Préparez le café


L’extrême droite qui rafle la mise, partout. Les libertés fondamentales attaquées de toutes parts. Une gauche de gauche à reconstruire. Plus que jamais une presse réellement indépendante, et pas pareille, est nécessaire.

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Mieux s’habiller pour mieux lutter ? C’est ce que nous démontre François Hourmant avec comme matériau un spectre très large de la contestation. Le vêtement est un outil essentiel là où la révolte se caractérise essentiellement par la visibilité et le poids des images. Mais il existe des champs de la contestation paradoxalement plus discrets qui intéressent aussi le chercheur.

Du trouble dans l’ordre dominant, une fois de plus !

Le livre commence avec une robe somptueuse où sont inscrits les mots « Tax the rich » lors du Gala du Met à New-York. Celle qui la porte s’appelle Alexandria Ocasio-Cortez, élue à la Chambre des Représentants et incarnant l’aile gauche du Parti Démocrate. Cette inscription volontairement incongrue rappelle la promesse de Joe Biden de taxer les américains aux revenus supérieurs à 400 000€. Un slogan percutant, rouge-sang sur un blanc immaculé, ici le vêtement crie la subversion dans l’ambiance mondaine de la haute classe new-yorkaise.

Revenons deux siècles en arrière. Dans l’Ancien Régime, il y avait dans l’espace public une codification très stricte du vêtement, marqueur de son rang social. La révolution, armée de bonnets phrygiens et de cocardes, bouleversera cet ordre et balaiera l’Ancien Régime. Les sans-culotte, au cœur de la symbolique anti-monarchique, se vêtaient en réponse à la culotte des aristocrates, pantalon qui s’arrêtait mi-cuisse. Mais si le visuel était bien présent dès cette époque, l’ouïe jouait encore un rôle fondamental dans la révolte, entre tocsins des émeutes, casserolades et charivaris. Au XXème siècle, les évolutions technologiques et sociétales changent la donne :

Au XXème siècle, la télévision, l’image assurent la primauté de la vue par rapport à tous les autres sens […]. Quand on parle de vêtements, c’est évidemment les sens qui sont au cœur de la réflexion.

François Hourmant

Autre exemple éminent de contestation de l’ordre non seulement politique mais aussi social : le mouvement punk. Avec leur dégaine, ce sont toutes les valeurs conservatrices et bourgeoises des années 1970 qui sont attaquées. Autant dire qu’un peu de punk aujourd’hui ne nous ferait pas de mal. Derrière ce mouvement se lit en filigrane la pensée situationniste de Guy Debord, notamment dans sa très fameuse « Société du Spectacle » (livre publié en 1967), et celle de Malcom McLaren. Pour contrer la norme du spectacle, l’habit punk consiste en une logique d’inversion en portant les sous-vêtements par-dessus les vêtements et s’inscrit par là dans le registre blasphématoire, du sacrilège.

De l’inventivité dans la rupture

François Hourmant étudie en profondeur le cas des gilets jaunes, phénomène socio-politique qui émerge sans histoire et qui selon lui ont inventé un symbole. Cette couleur n’est pas conventionnelle si l’on se réfère au spectre chromatique des luttes car elle est associée par exemple aux briseurs de grève. Mais l’objet gilet jaune incarne bien la thèse de l’auteur qui est qu’un vêtement n’a rien de politique jusqu’au moment où son usage est détourné.

Ce qui est très intéressant dans cette mobilisation, c’est cet objet totalement usuel, sériel et obligatoire, dénué de qualité particulière. Cet objet est individualisé, personnalisé à des degrés variables par les contestataires. Cette appropriation va se faire le plus souvent sur le dos.

François Hourmant

Les black blocs, quant à eux, jouent sur la tension entre visibilité et anonymat. En effet, le masque protège contre la reconnaissance et les éventuelles poursuites judiciaires.

Dans ce jeu vestimentaire se trouve aussi une dimension carnavalesque, évènement festif où par une inversion des rôles les gueux sont autorisés à dominer les rois. Le carnaval a pour fonction de purger la société de ses passions et tensions. Selon James Scott, dans ses analyses sur la résistance, le carnaval transmet de la part des contestataires un message qui persiste ensuite dans la mémoire. Au courant des années 2000, cette dimension carnavalesque se retrouve surtout lors des sommets altermondialistes où encore une fois l’ordre social et économique dominant et la prédation financière liée à la mondialisation sont contestés.

Au-delà des habits, les corps

Dans le creuset de mai 1968, il y a une contestation révolutionnaire mais aussi fortement sociétale, notamment par les combats féministes et les revendications des communautés homosexuelles. Au début des années 1980, on assiste aux premiers défilés de Drag Queens, puis à ceux de la Gay Pride. Le rapport hétéronormé, religieux et leur ensemble de valeurs sont contestés par ces mobilisations. Le mouvement queer, quant à lui, s’exprime beaucoup par l’usage et l’exposition de tatouages visibles sur le corps.

Au-delà de l’étoffe, derrière ces vêtements, il y a des corps qui sont en jeu, qui sont en scène et parfois mis en danger. Aujourd’hui le tatouage s’est totalement diffusé et vulgarisé dans la société, alors que pendant très longtemps, il était un marqueur, par exemple chez les marins rentrés de Polynésie. J’évoque à New-York un artiste qui se fait tatouer un ange dans le dos, acte de transgression dans un environnement où le tatouage était interdit à cause de la propagation de l’hépatite.

François Hourmant

Si le livre étudie principalement les formes de lutte de gauche, il évoque quelques exemples de mouvements réactionnaires comme celui des Homen, incarnant une droite catholique voulant restaurer les valeurs traditionnelles face aux Femen. Les luttes féministes, elles, sont riches en créativité vestimentaire. Le soutien-gorge, auparavant signe de libération vis-à-vis du corset (qui contraignait sévèrement le corps féminin au XIXème siècle afin de le styliser), devient un élément d’oppression corporelle. Un vêtement peut donc nourrir des valeurs politiques diamétralement opposées. D’abord une libération face à l’aliénation du corset, le soutien-gorge est dans les années 1960 jeté aux « poubelles de la liberté » à Atlantic City, lors d’une mobilisation féministe contre les dogmes du patriarcat. Les Femen se font les héritières de cet acte, se débarrassant complètement de leur haut.

Le péril de tels gestes est ce que leur médiatisation compte en faire. Dans le cas des Femen, les militantes mettent à l’œuvre la beauté plastique de leur corps, en adéquation avec les canons de beauté de la société. La transgression se couple inévitablement au voyeurisme, les corps dénudés suscitant l’intérêt de la presse à contresens du propos de l’action.

Un autre cas d’innovation de la lutte par le vêtement se trouve dans les suffragettes, mouvement  anglais mené par des femmes réclamant le droit de vote en 1908. Le vert, « green » pour « give », symbole de l’espoir et de la fertilité, le blanc, « white » pour « woman » et la pureté, et le violet pour « vote » et la dignité. Déjà plus d’un siècle auparavant, ces militantes jouent sur la visibilité et sur les codes sociaux usuels en multipliant les coups d’éclat dans l’espace public à travers ces couleurs, avant d’affermir leur méthode d’action jusqu’à faire la grève de la faim. De décennies en décennies, de pays en pays, des bijoux aux tatouages, des hippies aux punks, la lutte par le vêtement couvre bien des champs socio-politiques, décortiqués avec finesse dans un livre aussi joyeux qu’engagé.

Cinq questions-clé

Qui sont les Femen ?

Les Femen sont un collectif féministe fondé en Ukraine en 2008, connu pour ses actions militantes provocatrices et non conventionnelles. Elles utilisent des performances seins nus, souvent accompagnées de slogans peints sur leur corps, pour attirer l’attention sur des problématiques telles que le patriarcat, les violences sexuelles, la religion ou les droits des femmes.

Qu’est-ce que le mouvement des suffragettes ?

Les suffragettes étaient des militantes britanniques du début du XXème siècle qui luttaient pour le droit de vote des femmes. Elles menaient des actions souvent spectaculaires et parfois violentes, comme des grèves de la faim, des manifestations, ou des actes de sabotage. Leur détermination a contribué à l’obtention du droit de vote pour les femmes en Grande-Bretagne, partiellement en 1918, puis pleinement en 1928.

Quelle est la fonction d’un carnaval ?

Un carnaval est une fête traditionnelle qui marque une période de célébration collective. Il remplit une fonction sociale et culturelle en permettant l’expression de la créativité, l’inversion temporaire des rôles sociaux, et le relâchement des normes dans un cadre festif.

Qui étaient les Sans-culotte ?

Les sans-culotte étaient des révolutionnaires issus principalement des classes populaires urbaines durant la Révolution française, particulièrement actifs entre 1792 et 1795. Le terme fait référence à leur tenue, dépourvue de culottes aristocratiques, remplacées par des pantalons longs symbolisant leur rejet des privilèges de l’Ancien Régime.

Que sont les black blocs ?

Les black blocs désignent des groupes informels de militants, souvent vêtus de noir et masqués, qui participent à des manifestations pour protester contre le capitalisme, les injustices sociales ou les violences d’État. Leur stratégie repose sur l’anonymat et l’action directe, incluant parfois des actes de vandalisme ou des confrontations avec les forces de l’ordre.

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