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Les Héros du Punk sont Immortels

C’est une histoire sortie d’un roman noir, mais tout à fait authentique. Gilles Bertin, figure du punk français, chanteur de Camera Silens (Bordeaux, début des années 1980, braqueur d’un dépôt de la Brink’s en 1988, puis fantôme sans visage trente ans durant. Disparu, réapparu, malade, repenti. Il revient de tout. Et meurt en 2019, à Barcelone, là où il s’était caché. C’est ce destin hors norme que retrace Stéphane Oiry, dessinateur au trait sec et fraternel. Ses Héros du peuple sont immortels, publié chez Dargaud, n’est pas une BD hommage, ni un plaidoyer. C’est un regard. Lucide, inquiet, parfois amusé. Oiry ne juge pas. Il redonne de la chair à un nom devenu mythe, ou mauvaise conscience de toute une génération. C’est sa première convocation Au Poste.

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« Je ne pouvais rien attendre d’autre d’une émission sur le punk ». Stéphane Oiry débarque dans Au Poste en pleine tempête : Internet coupé, antenne en vrac, l’émission vire au chaos. Ça bidouille, ça galère, ça se reconnecte sur d’autres canaux. Le tchat jubile : on sent que cette entrée en matière colle parfaitement au thème du jour . À ce moment-là, on ne pouvait qu’être d’accord : c’était un live punk pur jus. Florent Calvez, fidèle du tchat, s’en amuse : « 200 orages attaquent le Poste », une façon d’embrasser la pagaille.

Oiry, loin de râler, se marre : « Ah non mais ça commence très bien ». Il explique qu’il ne s’attendait pas à autre chose pour une émission sur le punk. À cet instant, le ton est posé : détendu, « bordélique» mais bienveillant.

« J’aime beaucoup travailler sur les faits divers »

Une fois la connexion stabilisée, l’invité se présente : dessinateur de presse, auteur de bande dessinée, prof à Paris. Il raconte : « Je travaille beaucoup pour la presse, j’illustre très régulièrement des faits divers ».

Il précise que ces histoires l’attirent : pas pour le sensationnel, mais pour leur vérité humaine : « C’est tout pour l’éthique quand même ». Il aime fouiller ces petites tragédies, voir ce qu’elles disent de nous.

Son dernier album en est un exemple : une bande dessinée sur Gilles Bertin et Camera Silens, publiée chez Dargaud.

Un punk de l’intérieur

Avant de parler du livre, il revient sur ses propres années punk. Il était collégien quand il a plongé : « J’y ai vraiment plongé éperdument ». Radios libres, cassettes copiées : tout est bon pour partager le son.

La scène punk de l’époque c’est  un milieu très bricolé, souvent marginalisé : peu de moyens, des concerts dans des salles modestes ou des squats, une circulation clandestine de la musique, et un public jeune, avide d’alternatives culturelles et politiques. Le groupe se choisit un nom fort. Camera Silens  une référence aux cellules d’isolement utilisées pour l’incarcération des membres de la Fraction armée rouge, la bande à Baader ( Baader-Meinhof), « ils sont précaires, ils volent  ils achètent un bouquin pour en voler trois »,

Il confesse : « Plus rien n’a jamais été pareil ». Cette musique l’a formé : rageuse, libre, sans compromis. Pourtant, Camera Silens n’est pas son groupe fétiche. Il admet : « Je l’avais même un peu oublié ». Ce n’est que plus tard, en entendant un documentaire sur France Culture, qu’il retombe sur histoire épique.

« Une histoire sortie d’un roman noir »

Dufresne raconte : Bertin est cette figure punk bordelaise, charismatique mais obscure. En 1988, il braque un dépôt de la Brinks à Toulouse : un casse parfaitement planifié, quasi militaire, sans coup de feu, mais lourd : près de 12 millions de francs empochés, un butin qui restera dans la nature..

C’est le genre de fait divers qu’Oiry adore : « On en avait un très beau avec cette histoire de cavale », dit-il.

Après le braquage, Bertin s’évapore. Pendant près de 28 ans, il vit sous de fausses identités, principalement en Espagne. Il fonde une famille, travaille, tombe malade (sida). Il reparaît en France car il souhaite être jugé, il échappe à la prison grâce à sa santé fragile et meurt à Barcelone en 2019 à l’âge de 58 ans.

« C’est une histoire sortie d’un roman noir mais tout à fait authentique »David Dufresne

Dessiner la cavale et l’homme

Oiry explique qu’il n’a pas voulu faire une biographie hagiographique. Il s’intéresse à l’homme : ses choix, ses failles. Il insiste sur la méthode : « Je documente beaucoup », dit-il. Il se plonge dans les archives, interroge des témoins, recoupe : « Je suis pas sociologue, mais j’observe ». Il veut restituer l’ambiance des années 80 : Bordeaux, la scène punk, la précarité.Il détaille : « J’essaie de raconter un destin, pas de juger. Montrer la trajectoire ». Pour lui, le dessin permet ça : rendre vivant sans figer. Il veut montrer la fuite, la clandestinité, la vieillesse. Capter les silences autant que les cris.« J’aime beaucoup les histoires vraies, parce qu’il y a déjà tout » Stéphane Oiry

Le tchat comme caisse de résonance

Au Poste n’existe pas sans son public : le tchat, omniprésent, commente, questionne, se moque gentiment. Florent Calvez en est l’âme : « 200 orages attaquent le Poste », « Jolies rouflaquettes », il relance, blague.

Dufresne rappelle qu’Oiry et Calvez ont travaillé ensemble : ils ont illustré un reportage sur le commissariat de Roubaix pour La Croix. Preuve qu’Oiry n’a pas peur de traiter du réel brut, même des lieux de pouvoir.

Cette complicité se sent : le tchat, l’invité et David Dufresne tissent ensemble une conversation vivante.

« Ça va un peu m’aiguiller »

Oiry se montre humble : il reconnaît qu’il ne connaissait pas toute l’histoire avant de s’y mettre : « Ça va un peu m’aiguiller ». Il aime se laisser surprendre : « Je ne fais pas de thèse, je raconte ». Il veut donner au lecteur la sensation de découverte, d’empathie. Pas question de grand discours moral : il veut qu’on comprenne Bertin sans le disculper. Montrer l’humain derrière le fait divers.« On sent qu’il veut comprendre, pas juger »

Punk, crime et tendresse

L’émission jongle entre humour et gravité. On rit des nouveaux  bugs : « Oh là là le bazar », on se moque des câbles et des caméras plantées.Mais le sujet reste sombre : un braquage violent, une fuite interminable, la maladie, la mort. Oiry ne cherche pas à édulcorer : il assume cette tension.Sa BD montre tout : le punk comme cri de liberté, mais aussi comme dérive ; le romantisme de la cavale et sa misère quotidienne.

« On peut parler de mélancolie ?» interroge David Dufresne.

L’invité acquiesce et rajoute « Je pouvais rien attendre d’autre que d’une émission sur le punk »

Malgré les thèmes lourds, l’émission garde une vraie humanité, les moqueries du tchat, les rires partagés : tout ça donne un ton unique. C’est punk au meilleur sens : rageux, sincère, mais jamais cynique.

À la fin, on sent qu’Oiry a livré bien plus qu’un projet : un morceau de lui-même, entre la bande dessinée, le journalisme et la mémoire collective. Et bien sûr un extrait de Camera Silens  « Pour La Gloire» vient ponctuer cet entretien.

Cet article est le fruit d’un travail humain, d’une retranscription automatique de l’émission par notre AuBotPoste revue et corrigée par la rédaction.

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