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Jean-Baptiste Comby #AuPoste

Les classes sociales face à l’enjeu environnemental

«Penser les enjeux écologiques au prisme d’une sociologie générale» : voilà la dynamique dans laquelle s’inscrit le sociologue Jean-Baptiste Comby avec son livre «Écolos, mais pas trop… Les classes sociales face à l’enjeu environnemental» (éditions Raison d’agir, 2024).

À rebours du technosolutionnisme et du “capitalisme vert”, il pose les piliers d’une écologie politique prenant en compte les dynamiques sociales et les inégalités face aux problématiques environnementales. Concevoir l’écologie comme un moyen de révéler et de remanier nos cadres socio-économiques fondamentaux ; c’est ainsi ce dont Jean-Baptiste Comby vient nous parler Au Poste.

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La rencontre en quelques mots

Ce 27 juin 2024, Lucile Juteau reçoit Jean-Baptiste Comby pour la sortie de son livre «Écolos, mais pas trop… Les classes sociales face à l’enjeu environnemental» (éditions Raison d’agir, 2024). Sociologue, spécialiste d’écologie politique, il rebat les cartes de la lutte des classes pour redessiner l’enjeu politique de l’écologie, sous le prisme sociologique et il envisage de nouvelles stratégies d’actions politiques. Suite de son précédent livre1 qui révélait la dépolitisation des thèmes écologiques par le glissement de la responsabilité publique sur la responsabilité individuelle – aka «les petits gestes» ou «la morale écocitoyenne» – et pointait, le paradoxe de cette morale ou comment la classe sociale la plus émettrice de gaz à effet de serre reprenait à son compte cette morale, peut-être écoresponsable, mais surtout dépolitisante.

Les classes sociales, quésaco ?

Elles s’incarnent à travers les rapports de pouvoir et de domination dont découlent les différenciations, les inégalités entre les différents groupes sociaux : on retrouve les classes dominantes – la bourgeoisie économique et culturelle – et les classes populaires. Les individus et leurs relations amènent à raisonner en termes de classes sociales. Les enquêtes sociologiques s’intéressent aux caractéristiques des individus : milieu d’origine, parcours scolaire, diplôme, milieu professionnel,  résidentiel, politisation … Il s’avère que selon sa classe sociale on va s’intéresser plus ou moins à l’écologie. L’auteur distingue 7 fractions de classes à travers plusieurs portraits.

C’est bien parce qu’elle – la condition écologique – est frappée de cécité sociale, que l’accélération de l’histoire politique de l’écologie se brise sur la puissante inertie des structures collectives.

Jean-Baptiste Comby

La condition écologique des classes sociales ou l’injustice environnementale

Bien que l’histoire de l’écologie s’accélère ces dernières années, le désastre s’accentue en raison de l’inertie du monde social. Cet écart qui s’est creusé entre le récit écologique et les réalités sociales vécues, a abouti aux résultats des élections européennes autour de l’écologie. L’injustice environnementale renvoie aux hiérarchies sociales qui orientent la distribution des profits (symboliques ou réels) et des coûts (pollution, amende morale) liés à l’environnement. Or, si on pense ces inégalités qui semblent distinctes, on constate qu’elles ont un même socle matériel.

On pollue plus parce qu’on est plus riche. On souffre plus des pollutions parce qu’on est plus pauvre.

Jean-Baptiste Comby

La morale écocitoyenne – ou écologie dépolitisée – a été portée par les figures de Nicolas Hulot, Yann Arthus-Bertrand ou Pierre Rabhi. Elle a inspiré un engouement médiatique, des mesures incitatives et commerciales. Ces mesures vont profiter aux classes dominantes détentrices du capital culturel2 et du capital social. Bien qu’on parle d’écologie populaire, ce qui existe réellement c’est l’écologie bourgeoise, incarnée depuis 30 ans dans le capitalisme vert3. Jean-Baptiste Comby rappelle à cette occasion le paradoxe du capitalisme qui consiste en une accumulation illimitée des capitaux et des profits, dont le socle est la dévalorisation des ressources naturelles, exploitées alors qu’elles sont limitées (la «nature bon marché»). Ce capitalisme vert s’est notamment développé grâce à Rob Hopkins et les villes en transition (AMAP, repas locavores …) puis on a vu le nom du ministère de l’écologie se modifier en  ministère de la «transition écologique» ou comment le capitalisme vert se nourrit du milieu militant. Une double dynamique se joue, la lutte féroce contre les militants et le désarmement de la critique par la récupération du langage.

La galaxie écologiste

Elle est composée de deux pôles opposés

– L’écologie réformatrice, bourgeoise, la plus répandue.

– L’écologie non capitaliste : ZAD, alternatives, …, très située socialement mais qui nourrit malgré elle une écologie réformatrice car ils incarnent par leurs modes de vie, une écologie inaccessible. L’exemple de la lutte contre l’autoroute A69 est légitime et malgré cela elle peut générer du rejet d’une partie des habitants du territoire qui n’ont pas le même profil culturel. L’écologie est donc dans une impasse, là où elle ne tient pas compte des logiques qui façonnent l’ordre social. Il faudrait d’abord transformer ces logiques sociales pour adhérer à des logiques pleinement écologiques, sinon on est poussé à être «écolo mais pas trop». Les classes dominantes mettent en place ce qui nous éloigne de l’écologie : parcoursup, la réforme du bac, les groupes de niveau, ce qui à travers l’institution scolaire façonne nos subjectivités. 

L’écologie suppose de reprendre le pouvoir parce que ceux qui ont le pouvoir aujourd’hui, ils ont surtout le pouvoir de détruire le vivant, de malmener la planète. Donc il faut leur retirer le pouvoir, les mettre hors d’état de nuire afin de réinstituer des logiques sociales qui nous amènent donc, sans qu’on s’en rende compte d’ailleurs, vers des comportements écologiques. Une société écologique c’est une société où on n’aurait pas à se comporter comme des écologistes, où le comportement normal, le comportement reconnu, socialement accepté par le plus grand nombre serait d’emblée écologique.

Jean-Baptiste Comby

S’engager dans une écologie non capitaliste demande de sortir de sa zone de confort, de transformer en profondeur nos critères, ce qui compte dans la vie, ce qu’est une vie réussie. En sociologie ce sont des processus de contre socialisation. C’est à dire qu’il faut se défaire de tout ce que la société a imprimé en nous. Et il faut pour vivre autrement, collectivement, des ressources culturelles importantes et du temps. Ces personnes sont généralement politisées et cultivées, le point commun est qu’elles travaillent à ne pas reproduire les logiques capitalistes dans chacun de leurs faits et gestes : c’est la politisation du moindre geste. C’est en ce sens que cette énergie et cet engagement gagneraient à être réorientés vers des luttes de transformations sociales pour reprendre le pouvoir, au risque de le laisser à une écologie réformiste, devenue outil des détenteurs de l’ordre social. 

S’organiser collectivement pour reprendre le pouvoir dans les urnes, dans la rue, en faisant des blocages, en allant faire de l’éducation politique, en allant parler dans des territoires qui sont abandonnés au Rassemblement National. Peut-être qu’on arriverait à construire un autre rapport de forces et c’est là aussi que l’écologie est une lutte des classes.

Jean-Baptiste Comby

Le Rapport au temps et à l’espace des jeunesses bourgeoises leur permet de penser à long terme les problèmes de la planète. À l’inverse, au sein des quartiers populaires, le rapport à l’avenir et à l’espace sont très contraints. Comment penser l’écologie en résonance avec ces vécus-là ? C’est un constat partagé par Fatima Ouassak4 qui propose  aux habitants des quartiers populaires de reprendre la main sur leur territoire.

Les logiques propres au capitalisme vert y sont présentes car une alliance entre une gauche de rupture et une gauche sociale-démocrate réveille l’inquiétude de voir réapparaitre les responsables de la situation actuelle – Glucksmann, Hollande et autre Cahuzac. Ce sont fondamentalement les rapports de domination qui génèrent les inégalités environnementales et qui doivent donc être au centre de la réflexion écologiste.

Politiser la petite bourgeoisie culturelle

Une écologie transformatrice des rapports sociaux peut se faire avec l’écologie comme levier et comme boussole. Or, c’est au travers des instances de socialisation que l’on construit sa subjectivité : nos façons d’être, de réagir, et de sentir sont forgés par les collectifs amicaux, familiaux… au sein desquels on évolue et au sein desquels on se parle. Aujourd’hui ces instances sont sous emprise capitaliste. Pour reprendre le pouvoir, on doit s’engager à mobiliser l’ancien bloc de gauche : relier les classes populaires qui sont fragmentées et politiser la petite bourgeoisie culturelle sur des intérêts écologiques partagés.

En conclusion et en réponse aux questions, Jean-Baptiste Comby rappelle que la lutte des classes a toujours été internationale, tout comme le mouvement climat. L’internationalisation du capitalisme dans les institutions doit être un modèle pour un mouvement écologique déjà internationalisé. Concernant le pouvoir des médias, contrairement à l’idée reçue selon laquelle ce seraient les médias qui façonneraient nos idées, le sociologue explicite que c’est la rencontre de nos idées avec celles des médias qui nous influencent, ce sont nos pratiques qui nous mènent aux idées. Le plus important est bien de transformer les conditions d’existence qui façonnent les subjectivités des individus car c’est aussi dans les débats que les opinions se transforment.

La conversation est le creuset de l’opinion.

Jean-Baptiste Comby citant Gabriel Tarde

[1] Jean-Baptiste Comby, La question climatique. Sociologie d’un processus de dépolitisation, Raisons d’agir, coll. « Cours et travaux », 2015.

[2] Le capital culturel est l’ensemble des ressources culturelles dont dispose un individu. Ce concept sociologique est introduit par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans La Reproduction. Il existe aux côtés du capital économique et du capital social. La notion de capital culturel a été construite pour rendre compte de l’inégalité des performances scolaires, en mettant d’emblée l’accent sur l’inégale distribution entre les classes des instruments nécessaires à l’appropriation des biens culturels.

[3] «la continuation d’un système qui dans son principe est destructeur de l’environnement et qui, dans sa dernière phase, s’est traduit par une expansion extraordinaire des inégalités. C’est seulement une construction et un habillage idéologique pour faire croire que l’on peut évoluer par rapport à l’environnement sans changer les déterminants fondamentaux de nos régulations sociales, de notre système économique et de la répartition des pouvoirs dans cette société» Hervé Kempf, 2009. 

[4] Politologue, essayiste, consultante en politiques publiques, et militante écologiste, féministe et antiraciste. Pour une écologie pirate : et nous serons libres, édition La Découverte, 2023.

Trois questions clés

Qu’est-ce que l’écologie politique ?

L’écologie devient politique lorsqu’elle appelle à une profonde transformation du modèle économique et social actuel ainsi qu’à une remise à plat des relations entre l’être humain et son environnement. Aux États-Unis, les figures tutélaires du courant écologiste sont Henry David Thoreau, Aldo Leopold et Rachel Carson. En Europe, le premier à articuler combat pour la nature et combat politique fut un militant anarchiste, le géographe Élisée Reclus.

Qui est Geneviève Pruvost ?

Elle est sociologue du et du genre au Centre d’étude des mouvements sociaux (EHESS), et diplômée de permaculture. Ses recherches portent sur la politisation du moindre geste et les alternatives écologiques. Elle a notamment publié, avec Coline Cardi, Penser la des femmes, aux éditions La Découverte.

Qu’est-ce que la social-démocratie ?

Il s’agit du courant politique et économique, apparu au XIXe siècle, qui tend à incorporer certains éléments du socialisme dans une démocratie libérale. L’expression recouvre à la fois la dénomination employée par divers partis socialistes, la forme d’organisation de ceux-ci, un courant idéologique et une pratique politique. De nos jours, le terme de social-démocratie désigne un courant politique qui se déclare de centre gauche, réformiste tout en appliquant des idées libérales sur l’économie de marché.

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