De l’instrumentalisation de l’Islam par la gauche dans les années 1980, puis la loi sur le voile par la droite, les violences policières, la laïcité à géométrie et ennemis variables, le film sonde nos âmes, et notre monde. Jusqu’où remonter le récit, d’où repartir pour identifier les maux de notre société, tel est son pari. Foutrement réussi.
«C’est un film que j’ai commencé en 2015 en réaction aux attentats terroristes qui ont frappé Paris mais aussi à ce qui fut la réponse gouvernementale apportée : la déclaration de l’Etat d’urgence et surtout le discours sur la déchéance de nationalité.» Le réalisateur remonte alors le fil d’un discours «qu’on a l’impression d’entendre depuis toujours.» En résulte un film qui «examine la montée des discours racistes depuis les années 80 et la restriction des libertés depuis 2015.»
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Un fil rouge : Yasser Louati
Le film démarre par une interview assourdissante donnée par Yasser Louati. Le soir des attentats du 13 novembre 2015, ce militant des droits humains se retrouve devant la caméra de CNN qui «cherchait un arabe français qui parle anglais pour pouvoir le mettre en direct à la télévision» raconte Paris, pour lui asséner «vous êtes musulman, les terroristes sont musulmans, il y a eu des attentats, vous deviez forcément être au courant, pourquoi vous n’avez rien dit?»
Le dispositif audiovisuel est violent : il est 5h du matin, il fait froid, Louati ne voit pas ses interlocuteurs, et on le somme de s’expliquer sur les attentats qui ont eu lieu 24h plus tôt… «Le tout, en présupposant qu’il est musulman» glisse Paris. Lorsque ce dernier le rencontre, le réalisateur ne connaît pas cette séquence. Lorsqu’il la découvre, la première chose qu’il veut, c’est «le mettre devant cette interview pour qu’il fasse lui-même le commentaire critique de cette séquence.»
Déchéance de nationalité
Dufresne et Paris remontent le temps. 48h après avoir déclaré l’État d’urgence, Hollande réunit le Parlement et le Sénat, au Congrès de Versailles. Paris rappelle comment, dans ce discours, Hollande «qui se pense encore un président de gauche», proclame que la France a été attaquée parce qu’elle est la patrie des droits de l’Homme, puis met en avant le projet de déchéance de nationalité au mépris de l’article 1 de ladite Déclaration. Le pire étant que l’ensemble de la classe politique, et notamment le RN, s’est levée pour l’applaudir. Hollande regrettera ce discours, mais le mal est fait.
La déchéance de nationalité institue l’inégalité en droit des citoyens devant la loi, et se fait non seulement au mépris de l’article 1 de la Déclaration des droits de l’Homme, que François Hollande revendique dans son discours, mais aussi au mépris des principes de la République.
Joseph Paris
Suite à cette séquence, Paris rappelle qu’il y eu 3.500 perquisitions chez des familles supposées musulmanes, dont moins de 1 % d’affaires liées au terrorisme. Des enfants voient des policiers rentrer chez eux avec des armes d’assaut, et leurs parents plaqués au sol à 6 h du matin. Le film de Paris dénonce notamment cette «vengeance», cette «intimidation», voire cette «terreur» et ses dégâts à l’encontre de ces populations.
L’islamo-diversion
Dans le film, Louati parle «d’islamo-diversion». Paris explique ce néologisme par «le fait de prendre un fait divers et d’en faire une affaire nationale (…) pour jeter le discrédit sur toute une partie de la population en faisant des liens honteux avec le terrorisme.» Il donne notamment l’exemple des burkinis en 2016, un mois à peine après l’attentat du 14 juillet à Nice.
L’instrumentalisation de l’islam est au cœur du film, nous emmenant jusqu’aux grèves des années 1982/1983, alors que le gouvernement de Pierre Mauroy amorce son «tournant de la rigueur.» Le PS ne pouvant adopter les mêmes éléments de langage que la droite, qui part à l’offensive sur le thème de l’immigration, elle choisit la voie de «l’intégrisme musulman.» Le ministre de l’intérieur Gaston Defferre parle même «d’une grève chiite.» Selon Paris, ces confusions sont à chercher notamment dans l’interprétation de la révolution iranienne de 1979 qui a complètement bousculé une gauche française se considérant comme «propriétaire du principe de révolution sociale.»
La laïcité à la française
Le film avance dans le temps. Nous voilà en 1989, à Creil avec ce qu’on va appeler «l’affaire du voile» : deux lycéennes voilées, une information qui devient une affaire nationale. Ce moment officialise la décomplexion du racisme anti-arabe, et donc acte la naissance de l’islamodiversion. Bientôt, des centaines de caméras sont mobilisées pour aller filmer au téléobjectif les jeunes filles à la sortie des lycées.
Nicolas Sarkozy se laisse convaincre par François Baroin sur sa proposition de modifier le principe de laïcité en déplaçant l’obligation de neutralité de l’Etat vers les individus. Ou comme le résume Joseph Paris : «la laïcité n’est plus une frontière entre l’Eglise et l’Etat, mais entre nous et les autres.» Ainsi, l’Etat permet l’expression du racisme en renvoyant les individus à leur appartenance religieuse, au mépris du principe de laïcité de la loi de 1905.
Il y a une religion en France qui échappe à ce régime [de la laïcité], c’est l’islam. Le Conseil français du culte musulman est une création de Nicolas Sarkozy, qui est sous tutelle du ministère de l’Intérieur. Elle est où la laïcité de 1905 à cet endroit ?
Joseph Paris
À propos du voile, la voix off du film nous dit «on n’a jamais autant vu un vêtement qu’on disait ne pas vouloir voir.» Le réalisateur ajoute «à supposer que ces élèves qui portent le voile à l’école soient sous l’emprise d’une famille fondamentaliste, religieuse, quel effet ça peut produire de les exclure de l’école publique, sinon de les renvoyer à une école coranique et donc d’aggraver le problème qu’on prétend combattre ?»
La fin de l’Etat de droit ?
Dans Le Repli, Paris présente un extrait renversant d’un dénommé Macron, Emmanuel, qui fait un lapsus, alors qu’il vient d’être élu pour la première fois. En rappelant sa promesse de sortir de l’Etat d’urgence, il fourche, et dit «nous allons sortir de l’État de droit». Et de fait, la loi dite «antiterroriste» qui devait acter la sortie de l’État d’urgence, fait entrer dans le droit commun la quasi-totalité de ses mesures d’exception. Paris, en spectateur averti, observe que le Président avait choisi de promulguer la loi devant les caméras «en s’encadrant du porte parole du gouvernement et de son ministre de l’Intérieur», sans sa ministre de la justice, assumant «l’effacement de l’État de droit non seulement dans le lapsus, mais aussi dans l’image.»
À propos d’images, un propos du film retient l’attention du taulier : «les images de violences policières sont ambivalentes.» Pour Paris, même s’il faut continuer de filmer les violences de la police, il ne faut pas négliger le pouvoir de ces images, et notamment celui de dissuader la population de manifester. Rappelant l’intitulé de l’article 24 de la loi Sécurité Globale, interdisant non pas la diffusion d’images de violences policières, mais la diffusion d’images de violences policières dont les auteurs des violences n’ont pas le visage flouté, Paris affirme «ce qui gêne, ce n’est pas la publicité de ces violences, mais qu’on porte atteinte à l’impunité des auteurs.»
Entre expérimental et mainstream
Le taulier pointe le fait que pour certain.es, le montage du film peut s’apparenter à celui des films complotistes. Loin de s’en offusquer, Paris est amusé «c’est marrant parce que ce n’est pas la première fois qu’on me fait la remarque. On me l’a faite en commission de cinéma, mais de la part de gens qui, avec cet argument, rejetaient l’ensemble des faits que je mettais sur la table avec ce film.» Le réalisateur assume avoir voulu faire le pari d’un film «à mi-chemin entre l’expérimental et le mainstream», avec la contrainte de la condensation en 90 minutes de «quarante ans de harcèlement de la parole publique à l’égard de certaines catégories de populations.»
J’ai assumé un montage ultra rythmé qui amène une forme d’oppression du spectateur à certains moments pour faire ressentir, et c’est le but du cinéma, ce que peuvent vivre certaines catégories de populations. Et d’ailleurs les gens qui sont plus concernés que toi et moi par ces discours-là et qui voient le film ne le trouvent pas aussi violent que d’autres. Ils le trouvent beaucoup moins violent qu’une matinée sur CNews par exemple.
Joseph Paris
Un film pensé pour le cinéma
«C’est un documentaire d’auteur tel qu’on en voit plus qu’au cinéma, avec un point de vue, un texte admirable» félicite Dufresne, mentionnant le travail sur la lumière, le son, la désaturation des images… Pour Paris, s’est posé une triple exigence dans son travail d’auteur documentaire : avoir un point de vue, traiter les archives avec honnêteté, et travailler avec «les images du pouvoir elles-mêmes irriguées d’un montage idéologique qui manipule le spectateur.» Pour Paris, le traitement graphique des images d’archives, montré dans le film dans une mise en abîme, permet de renvoyer l’interrogation du spectateur sur la manipulation qui est dissimulée du montage d’origine.
Face aux archives télévisuelles, «le cinéma se constitue en refuge pour ralentir ce flux» dit Paris, rappelant à quel point il faut profiter de ces moments et de cet espace que propose le cinéma. D’autant que, comme le témoigne Dufresne, Le Repli est un film qui a besoin d’être débriefé, prolongé par les discussions et débats avec le public. «C’est une expérience qu’on ne peut pas télécharger» soutient Paris.
Le temps long est une arme contre le pouvoir
Arrive la question rituelle aupostienne : «qu’est-ce qu’on a fait ce matin au Poste ?»
Le réalisateur déclare alors «on a pris un temps long pour parler d’un film qui s’inscrit lui-même dans un double temps long : le temps long des archives jusque dans les années 80, et puis le temps long depuis 2015 jusqu’à aujourd’hui. Le temps long, à mon sens, est une arme contre le pouvoir. C’est pour ça que les archives coûtent si cher. Parce que ça permet de débusquer les mensonges, les hypocrisies, les retournements de veste et de sortir de la tyrannie de l’actualité qui remplace un fait divers par un autre, une actualité par une autre, qui nous noie, nous aveugle sur ce qui est en train de se passer dans le pays. Ici, quelque chose est tenté par ce film. Et notre entretien d’aujourd’hui revient à ce temps long et nous permet de penser à nouveau les images à l’écart d’un temps médiatique qui les dépense sans compter.»
Cinq questions clés
A travers la figure du militant Yasser Louati, et un travail minutieux, à la fois politique et esthétique des images d’archives, Le Repli «examine la montée des discours racistes depuis les années 80 et la restriction des libertés depuis 2015» résume son réalisateur.
Yasser Louati est un militant des droits Humains, que le réalisateur Joseph Paris rencontre en 2015, et autour duquel il construit la narration de son premier long-métrage, Le Repli.
Pour Paris, «le temps long est une arme contre le pouvoir», et il en donne pour illustration le prix très cher des images d’archives, qui «permettent de débusquer les mensonges, les hypocrisies, les retournements de veste et de sortir de la tyrannie de l’actualité qui remplace un fait divers par un autre, une actualité par une autre, qui nous noie, nous aveugle sur ce qui est en train de se passer dans le pays.»
Joseph Paris rappelle que «la déchéance de nationalité institue l’inégalité en droit des citoyens devant la loi, et se fait non seulement au mépris de l’article 1 de la Déclaration des droits de l’Homme, que François Hollande revendique dans son discours, mais aussi au mépris des principes de la République.» Suite à cette séquence, il y eu dans les semaines qui suivirent, 3.500 perquisitions chez des familles supposées musulmanes, dont moins de 1 % d’affaires liées au terrorisme.
Ce terme est utilisé par Louati dans le film Le Repli. Le réalisateur le définit comme «le fait de prendre un fait divers et d’en faire une affaire nationale (…) pour jeter le discrédit sur toute une partie de la population en faisant des liens honteux avec le terrorisme.» Il donne notamment l’exemple des burkinis en 2016, un mois à peine après l’attentat du 14 juillet à Nice.
- propagande https://x.com/AuPoste1/status/1849128400151093302 & https://x.com/AuPoste1/status/1850505299779592445 & https://x.com/AuPoste1/status/1850505302619087080
- Joseph Paris https://josephparis.fr/ & https://x.com/josephparis
- Cinéma libre : entretien avec Joseph Paris (Ralamax Prod) https://www.numerama.com/politique/10836-cinema-libre-entretien-avec-joseph-paris-ralamax-prod.html
- Le Repli – Joseph Paris – 2024 https://josephparis.fr/le-repli & https://www.senscritique.com/film/le_repli/56082327 bande annonce https://youtu.be/bI5NMDVNvgE
- Le Repli. Une intelligence créatrice du documentaire par Sarah Franck http://www.arts-chipels.fr/2024/10/le-repli.une-intelligence-creatrice-du-documentaire.html
- Le repli – Un film lanceur d’alerte sur le racisme systémique en France et la naissance de l’islamophobie par Laurent Klajnbaum https://linsoumission.fr/2024/10/21/le-repli-film-lanceur-alerte/
- #AuPoste – Le RN contre la presse indépendante – David Dufresne https://www.auposte.fr/le-rn-contre-la-presse-independante/
- Thomas Deltombe https://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Deltombe
- Mireille Delmas-Marty https://fr.wikipedia.org/wiki/Mireille_Delmas-Marty
- #AuPoste – s06-30 – 4 octobre 2023 Global Police. Ou la BD qui manquait avec Fabien Jobard & Florent Calvez https://www.auposte.fr/global-police-magnique-et-terrible-voyage-en-bd-de-linvention-du-bobby-anglais-au-modele-chinois/
- #AuPoste en public – s06-46 – 2 novembre 2023 Les magnifiques sauvages – débat avec Fabien Jobard & François Buton https://www.auposte.fr/les-magnifiques-sauvages-et-debat-avec-fabien-jobard-et-francois-buton/
- Vanessa Codaccioni https://science-politique.univ-paris8.fr/Vanessa-Codaccioni
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