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Romain Huret #AuPoste

Le péril Trump, avec l’historien Romain Huret

Romain Huret est un honnête homme: historien et américaniste. Sa spécialité: l’histoire sociale et politique des USA. Il sort ces jours-ci «États-Unis, anatomie d’une démocratie» (Les Arènes), en compagnie de Thomas Snégaroff. Un recueil de 30 question-réponses, qui remontent aux fondements de la démocratie US et nous donnent les clés pour comprendre le désastre actuel. La démocratie américaine n’a jamais semblé si fragile. Risque-t-elle de s’effondrer  ? Que reste-t-il de cet idéal ? Peut-elle, une fois encore, se réinventer ?

Huret, dont les travaux se concentrent sur les questions de pauvreté, d’inégalités, de politiques fiscales et d’aides sociales aux États-Unis, était avec nous pour décortiquer ce qui se joue le 5 novembre.

«Rappelez-vous, la démocratie ne dure jamais longtemps. Elle gaspille, s’épuise et se meurt. Il n’y a jamais eu une démocratie qui ne se soit suicidée.» Ces mots viennent de John Adams, l’un des pères fondateurs et l’un des premiers président des États-Unis. 

Si Huret et Snégaroff les ont mis en exergue dans Anatomie d’une démocratie (Les Arènes), c’est qu’ils manifestent ce qu’ils ont appelé « le paradoxe démocratique initial fondateur», c’est-à-dire cette tension entre l’idéal égalitaire et républicain, et cette peur d’une démocratie «qui pourrait donner le pouvoir à tout le monde.» À l’origine des États-Unis donc, des Pères fondant une république limitée – excluant du vote les natifs, les afro-américains et les femmes. Aujourd’hui, cette tension semble avoir atteint son paroxysme.

Rien ne semble fonctionner correctement. On a des hommes d’affaires au pouvoir démesuré qui peuvent faire des chèques d’un million de dollars à quiconque accepte de défendre la Constitution. Et de l’autre côté, des citoyens qui n’ont pas complètement accès au droit de vote, et un charcutage électoral qui risque de peser lourd mardi prochain.

Romain Huret

Le charcutage électoral désigne le processus du camp républicain qui depuis une vingtaine d’années a tout fait pour redécouper les circonscriptions dans les États de façon à faciliter l’élection de ses candidats. Dans des États clés comme la Géorgie, ce charcutage «pourrait permettre à Donald Trump de l’emporter» pointe Romain Huret.

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Quel type de démocratie voulons-nous ?

Romain Huret rappelle les bases : «ce qui permet à la démocratie de survivre, c’est la séparation des pouvoirs.» Or aujourd’hui, ces limites sont de plus en plus floues. En témoignent les multiples interventions de Trump dans des affaires en cours, y compris des affaires le concernant lorsqu’il était président. 

Ce qui se joue le 5 novembre, c’est l’interprétation même de la Constitution des États-Unis.

Romain Huret

«Est ce que les pères fondateurs avaient inclus dans le texte originel le mariage homosexuel ? Ou la sécurité sociale ?» Ces questions, explique Romain Huret, sont au cœur du clivage qui divise les USA. Celui-ci oppose les originalistes, autrement dit les conservateurs martelant que la Constitution doit se lire de manière littérale, et exclure tout type de mesures sociales comme celles-ci, et les progressistes, qui défendent une interprétation plus flexible de ces textes d’origine, évoquant le «welfare», le droit au bien-être, qui y est mentionné. La question des droits des femmes, des minorités sexuelles, le droit à l’IVG est «l’une des lignes de clivages les plus fortes» entre Harris et Trump, souligne Huret.

Comment appelle-t-on une démocratie où existe une dérégulation absolue des campagnes en termes médiatiques ? Un pays où les temps de parole sont contrôlés, où un milliardaire comme Elon Musk «est capable de faire rouler son réseau social entièrement pour un candidat» ? Une démocratie malade.

Une élection qui se joue en Pennsylvanie 

«L’élection va se jouer dans dix États, dans une quarantaine de comtés, à quelques milliers de voix. C’est comme si en France, Laval ou Brest allaient faire l’élection, et qu’on s’intéressait à la géographie de Laval ou Brest, pour voir quel quartier allait assurer l’élection présidentielle» explique Romain Huret, avant de développer le système électoral américain. Aux États-Unis, ce qui compte, explique-t-il, c’est de «remporter les États et au moins 270 grands électeurs». Le nombre de grands électeurs diffère dans chaque État en fonction de sa population.

À ce jour, Donald Trump et Kamala Harris peuvent compter sur environ 200 à 210 grands électeurs chacun. Il en manque 60. C’est pour cette raison que la campagne se concentre sur les sept états où le nombre de grands électeurs est déterminant. Parmi eux, avec 19 grands électeurs, la Pennsylvanie est l’État qui en possède le plus grand nombre. Pour cette raison, «aucun candidat ne pourra gagner l’élection sans gagner la Pennsylvanie» affirme Romain Huret, avant d’aller plus loin «si on réduit, la focale, tout va se jouer dans quelques comtés en Pennsylvanie.»

Vote trumpiste et le complexe militaro-industriel

«Pour comprendre le vote trumpiste, il faut avoir en tête la géographie du complexe militaro-industriel» lance le directeur de l’EHESS. Aux USA, le complexe militaro-industriel, c’est 16 millions de militaires et vétérans, auxquels s’ajoutent leur famille, et tous les gens qui travaillent dans des usines d’armement. Au total, des dizaines de millions de personnes sont associés de près ou de loin à la militarisation du pays. Or, une militarisation aussi extrême, notamment dans un pays dont l’armée s’est professionnalisée, ne peut pas être sans conséquence sur le pays lui-même, explique Romain Huret.

La guerre brutalise à l’extérieur, mais elle brutalise aussi à l’intérieur. Un pays ne peut pas envoyer des millions de soldats combattre à l’étranger et croire que le retour va bien se passer.

Romain Huret

Le 6 janvier 2021, lors de l’assaut du Capitole, «la plupart des émeutiers avaient servi en Irak, en Afghanistan» pointe Romain Huret. 

De la déportation au fascisme

Romain Huret ne cache pas son inquiétude. Il rappelle qu’une partie de la population croit toujours que l’élection de 2021 a été volée et que les assaillants du Capitole sont des prisonniers politiques, comme les qualifie Trump – il a d’ailleurs promis de les gracier s’il était élu. 

S’il n’y a plus de confiance dans les institutions, dans les résultats électoraux, dans les médias, qu’est-ce qu’il reste aux citoyens pour se faire entendre? Il reste ce qu’il s’est passé le 6 janvier 2021.

Romain Huret

De la ville de Porto Rico comparée à «une poubelle», à la rhétorique politique très guerrière de cette campagne, où l’on parle de fascisme des deux côtés, où les ennemis sont menacés de mort, «la brutalisation de la vie politique américaine a atteint un niveau exceptionnel» alerte l’historien. 

Selon lui, cette déshumanisation des terroristes à l’extérieur du pays, ancrée dans le 11 septembre 2001, «a fini par avoir des effets à l’intérieur, conduisant à une déshumanisation extrême des populations immigrées dans le pays.» Tout le monde se souvient de ce que Trump a dit sur «les Haïtiens qui mangent des chiens». Aujourd’hui, le candidat nous parle d’un plan massif de déportation «avec toute une organisation militaire et un recours à l’armée pour expulser les immigrants manu militari et dans les meilleurs délais» rappelle Romain Huret.

Le sort des USA est aussi le nôtre

Aujourd’hui, la base trumpiste s’est agrandie, alors que les mots du candidat n’ont jamais été aussi violents et ses propositions aussi inquiétantes : explosion des droits de douane, plan massif de déportation, plan massif de transformation de l’État fédéral – que Trump appelle «l’État profond». Sans parler de la question de l’Ukraine, d’Israël, de Taïwan.

Trump ne m’intéresse pas beaucoup. Ce qui m’intéresse, c’est le trumpisme, c’est les millions d’hommes et de femmes qui se reconnaissent en lui.

Romain Huret

Alors que l’entretien s’achève, Romain Huret ne se leurre pas : «les semaines à venir vont être très compliquées. Elles le seront si Trump est élu, et s’il n’était pas élu, face à un candidat et des soutiens aussi virulents, on risque d’avoir plusieurs semaines de contestations des résultats.» L’historien invite tout le monde à regarder de l’autre côté de l’Atlantique : «ce qui est en train de se passer aux États-Unis concerne aussi le reste du monde. Et mercredi matin, on pourrait se réveiller dans un monde vraiment transformé.»

Cinq questions clés

De quoi parle Anatomie d’une démocratie (Les Arènes) ?

Le livre, co-écrit par Romain Huret et Thomas Snégaroff, remonte aux fondements de la démocratie des USA et nous donne les clés pour comprendre le désastre actuel. En trente questions clés et avec beaucoup de pédagogie, l’ouvrage dresse avec intelligence le portrait d’un pays au bord de la rupture avec la démocratie.

Que s’est-il passé le 6 janvier 2021 au Capitole ?

Le 6 janvier 2021, Donald Trump provoque ce qui sera considéré comme une tentative de coup d’État : la prise d’assaut du Capitole par ses partisans, qui considèrent que l’élection présidentielle américaine remportée par Joe Bien a été volée. Depuis, Trump est mis en accusation dans cette affaire.

Qu’est-ce que Romain Huret nomme «le paradoxe démocratique initial fondateur» ?

Cette expression désigne cette tension entre l’idéal égalitaire républicain, et cette peur de la démocratie «qui pourrait donner le pouvoir à tout le monde.» À l’origine des États-Unis donc, des Pères fondant une république limitée – excluant du vote les natifs américains, les afro-américains et les femmes. Aujourd’hui, cette tension semble avoir atteint son paroxysme.

Pourquoi le complexe militaro-industriel est-il si important aux USA ?

Aux USA, le complexe militaro industriel représente 16 millions de militaires et vétérans, auxquels s’ajoutent leur famille, et tous les gens qui travaillent dans des usines d’armement. Au total, des dizaines de millions de personnes sont associés de près ou de loin à la militarisation du pays.

Pourquoi peut-on dire que l’élection présidentielle américaine se joue en Pennsylvanie ?

Aux États-Unis, pour être élu.e président.e, il faut remporter les États et au moins 270 grands électeurs, dont le nombre diffère dans les États en fonction de la population. Trump et Harris pouvant compter chacun sur 200/210 grand électeurs, l’élection se joue sur les 60 derniers. Or, avec 19 grands électeurs, la Pennsylvanie est l’État qui en possède le plus grand nombre

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