Montée du RN : la danse macabre des médias

Pour cette introspection nécessaire, causerie orchestrée entre Reflets, Blast, StreetPress et Au Poste. Ugo Palheta, auteur de l’ouvrage Extrême droite : La résistible ascension (Éditions Amsterdam), Daniel Schneidermann, fondateur d’Arrêt sur Image, Aurélien Saintoul, rapporteur parlementaire sur l’Arcom, et Clémence Guetté, responsable du programme La France Insoumise, dévoilent les rouages de cette complicité, consciente ou non, des médias dans la montée du RN.

« On se retrouve avec un Rassemblement National que les médias caressent dans le sens du poil », lâche Ugo Palheta. Pendant plus de deux heures, Palheta, Guetté, Schneidermann et Saintoul déconstruisent le rôle des médias dans l’ascension du Rassemblement National. Dufresne, en animateur du débat, les invite à revenir sur le soutien implicite et parfois explicite des grandes chaînes comme Cnews, propriété de Bolloré, et la normalisation par BFM des discours lepénistes. Schneidermann évoque avec lucidité les défaillances du « journalisme de paresse », tandis que Guetté insiste : « Ces médias sont un rouage central de l’extrême droite, pas une simple caisse de résonance ».

Le débat prend parfois des allures de tribunal : les invités sont unanimes sur le fait que la responsabilité des grands médias dépasse largement la simple diffusion des idées de l’extrême droite. Clémence Guetté dénonce la connivence entre certains journalistes et les figures du RN, leur offrant une tribune sans contradiction, sous couvert de liberté d’expression. Les exemples sont nombreux, et le silence face aux propos racistes et xénophobes en est l’écho assourdissant.

Les médias, ennemis ou complices ?

David Dufresne questionne : est-ce que les médias dits “indépendants” font vraiment mieux? Daniel Schneidermann, un brin agacé, admet : « On pourrait être plus incisifs, moins frileux à dénoncer ce que BFM ou Cnews cautionnent chaque jour ». « Le problème est systémique », réplique Clémence Guetté : les chaînes mainstream servent des intérêts privés, et ce sont ces intérêts qui poussent à « normaliser » Le Pen. Ugo Palheta ajoute : « Il y a eu un avant et un après la couverture médiatique de 2017. Ce soutien, parfois voilé, a permis au RN d’asseoir sa légitimité ».

Aurélien Saintoul, qui a travaillé auprès de l’Arcom, se montre plus précis : « Quand des médias comme Cnews deviennent des outils de propagande, il ne s’agit plus de journalisme mais d’un relais de communication politique ». Ce moment provoque une onde de choc sur le plateau. Daniel Schneidermann, d’abord sur la défensive, finit par concéder que la recherche du sensationnel a parfois pris le pas sur le devoir d’information. Il n’hésite pas à critiquer la « complaisance des talk-shows », où l’on préfère inviter des polémistes plutôt que des experts sérieux, parce que ça fait monter l’audience. « Les journalistes ont une part de responsabilité, ils ont cédé à la facilité », conclut-il.

« L’influence de Bolloré est un véritable cancer »

Le nom de Bolloré revient souvent dans la discussion. Aurélien Saintoul frappe fort : «l’influence de Bolloré sur l’audiovisuel est un véritable cancer. On n’informe plus, on manipule ». Cette déclaration enflamme le plateau. Palheta enchaîne en détaillant comment Cnews, en se construisant sur le modèle de Fox News, a fait du RN un parti presque respectable. « On ne peut plus se voiler la face. Les médias mainstream jouent un rôle crucial dans la montée de l’extrême droite », résume Clémence Guetté, avec un ton de colère contenue.

Les médias dominants ne sont pas seulement complices, ils sont des acteurs directs de la montée de l’extrême droite.

_{Clémence Guetté}

La discussion s’intensifie alors autour de question de la normalisation des idées du RN à travers les débats publics organisés par ces médias. « Ces soi-disant débats d’idées ne sont que des paravents pour valider des propos discriminatoires », accuse Saintoul. Il rappelle qu’à plusieurs reprises, les chaînes comme Cnews ont mis en scène des affrontements artificiels pour légitimer des discours de haine, en les présentant comme de simples opinions divergentes. Plusieurs voix du tchat se joignent alors à l’indignation générale : « C’est la banalisation du mal », clame SansVoix91, un fidèle d’Au Poste.

Vers un Réveil Médiatique ?

« Que faire ? », interroge Dufresne. La réponse de Schneidermann est claire : « peut-être qu’il est temps de réinvestir ces médias, de ne pas laisser le champ libre ». Pour Clémence Guetté, la solution tient aussi dans le soutien à une presse indépendante, honnête, qui dénonce sans relâche les collusions entre politique et grands groupes médiatiques. « Ce qu’il faut, c’est une loi anti-concentration des médias ! », lance l’Aupostien  Révolté64, visiblement approuvé par une partie de l’audience.

Ugo Palheta insiste sur la nécessité de créer des plateformes qui ne se contentent pas de réagir aux récits de l’extrême droite, mais qui produisent un contre-récit puissant, mobilisateur. « Il ne suffit pas de dire que le RN est dangereux, il faut montrer pourquoi et proposer une véritable alternative », argue-t-il. Daniel Schneidermann acquiesce, tout en avouant que cela nécessite des moyens et un engagement collectif. Le tchat rebondit avec enthousiasme à cette idée : « Construire un média, libre de toute pression financière, c’est notre seul salut », commente UsulPropagande.

L’émission se termine sur une note d’espoir. «Il est encore possible de changer les choses», déclare Clémence Guetté. «Mais il faut être lucide sur le rôle des médias et les intérêts qu’ils servent». David Dufresne, toujours pragmatique, encourage chacun à soutenir la presse libre, celle qui ne se vend pas aux plus offrants.

Ugo Palheta, quant à lui, invite le public à se réapproprier le débat public, à investir dans l’éducation critique des médias pour que chacun puisse discerner l’information de la propagande. «Si nous voulons un futur différent, nous devons nous battre dès aujourd’hui pour le contrôle de notre imaginaire collectif», conclut-il au milieu d’une passion palpable.

Trois questions clés