Acte I : l’extase
Comment apprécier l’hyperprésence des forces de l’ordre durant les JO de Paris ? En feuilletant la presse. Alors s’ouvre un monde enchanté, d’une « attraction inattendue1 » des forces de l’ordre, gagnées par une « bonne humeur contagieuse2». Ainsi au Figaro on s’extasie sur les policiers américains, les « guest-stars3 » des rues de Paris. Au JT de 20h de TF1 4 on s’extasie également sur les 1.800 renforts étrangers, « cette présence rassure » et donne « un air d’Hollywood ». Sur Europe 1, d’une vidéo d’une femme dansant avec un policier sous l’Arc de Triomphe, on rédige que « contaminés par l’euphorie générale, ces Jeux sont une véritable parenthèse enchantée » pour les policiers et que « ces séquences sont la preuve de la bonne humeur que les forces de l’ordre retrouvent sur le terrain5 ».
Au même sujet, Le Parisien titre « JO Paris 2024 : quand les policiers dansent avec les touristes… 6» jusqu’à dire : « on connaissait la chanson de Renaud J’ai embrassé un flic, et bien maintenant, certains touristes ou spectateurs des JO peuvent dire j’ai dansé avec un flic ». Sur BFM, de cette même vidéo l’on susurre que « La magie des Jeux, ce sont aussi ces petits instants hors du temps7 » – ou, avec le bandeau « Les forces de l’ordre, ces autres stars des JO8 », l’on parle de « policiers et gendarmes “vraiment à l’unisson” du public ».
Notons d’emblée qu’aucunes autres sources ne sont citées que policières ou préfectorales. Alternent seulement les déclarations du ministre de l’Intérieur Darmanin, du préfet de Paris Nunez, du directeur de l’ordre public, du directeur territorial de la sécurité de proximité, une porte-parole de la Police Nationale, du secrétaire général du syndicat de police Unité, « un major », « une policière », « un cadre de la police », « un gardien de la paix », « un commissaire » ou des « professionnels de la sécurité ». Les seules exceptions à ces sources sont… des déclarations du Président de Paris 2024 Tony Estanguet ou des réactions de touristes sur les trottoirs, sacrée expertise.
Acte II : un plan com qui se déroule sans accroc
Du contenu journalistique d’autant plus qualifiable de journalisme de préfecture, autant sur le fond que dans sa profusion, tant il s’inscrit dans une opération globale de communication des FDO. Un certain type de journalisme définit par les journalistes d’Acrimed Pauline Perrenot et Frédéric Lemaire comme « un ensemble de réflexes et de pratiques médiatiques qui conduisent à relayer, sans aucun recul, le discours “officiel” (celui des autorités, de la police ou de la justice) à propos d’opérations de maintien de l’ordre9 ». Saisissable à la base lors de « période de grandes tensions sociales et politiques », ce journalisme de préfecture semble pouvoir se saisir, à l’aune de ces JO, lors de « période de grands enjeux sociaux et politiques » plus généralement.
Ont fleuri par exemple des articles descriptifs, suivant des policiers dans leurs démonstrations d’activités et rapportant peu ou prou leurs dires, sans recul. Par exemple, CNews est « en immersion avec la brigade fluviale de la police de Paris10 » avant le début des Jeux. Le Parisien suit la cérémonie d’ouverture « racontée depuis la “tour de contrôle” chargée de surveiller et sécuriser la cérémonie11 ». Le Figaro est « au coeur de la cellule de crise de la préfecture de police de Paris, sur le pied de guerre pour les JO12 ». Le Monde est « à Paris, dans les pas de la police municipale13». Un contenu médiatique qui peut s’inscrire dans une « communication proactive » de la maison poulaga, capable selon le sociologue Michaël Meyer de fournir un produit « qui est tout à fait média-compatible, qui est adapté au format médiatique attendu et qui, souvent, est repris en l’état ou de manière très directe par le monde des médias14 ».
Une communication associant les réussites sportives et les forces de l’ordre qui se double également à l’intérieur des stades, avec des athlètes comme la coureuse demi-finaliste du 800m Anaïs Bourgoin, ancienne membre de la BAC dans le XVIIIe arrondissement de Paris et qui plaisante en toute décontraction : « Avant, je courais derrière les voleurs porte de Saint-Ouen. Aujourd’hui, je cours au Stade de France ». Propos repris dans un article dans lequel CNews conclut : « Les athlètes français brillent à Paris, les membres des forces de l’ordre aussi15» (mais propos également repris élogieusement par Le JDD16, Le Figaro17 ou Le Parisien18). Jusqu’à déclarer au micro de la même chaîne six jours plus tard : « Les valeurs du sport se rapprochent pas mal des valeurs de la police19 » – ce à quoi le présentateur lui-même fait la comparaison et lui demande son avis sur la « réussite sécuritaire » des Jeux. On y arrive enfin.
Car toute cette euphorie médiatique, en omettant le contexte d’ultrasécurisation, en facilite le développement. Dans leur ouvrage Media Events : The Live Broadcasting of History (Harvard University Press, 1992) les sociologues Daniel Dayan et Elihu Katz analysent le rôle de la retransmission des grands évènements (dont les JO) par les médias : « L’événement a la priorité absolue sur tous les autres programmes ; il est placé au-dessus de toutes les préoccupations concurrentes et étroitement protégé de toute interférence avec son contenu politique » (p.89). Dans le mille. On peut appliquer ce constat à l’ensemble de la couverture médiatique des JO. Illustration parfaite dans notre cas (à retenir pour la suite), le commentaire d’un journaliste de 20 minutes, en chute de son article, sur « Ces vidéos incroyables de policiers qui dansent avec la population » : « Bon, après il y a quand même quelques rageux qui mettent sur le dos des médias tout le malheur du monde. Sauf que nous, ça nous fait bien plaisir aussi de telles scènes20 ».
Dont acte, mais ne pas parler du contenu politique, ce n’est pas seulement l’occulter. C’est que, en louant les FDO sans recul, c’est également une dangereuse et diffuse normalisation des dispositifs de sécurité qui se produit, et par là, un terreau meuble pour la légitimation d’un état sécuritaire permanent. D’autant plus que l’analyse des faits n’est pas simple.
Acte III : ce n’est pas si simple
Le sociologue et spécialiste des sciences de la police Sebastian Roché, bien connu d’Au Poste, évoque une « sacrée opération de communication » du Ministère de l’Intérieur.
Pour le directeur de recherche au CNRS, le problème est d’abord « de confondre le fait de faire des vidéos sympathiques avec une transformation réelle des attitudes des Français [vis-à-vis de la police] ». Ces attitudes, qu’il a étudiées notamment dans De la police en démocratie (Grasset, 2016) sont, selon lui, principalement structurées par les relations et interactions lorsque l’on traite avec la police (services rendus, abus de pouvoir, etc.). Or « ces expériences là n’ont pas été modifiées à l’échelle de la France. On comprend que les policiers s’en satisfassent, mais ils se méprennent. Il peut y avoir un effet temporaire, mais pas durablement. ». En règle générale Roché évoque un effet Téflon de la police : « Curieusement, la police ne souffre pas longtemps des chocs (effet Téflon comme après les interventions fiasco), et réciproquement ne retient pas non plus les embellies (effet Téflon aussi, ou d’évaporation comme après les attentats, la confiance diminue).»
Le problème, ensuite, est d’en attribuer une réussite en termes de sécurité aux forces de l’ordre. Alors que « si l’on dépasse les éléments de langage » selon Sebastian Roché, c’est bien plus compliqué. D’un côté « les JO peuvent avoir un effet général sur la délinquance » avec « pleins d’effets » à prendre en compte : aménagement urbain, changement de population, etc.: « Notons également que les victimes de délits, originaires de pays étrangers, sont moins susceptibles d’appeler la police et de porter plainte ». D’un autre côté : « La police peut avoir un effet sur la délinquance sur les “zones concernées” par les tactiques policières (forte présence). Il faudrait regarder dans la région les zones qui sont concernées par les épreuves et celles qui ne le sont pas. Si on observe un effet à la fois dans les lieux des épreuves et en dehors, cela veut dire que la fréquence des délits est affectée par l’événement JO ».
Or, des études sur le sujet « les résultats sont compliqués et pas univoques », Roché cite notamment l’étude de Chen et al. (2002)21, aux résultats succincts : diminution significative dans les zones olympiques et non-olympiques de Pékin en 2008 mais augmentation des vols à main armée dans les zones olympiques de Rio en 2012 (85.000 soldats et policiers déployés) et augmentation des agressions à Londres en 2016.
Le problème enfin, et surtout, est que les chiffres du Ministère de l’Intérieur qui permettraient aux scientifiques de réaliser ce travail d’analyse, ne sont pas disponibles : « Ce qui serait souhaitable, c’est que le Ministère fournisse les données brutes » conclut Sebastian Roché. Effets et causalités entre dispositif policier et une réussite sécuritaire sont donc bien plus complexes, mais surtout inquantifiables et invérifiables jusqu’à présent.
Acte IV : accueillir l’ultra-sécurité
Pris aux Jeux pourtant, à la fin de la période des Jeux survient le questionnement tout légitime d’Europe 1 « JO Paris 2024, l’amélioration de la sécurité, constatée dans la capitale, pourrait-elle perdurer ? » ; l’extase du rédacteur en chef du JDD (ex-Valeurs Actuelles), Geoffroy Lejeune, sur CNews : « On est en train de vivre une parenthèse paradisiaque à Paris22 » ; la tribune de la syndicaliste Linda Kebbab dans le Figaro : « Le succès sécuritaire des Jeux olympiques ne doit pas rester une parenthèse23 » ; le constat de FranceInfo « Les forces de l’ordre se félicitent du bon déroulement de leurs missions pendant les JO de Paris 202424 » avec un raisonnement fécond « Les forces de l’ordre, ont rempli leurs missions puisqu’aucun incident majeur n’est à déplorer ». Vraiment ?
D’une part, la formule « aucun incident majeur » (provenant des policiers mêmes) est questionnable sur le plan des actions menées par les FDO durant ces JO. De manière non-exhaustive, toute une autre réalité : interdiction totale de manifester, déplacement contraint de personnes sans-domicile-fixe et migrants, démantèlement de camps et mise à la rue d’exilé.e.s, nassage et mise en garde à vue injustifiée de journalistes25, mise d’amende pour port du drapeau palestinien ou la mise en garde à vue de femmes pour avoir soutenue une marathonienne voilée26. Entre autres.
D’autre part, remarquons que la formule est insidieuse, puisque parler « d’incident » comme critère d’évaluation évacue tout simplement la question de l’installation et la pérennisation de dispositifs ultra-sécuritaires, entre hyper-présence policière, fichage de masse et surveillance algorithmique.
Une présence massive de plus de 35.000 hommes et femmes déployés, environ 18.000 soldats, 20.000 personnels de sécurité et une ville barricadée par plus de quarante mille barrières. Une hyper-présence policière, qualifiée avec admiration par le Figaro d’une « véritable armada, aux dimensions d’une armée napoléonienne en campagne27 », qui se double d’une hyper-ostentation. C’est le cas avec les 1.800 agents venus en renfort de 40 pays de l’étranger, dont on ne saisit pas vraiment l’intérêt en termes de maintien de l’ordre, mis à part la promotion géante de la figure policière en uniforme (un « air d’Hollywood » effectivement…) ou un gigantesque colloque de discussions sur les meilleures méthodes de répression et surveillance. A la limite, peut-être aurait-ce été l’occasion pour la police française, surarmée, de s’inspirer d’autres approches policières en termes de maintien de l’ordre. Raté, sur CNews le secrétaire national du syndicat de police Unité y voit l’inverse : « Quand on se compare avec les polices du monde entier, on se rend compte qu’on est au top niveau28 ».
Niveau fichage politique, les médias ont allègrement repris la déclaration d’Emmanuel Macron selon laquelle « près de 5.600 personnes potentiellement dangereuses » ont pu être écartées par les enquêtes du service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS). Omettant le plus souvent de mentionner que ces enquêtes permettent une interconnexion massive de fichiers (ACCReD) qui donne accès aux antécédents judiciaires (même sans poursuites) mais également (entre autres) aux « opinions politiques, état de santé, activités sur les réseaux sociaux ou encore convictions religieuses…29 ». Un fichage de masse dont l’utilisation a, par exemple, permis d’écarter des professionnels (secouristes, régisseurs, opérateur de transport, etc.) et leur interdire de travailler30 durant les JO sur simple bases de lien avec des actions militantes. La Quadrature du Net a recensé ces témoignages dans un article détaillé31.
Enfin, et c’est sûrement le symbole de l’ultra-sécurisation de ces JO, le déploiement de la vidéosurveillance algorithmique (VSA) – analyse en direct des comportements, collecte de données sans précédent, reconnaissance faciale, risques très élevés de discriminations algorithmiques, etc. En tout, 485 caméras pilotées par des logiciels d’IA. Une dérive sécuritaire peu traitée par les médias nationaux dans ces articles, pourtant reconnue et documentée par de nombreuses associations comme Amnesty International32 ou La Quadrature du Net33.
Nous en avions d’ailleurs discuté Au Poste avec Thomas Jusquiame, auteur de Circulez, la ville sous surveillance (Marchialy, 2024). L’occasion de rappeler ce que les études démontrent et ce qu’il est lui-même obligé de rappeler quasi systématiquement : « Pour ce qui est de la vidéosurveillance, elle est inefficace pour réduire la criminalité ».
Un déploiement sans précédent donc, dont la non-médiatisation et la louange sans recul critique de la « réussite sécuritaire » globale ne peut qu’accompagner une pérennisation et normalisation de ces dispositifs.
Acte V : de l’exceptionnel à l’ordinaire
Dans un entretien avec Mediapart, le chercheur en science politique américain Jules Boykoff résume habilement la chose : « Je n’ai jamais assisté à des Jeux olympiques où l’on achetait de nouvelles caméras de surveillance et où à peine la compétition achevée, on les remettait dans leurs boîtes pour les renvoyer au fabricant34 ». Au-delà, il définit même « la militarisation de l’espace public au prétexte de la sécurité » comme l’un des piliers inhérents à chaque édition des JO.
Tout cela participe plus globalement d’une tendance autoritaire de fonctionnement de l’Etat par mesures dites d’exception. En effet, souvent justifiés par des besoins sécuritaires exceptionnels et souvent adoptés dans des cadres législatifs exceptionnels, les dispositifs sécuritaires déployés lors d’évènements ou de périodes à forts enjeux n’ont souvent plus rien d’exceptionnel après la fin desdits évènements. Ils deviennent la norme. Pour le philosophe italien Giorgio Agamben, l’entrée dans l’ordinaire par l’exceptionnel devient le propre même du fonctionnement de nos états modernes : « L’état d’exception, que nous avons coutume d’envisager comme une mesure toute provisoire et extraordinaire, est en train de devenir sous nos yeux un paradigme normal de gouvernement35 ».
Et pour ces jeux, pas d’exception, d’où la justesse des termes de « laboratoire » ou d’ « expérimentation » pour évoquer le déploiement des dispositifs ultra-sécuritaires. Sur la vidéosurveillance algorithmique par exemple, exceptionnelle a priori, la « loi JO » adoptée en 2023 prévoit que les expérimentations ne durent que jusqu’à mars 2025. Or dès à présent La Quadrature du Net alerte de « projets de loi visant à pérenniser la VSA36 » (dans les transports , les gares par exemple) et annonce avoir déposé plainte devant la CNIL. Un pas de plus dans l’ère de la surveillance de masse, déjà bien avancée, puisque dans les années 1970, rappelons que la CNIL elle-même a été créée à la suite de l’affaire SAFARI, dans une société où il était encore impensable de laisser les services étatiques interconnecter nos données personnelles.
De là à la loi renseignement de 2021 ou le déploiement de la VSA durant les JO, l’exceptionnel a fait son chemin dans l’ordinaire. Dans une émission d’Arrêt sur Images dédiée au sujet de l’introduction de la VSA durant les JO, la spécialiste Technologies et droits humains à Amnesty International Katia Roux parle d’un « pied dans la porte » : « On voit bien qu’à situation exceptionnelle, moyens exceptionnels, certes, mais ces moyens restent. L’héritage des JO sera certainement celui des technologies de surveillance37. »
Acte VI : les médias et la normalisation de l’exceptionnel
Sous cet angle, le traitement (ou disons le non-traitement) médiatique dilettante des forces de l’ordre et du contexte ultra-sécuritaire durant ces jeux apparaît comme partie prenante de la normalisation de ces dispositifs. Tant en omettant la critique et la prise de recul, qu’en y associant les réussites.
Si l’on reprend le vocabulaire des articles sur l’euphorie autour des FDO durant cet évènement , un brin du langage unidimensionnel du sociologue et philosophe Herbert Marcuse s’installe alors dans l’air, « la parole et le langage s’imprègnent d’éléments magiques, autoritaires, rituels38 » : attraction inattendue, bonne humeur contagieuse, guest-stars, air d’Hollywood, euphorie générale, parenthèse enchantée, magie des Jeux… Un langage « dont le propre est d’effacer la tension avec le réel et d’encourager au conformisme39 » Ce qui, par-là même, annihile la contradiction. Un langage qui tend « à exprimer et à favoriser l’identification immédiate entre le facteur et le fait, entre la vérité et la vérité établie, entre l’essence et l’existence, entre la chose et sa fonction40 ». « Traversé par de semblables images, hypnotiques et personnalisées41 » ces articles peuvent, selon Marcuse, aller « jusqu’à donner une information essentielle et objective » tout en closant réflexions ou critiques.
On retrouve ce propos dans l’analyse des événements médiatiques des sociologues déjà évoqués Dayan et Katz. Selon eux, le rôle des médias lors de ces événements est d’autant plus important du fait que « l’événement tel qu’il est représenté est celui qui est vécu et souvenu. (…) La reproduction est désormais plus importante que l’original42 ». Raison de plus pour prendre du recul sur de tels traitements médiatiques, où ils définissent le rôle des journalistes lors de ces évènements comme des « prêtres » ayant « tendance à être neutralisés par leur rôle cérémoniel, piégés dans la rhétorique de la lubrification révérencielle » (un certain sens de la formule) lesquels, et c’est le propos de cet article, « se transforment parfois en panégyristes de l’establishment43 ».
On retrouve ici les propos des journalistes Pauline Perrenot et Frédéric Lemaire (Acrimed) sur le journalisme de préfecture : « Bien au-delà de l’auto-censure, les plus hauts gradés de la profession ne rechignent pas nécessairement à intégrer ces directives, ni ne les considèrent comme une pression. Pour la simple et bonne raison que les chefferies éditoriales et les éditorialistes les plus en vue se vivent eux-mêmes comme des gardiens de l’ordre ». C’est ainsi que pour les deux sociologues ces « événements médiatiques ont tendance par exemple à inhiber les manifestations perçues comme hostiles44 ».
Dans leur travail, les deux sociologues accordent aux médias de masse un effet de mythification des principaux acteurs et institutions45 en « leur conférant à la fois légitimité et charisme pendant et après l’événement46 », à cet égard ils citent les JO où, médiatisés, « le sport et les athlètes sont renforcés47 » – mais qu’en est-il alors dans notre cas, où les FDO ont été associées au traitement médiatique louangeur ?
Acte VII : clôture des jeux, faites vos jeux
L’on en vient, enfin, à la clôture de ces jeux médiatiques pour les FDO et, surprise « Il y aura un avant et un après » déclare le préfet Laurent Nunez au Parisien à propos de « l’héritage des Jeux en matière de sécurité ». Et le laïus reprend, sous la plume du journaliste du Parisien les JO sont un succès « sportif, festif et sécuritaire grâce à la présence quotidienne de 30.000 policiers et gendarmes placés sous sa seule autorité » – petite phrase qui, avec un peu de conscience, rafraîchit déjà l’arrière de la nuque. L’entretien s’ouvre ensuite sur des questions dignes du quatrième pouvoir « Avez-vous le sentiment du devoir accompli ? » ou « Quelles sont les clés de cette réussite ? ». Et là, illustration parfaite de notre propos, s’enchaînent pour clore l’article les deux questions « Il y a eu des scènes de joie entre forces de l’ordre et population. Même les policiers de la Brav-M se sont fait applaudir lors des marathons. Comment interprétez-vous cela ? » et « Quel sera l’héritage des JO en matière de sécurité ? ».
Et là, tout aussi digne de l’illustration du propos : à Nunez de répondre « Les forces de l’ordre se sont rapprochées de la population durant ces JO, n’en déplaise à la minorité qui les désigne comme violentes et racistes » (un raisonnement… socratique) ; « Ça ne m’étonne pas du tout que la Brav-M soit applaudie ». Et enfin, que tout logiquement « tous les investissements au sein de la préfecture de police en matière de salles de commandement vont évidemment rester (…) il y aura un avant et un après-JO en termes de sécurité ». Bien sûr, aucun questionnement sur aucun des sujets mentionnés dans cet article, ni même sur ce qu’englobent ces « investissements » qui vont rester, ou au contraire, sur ceux qui étaient censés ne pas rester.
À la fin des JO, le préfet de police remercie dans une vidéo48 ses agents et les renforts : « La séquence est un succès à plusieurs titres grâce à vous toutes et tous ». Le terme est le bon : c’en était une séquence médiatique réussie. A quels titres, on s’inquiète. Grâce à qui, on a des éléments de réponse.
1 Paris 2024 : les forces de l’ordre, l’attraction inattendue des Jeux (FranceInfo)
2 VIDEO. JO de Paris 2024 : ces policiers gagnés par la bonne humeur contagieuse des touristes et des athlètes (France 2)
3 «C’est comme dans les films américains»: les policiers de NYPD «guest-stars» des rues de Paris pendant les JO (Le Figaro)
4 JO 2024 – “Ça provoque un effet waouh auprès de la population” : des policiers du monde entier en renfort à Paris (TF1)
5 «Ça fait vraiment du bien» : à Paris, l’euphorie des JO gagne aussi les rangs de la police (Europe 1)
6 JO Paris 2024 : quand les policiers dansent avec les touristes… « ça montre un autre aspect de leur fonction » (Le Parisien)
7 JO 2024: quand les policiers français deviennent l’attraction pour les touristes (BFMTV)
8 JO Paris 2024: policiers et gendarmes “vraiment à l’unisson” du public (BFMTV)
9 Médias et violences policières : aux sources du « journalisme de préfecture » (Acrimed)
10 JO 2024 : CNEWS en immersion avec la brigade fluviale de la police de Paris (CNews)
11 Paris 2024 : la soirée racontée depuis la «tour de contrôle » chargée de surveiller et sécuriser la cérémonie (Le Parisien)
12 Au cœur de la cellule de crise de la préfecture de police de Paris, sur le pied de guerre pour les JO (Le Figaro)
13 JO 2024 : à Paris, dans les pas de la police municipale (Le Monde)
14 Francou Lionel, « Michaël Meyer, Médiatiser la police, policer les médias », Lectures, 2012.
15 JO 2024 : «J’espère que les voleurs comprendront pourquoi je les rattrapais tout le temps» ironise Anaïs Bourgoin, policière qualifiée pour la finale du 800 m (CNews)
16 Des «voleurs de Saint-Ouen» aux JO de Paris, la policière Anaïs Bourgoin en demie sur 800 m (Le JDD)
17 JO – Athlétisme : «Je courais derrière les voleurs Porte de Saint-Ouen…», Anaïs Bourgoin, la policière de la BAC applaudie au Stade de France (Le Figaro)
18 JO Paris 2024, athlétisme : de la BAC au Stade de France, le parcours d’Anaïs Bourgoin, coureuse de 800 m (Le Parisien)
19 JO 2024 : «Les valeurs du sport se rapprochent pas mal des valeurs de la police», affirme la demi-finaliste du 800m Anaïs Bourgoin (CNews)
20 JO 2024 : Ces vidéos incroyables de policiers qui dansent avec la population (20 minutes)
21 Yongqi Chen et al., « Gold, silver, and bronze: Measuring the impact of the Beijing 2008, London 2012, and Rio de Janeiro 2016 Olympics on crime», Journal of Criminal Justice, Volume 78, 2022.
22 https://x.com/CNEWS/status/1819077898600394846
23 Linda Kebbab: «Le succès sécuritaire des Jeux olympiques ne doit pas rester une parenthèse» (Le Figaro)
24 TÉMOIGNAGES. “Ça s’est très bien passé” : les forces de l’ordre se félicitent du bon déroulement de leurs missions pendant les JO de Paris 2024 (FranceInfo)
25 Témoignage vidéo : deux journalistes placés en garde à vue abusive en marge des Jeux olympiques en France (Reporter Sans Frontières)
26 Huit femmes du collectif des Hijabeuses ont été placées en garde à vue en marge des JO (Mediapart)
27 Sécurité des JO 2024: dans les coulisses d’une «armée napoléonienne» à la logistique hors norme (Le Figaro)
28 «Quand on se compare avec les polices du monde entier, on se rend compte qu’on est au top niveau», affirme Jean-Christophe Couvy, secrétaire National Unité (CNews)
29 Jeux Olympiques : fichage de masse et discrimination politique (La Quadrature du Net)
30 À Paris, un campement démantelé et des exilés condamnés à passer la nuit à la rue (Mediapart)
31 Jeux Olympiques : fichage de masse et discrimination politique (La Quadrature du Net)
32 JO Paris 2024 : de la vidéosurveillance algorithmique à la reconnaissance faciale, il n’y a qu’un pas – Amnesty International France (Amnesty International)
JO 2024 : Pourquoi la vidéosurveillance algorithmique pose problème (Amnesty International)
33 Faites interdire la vidéosurveillance algorithmique dans votre ville ! (La Quadrature du Net)
34 Parisiens et habitants du 93 « devraient avoir leur mot à dire sur l’utilisation de leur argent pour les JO » (Mediapart)
35 Agamben Giorgio, L’État d’exception, Seuil, 2003.
36 Contre l’empire de la vidéosurveillance algorithmique, La Quadrature du Net contre-attaque
37 Surveillance : “Les JO servent d’expérimentation à des systèmes sécuritaires” (Arrêt sur images)
38 Marcuse Herbert, L’Homme unidimensionnel. Essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée, 1964, trad. de l’anglais par M. Wittig, Paris, Éd. de Minuit, 1968, P.110.
39 Herbert Marcuse (Publictionnaire)
40 Op. citée, p.110.
41 Op citée, p.117.
42 Media Events : The Live Broadcasting of History, Harvard University Press, 1992, p.210.
43 Op. citée, p.193.
44 Op. citée, p.199.
45 Op. citée, p.191 et p.199.
46 Op. citée, p. 192.
47 Op. citée, p.199.
48 https://x.com/prefpolice/status/1823732598817878048?t=T_CcJ8ChpcfUfJRJwJxh4w&s=19