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La Police dans l’œil de Jossot et Faujour

Jusqu’au 30 août 2024 se tient au Musée de l’Histoire vivante de Montreuil, l’exposition « La Police dans l’œil de Jossot et Faujour ». Une cinquantaine de dessins vitriolés et hauts en couleur, dont des originaux et des inédits, dénonçant avec la même impertinence une répression policière brutale, du XIXe siècle à aujourd’hui.

Le duo que forme l’exposition est né «sous l’oeil avisé de l’activiste écrivain et militant Maurice Rajsfus» nous apprend le Musée de l’Histoire Vivante. Maurice Rajsfus (1928-2020) «a vu dans la patte de ces deux dessinateurs une ironie irrévérencieuse commune. Fondateur du bulletin « Que fait la Police ? », il a dénoncé, depuis les années 1980, les violences policières – toujours accompagnées d’un dessin piquant.»

Quand Jossot rencontre Rajsfus

Le style de Jossot, qui commence sa carrière de dessinateur d’abord humoristique en 1892, à 26 ans, est affirmé : un aplat rouge et noir pour faire resurgir toute la monstruosité de l’Etat, l’Armée, l’Eglise, la Police. Il ne cherche pas tant à faire rire qu’à dénoncer «les violences infligées au peuple, aux ouvriers, aux employées de maison, aux enfants des écoles et des internats» comme le rapporte Éric Lafon, directeur du musée de l’Histoire vivante. Il dessine pour la revue satirique L’Assiette au beurre, dont il participe au lancement en 1901, et illustre notamment le fameux numéro Circulez! «consacré à cette police dirigée par le radical-socialiste Émile Combes à la fois chef du gouvernement et ministre de l’Intérieur et des cultes» explique Eric Lafon.

Cette dénonciation par Jossot de cette police répressive, brutale, plaît à un Maurice Rajsfus qui «rencontre» la police française la première fois, un matin, le 16 juillet 1942. Il a 14 ans, lorsqu’il est arrêté avec ses parents et sa soeur Jenny lors des rafles du Vel d’hiv. Il attendra quarante années pour parler de cet «événement» qui fit de lui, l’enfant immigré juif, un orphelin et une victime de la répression policière aux ordres du «premier flic de Vichy», René Bousquet.

Éric Lafon, directeur du musée de l’Histoire vivante

Que fait la police ?

Philippe Rajsfus retrace une période charnière : en 1994, soit un an après «l’assassinat de Makomé M’Bowolé, tué d’une balle à bout portant, au commissariat des Grandes Carrières, dans le 18e arrondissement de Paris, par un inspecteur de police, alors qu’il était attaché à une chaise, Maurice Rajsfus et Jean-Michel Mension alias Alexis Violet décident de créer l’Observatoire des Libertés Publiques». Dans la foulée, Maurice Rajsfus crée un bulletin, Que fait la police ?, mensuel édité par l’Observatoire jusqu’en 2014, pour «faire partager mon horreur de pratiques policières qui ne peuvent qu’être montrées du doigt» témoigne son fondateur. Il sollicite alors des dessinateurs et caricaturistes comme Babouse, Boudjellal, Cabu, Charb, Gébé, Gil, Luz, Margerin, Olive, Siné, Soulas et Tignous, qui participeront bénévolement, pontuellement ou régulièrement à l’illustration de ce quatre-pages au format A4.

Le bulletin se compose de brèves, d’articles de fond, pour rapporter et analyser «les faits et méfaits des forces de l’ordre» comme le dit Philippe Rajsfus. Jusqu’en 2002, le tirage papier est envoyé à plusieurs centaines d’abonné.es, audience décuplée au moment du passage au numérique.

Que fait la police ? prend momentanément congé de ses lecteurs, avec ce constat : sous la gauche, comme sous la droite, le comportement policier ne s’est guère amélioré. Il n’en reste pas moins qu’avec le retour probable de la droite au pouvoir nos policiers se sentiront bientôt de plus en plus légitimes pour représenter la colonne vertébrale d’un État fort. Au service de ceux qui ne songent qu’à remettre au pas ceux qui ont eu l’audace de les marginaliser.

Dernier numéro de Que fait la police ?
Par ordre d’apparition, Marc Plocki (de l’association des Ami.e.s de Maurice Rajsfus),
Eric Lafon (directeur scientifique du musée de l’Histoire vivante), David Dufresne (écrivain-réalisateur) et Loïc Faujour (dessinateur).

Faujour et Rajsfus : une amitié

C’est en 1995 que Rajsfus rencontre Loïc Faujour, à l’occasion d’une sollicitation pour le bulletin. Il en deviendra le dessinateur «le plus fidèle et le plus prolixe, avec plus d’une centaine de dessins et de caricatures» raconte Philippe Rajsfus. Lorsque la parution du bulletin s’arrête au bout de vingt ans, il n’en est rien de leur amitié et de leur complicité, préservée jusqu’à la fin de la vie de Rajsfus.

Un jour je lui dis : «Maurice, à 14 ans tu as échappé à la rafle du Vel’ d’hiv’ et aujourd’hui tu as vue sur un énorme entrepôt de Velib’ en bas de chez toi… décidément tu es poursuivi par le vélo !». Il a bien ri.
De fait, il aura pédalé dur pour faire valoir sa cause. L’ancien porteur de l’étoile jaune aura endossé le maillot jaune de la lutte contre les violences policières et n’aura jamais mis le pied à terre pour rappeler sans cesse qu’en France la police n’a pas toujours été et n’est toujours pas ce qu’elle devrait être vraiment.
Pacifiste, non-violent, accueillant, chaleureux, utopiste, riant tout seul dans sa moustache avec des histoires d’obscurs militants staliniens et d’adhérents à la «183e Internationale» auxquelles je ne comprenais absolument rien.

Loïc Faujour

Au printemps 2020, quelques mois avant sa disparition, Maurice Rajsfus avait commencé à rassembler tous les dessins de Loïc Faujour réalisés pour le bulletin Que fait la Police ? en vue de la publication d’un album. Ce projet, ainsi que la préface rédigée par Rajsfus, «allume la mèche» de la réalisation de cette exposition, explique Philippe Rajsfus, pour qui ce fut «comme une évidence», à la lecture de ces quelques lignes rédigées par Maurice :

L’ironie ravageuse de Loïc Faujour, sous son crayon, ne peut que rappeler les dessins fantastiques de Jossot dans L’Assiette au beurre, au temps où Georges Clemenceau officiait au ministère de l’Intérieur, avec ses splendides caricatures de sergents de ville bourrus ; ainsi ce superbe moustachu, bâton blanc à la main, interpellant un quidam déambulant de façon solitaire, avec cette injonction : «Dispersez-vous !»

Maurice Rajsfus

Les dessins exposés au Musée de l’Histoire Vivante témoignent d’époques différentes, mais de pratiques qui n’ont pas changé, de «la volonté de domination», «l’impératif d’avoir le dernier mot (ou le dernier cou)» jusqu’au mensonge et à l’impunité.

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