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La guerre, la presse et l’opinion, avec Daniel Schneidermann

De 1936 à 1939, comment la presse a préparé la guerre des esprits et les esprits à la guerre. Daniel Schneidermann, auteur de « La guerre avant la guerre » (Le Seuil), ancien patron et animateur historique d’Arrêt Sur Images, revient sur cette période grise, celle de la haine en mots avant la haine en actes. Toute ressemblance avec une époque actuelle ne serait pas totalement fortuite.

« La guerre avant la guerre : 1936-1939 » de Daniel Schneidermann succède à « Berlin 1933 » paru en 2018. Ce nouveau livre se concentre sur la française face à la montée d’Hitler et dresse un parallèle avec le monde actuel, même si « les deux ne se superposent pas », précise-t-il. Lire sur cette période rend néanmoins difficile de ne pas faire de liens implicites avec notre époque. Schneidermann prend le parti de dresser des comparaisons explicites.

Pour son travail auprès d’Arrêt Sur Images, il s’attelle à regarder Eric Zemmour à la télé tous les soirs pendant une semaine entière. Comment finit-on par s’accoutumer à ce discours ? C’est la question qu’il se pose alors, elle sera la ligne directrice de son livre.

Les années 1930 vues d’aujourd’hui

Un déluge de haine véhémente existait dans les années 30. La séquence rappelle à Daniel Schneidermann celle de la « Nuit de Cristal », effroyable pogrom qui se déroula du 8 au 9 novembre 1938. Élément déclencheur, un prétexte : à Paris, un jeune migrant juif de 16 ans tire sur un conseiller de l’ambassadeur d’Allemagne, qui meurt après trois jours d’agonie. La « Nuit de Cristal » surviendra comme représailles. Comment la presse traite l’affaire ? Toute la presse lynche d’avance le jeune juif, on espère qu’il sera jugé, condamné à mort. Toute la compassion va au diplomate nazi en train d’agoniser. Personne ne s’intéresse aux raisons de cet attentat: son auteur voulait venger ses parents, enfermés dans un camp d’internement entre la Pologne et l’Allemagne nazie.

Pourtant, ce qui structure le débat politique et médiatique français entre 36 et 39 n’est pas Hitler ou Mussolini, mais la guerre d’Espagne. Pour Daniel Schneidermann, c’est la presse d’extrême-droite qui fait vraiment la guerre avant la guerre : « L’action française » de Maurras, « Je suis partout », autre journal antisémite et raciste, et « Gringoire »,  célèbre pour avoir lancé une campagne de haine envers Salengro. C’est le premier acte de guerre de la presse d’extrême-droite, en 1936 : Salengro pousse à l’intervention en Espagne pour armer les républicains espagnols. Chaque semaine, la presse d’extrême-droite diffuse des faux témoignages indiquant, contre toute vérité, qu’il aurait déserté pendant la première Guerre Mondiale Le reste de la presse se détourne de ce débat et laisse Salengro seul, qui se suicidera à la suite de cette campagne de calomnie.

Les médias d’extrême-droite sont possédés par des actionnaires puissants, sauf « Je suis partout »,  qui rappelle, par certains aspects, « Valeurs Actuelles », et qui constitue un exercice de déversement de haine et « d’ironie destructrice », nous dit Schneidermann. Ils manient l’humour comme un Papacito aujourd’hui.

1936 vs. 2022 : Parallèles, convergences et divergences

En 1939, la loi Marchandeau tente de mettre un coup d’arrêt à l’expression du racisme dans la presse. « Je suis partout » ne peut plus faire de une sur les Juifs. Ils font alors une une sur les singes, la « question singe ». Aujourd’hui, la fachosphère parle de sangliers pour les migrants.

Déjà dans les années 30, à l’instar des CNews aujourd’hui, ce ne sont pas les journaux à la plus haute audience qui mènent le débat, mais ceux qui crient le plus fort. L’Action Française ne tire qu’à quelques dizaines de milliers d’exemplaires, ce qui n’est rien à l’époque. Publié souvent trop tard pour être envoyé en train vers la province, le journal royaliste n’était souvent lu qu’à Paris. Comme aujourd’hui, l’agenda d’extrême-droite semble s’imposer irrésistiblement même aux auteurs qui ne partagent pas ses positions. 

Dirais-tu que le problème n’était pas tant que la presse d’extrême-droite soit d’extrême-droite, mais que la presse “normale” ne fasse pas le boulot ?

Wokist | Tchat

Les deux vont de paire. On a, hier comme aujourd’hui, des thèmes d’extrême-droite devenus dominants et une presse mainstream qui « ne fait pas le boulot ». Et la seule presse qui fait « un peu le boulot », surtout à partir de 1938, est la presse communiste dont « Ce soir ». Aujourd’hui, il n’y a pas de puissant récit alternatif à l’extrême-droite, contrairement aux années 30 où s’érigeait le discours communiste.

Comment diffuser un discours de gauche

Être de gauche, c’est d’abord penser le monde, puis son pays, puis ses proches, puis soi ; être de droite, c’est l’inverse.

Gilles Deleuze

De ce point de vue, il est plus facile de diffuser un discours de droite qui va chercher à parler de choses proches de sa cible. Et c’est sans compter la force du dispositif. C’est elle qui l’emporte toujours. Pour faire passer un discours de rupture, il faut vraiment casser le dispositif. En ce sens, Mélenchon est plus efficace quand il tance le journaliste qui l’interviewe que quand il est avec Magali Berdah.

Comment aller chercher hors du cercle des convaincus ? David Dufresne croit plus à l’archipélisation de petits médias plutôt qu’à un projet de média généraliste comme « Ce soir » en 1936. Daniel Schneidermann pense qu’il faut les deux, dans l’idéal. Il faut de l’audience, mais la course à l’audience est un piège. La difficulté est de ne pas traiter les sujets grand public, mais faire s’intéresser le public aux sujets qui paraissent importants aux journalistes. Être journaliste, ce n’est pas être neutre. Pour Schneidermann, cette fiction de la neutralité a fonctionné jusqu’à l’avènement des réseaux sociaux. Mais le complotisme y a submergé le récit principal. Les réseaux sociaux sont désormais tout autant sous influence qu’ailleurs. Comme à la télévision, il faut y apprendre à déceler les mouvements artificiels.

Réseaux Sociaux et Médias Traditionnels

Aux présidentielles de 2022, Daniel Schneidermann aurait voulu une candidature unie. Quand il constate les invectives entre groupes de gauche, il pense à la guerre d’Espagne. Elle déchire la gauche espagnole (communistes, trotskystes, anarchistes) et entre ces 3 camps, ce sont batailles rangées, exécutions, délation et haine. Que ce serait-il passé si la gauche espagnole avait été unie entre 36 et 39 ? 

Daniel Schneidermann imagine David Dufresne représentant la mouvance libertaire, lui-même se verrait plus proche de la mouvance communiste malgré toutes les critiques qu’il peut lui faire, et il ne manquerait plus qu’Edwy Plenel pour venir représenter la gauche trotskyste. « Au moins, on arrive à se parler » dit-il avec un sourire malicieux. Et on a tout intérêt à se parler. Ne sommes-nous pas héritiers de cette histoire ? 

Est-il possible de débattre sans clasher ?

Lauvergnaterelou | Tchat

Difficile de réunir sur un plateau des gens qui s’insultent sur Twitter. Le manque de place poussant à ne pas nuancer. Reste que les antagonismes existaient avant. Blum a été victime d’insultes antisémites au sein même du Parlement. Dans les années 1990, les choses étaient néanmoins policées : à la télévision, des gens très divers pouvaient discuter. Ils n’avaient pas le choix. Cela donnait des émissions plus intéressantes selon Daniel Schneidermann. Chez Arret sur Images, il y a un travail préparatoire, des discussions préalables et on s’assure par téléphone que les invités soient capables de répondre à l’argumentation par l’argumentation. Scheidermann, membre du collectif « Stop Bolloré », relève que ce travail ne peut être engagé dans les rédactions des médias appartenant à des oligarques.

Pour lui, Twitter n’est pas un lieu de dialogue mais de monologue. Quoique miraculeusement, parfois, des dialogues émergent. Pour David Dufresne, il s’agit surtout d’un lieu formidable pour faire émerger des débats qui se tiennent ailleurs. 

La Guerre avant la guerre 1936-1939. Quand la presse prépare au pire Daniel Schneidermann

Pourquoi et comment s’accoutume-t-on au martelage raciste, aux insultes politiques, voire aux appels au meurtre ? Comment les mots, et la presse qui les édite, annoncent-ils et préparent-ils à la guerre ?

À partir d’un travail de sources considérable, Daniel Schneidermann chronique ici ce qu’il appelle la « guerre avant la guerre », la haine en mots avant la haine en actes. Il revisite ainsi le rôle des médias des années 1936-1939 dans l’escalade à la violence, depuis le suicide de Roger Salengro, les accords de Munich, la guerre d’Espagne ou la Nuit de Cristal.

Propagande, insultes antisémites, appels au meurtre, diffamations impunies… L’auteur s’attache à démonter les mécanismes du pouvoir politique et de la presse qui permettent que progressivement, en temps de paix, s’installe dans les esprits une culture qui prépare la guerre.

Daniel Schneidermann est journaliste, fondateur et animateur de l’émission Arrêt sur images. Il est par ailleurs l’auteur de plusieurs essais et romans. Au Seuil, il a publié Berlin, 1933 : la presse internationale face à Hitler (2018), qui a obtenu le prix du livre des Assises du journalisme de 2019.

https://www.seuil.com/ouvrage/la-guerre-avant-la-guerre-daniel-schneidermann/9782021478419
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