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Jérémy Rubenstein, Ludivine Bantigny & Albert Lévy #AuPoste

La France insoumise antisémite? Les historiens Bantigny et Rubenstein et le juriste Lévy ripostent… Au Poste

Ludivine Bantigny, Albert Lévy et Jeremy Rubenstein, co-signataires de la tribune publiée lundi par Au Poste «Réponse collective à une infamie : Sur l’accusation d’antisémitisme portée contre la France insoumise» étaient ce matin avec nous pour expliquer leur geste, leur intention, leur colère et leurs espoirs.

Cette discussion revient sur les éléments de réponses à la tribune, en amorçant une réflexion collective sur le conflit israëlo-palestinien et ce qu’il a fait ressurgir en France, tant sur le plan politique qu’au sujet de la mémoire et du droit.

De la subversion des valeurs au «double bind»

Notre pays traverse une véritable tragédie historique de celle qu’il a connue en 1894, avec les imputations mensongères, fallacieuses faites contre Alfred Dreyfus, où il y avait à ce pareil moment deux blocs en France, les dreyfusards, les antidreyfusards. Où la France est déchirée.

Albert Lévy

Indéniablement, il y a un avant et un après le 7 Octobre 2023 ; en France comme ailleurs. Les auteurs de la tribune pointent deux axes pour comprendre la tension au cœur du débat concernant la Palestine. D’une part, un paysage médiaco-politique violent où déontologie et méthodologie s’effacent devant le renversement de la vérité et d’autre part, une partie du champ politique de gauche ciblée en raison de son engagement humaniste et universaliste, par des accusations d’antisémitisme, auquel le texte répond en analysant la véracité.


L’extrême droite qui rafle la mise, partout. Les libertés fondamentales attaquées de toutes parts. Une gauche de gauche à reconstruire. Plus que jamais une presse réellement indépendante, et pas pareille, est nécessaire.

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C’est évidemment d’une part la position de la France insoumise sur la Palestine. C’est son rappel, comme une grande partie de la gauche, le fait qu’on est dans une situation de colonisation, d’occupation qui dure depuis 75 ans, qui en aucun cas ne justifie des massacres de civils. Mais c’est une position qui crée un clivage politique majeur. Une position qui est très claire sur le soutien au peuple palestinien dans sa lutte contre la colonisation, contre l’occupation et aussi contre l’apartheid. Et toutes celles et tous ceux, j’en fais partie, qui sont allés en Palestine, qui sont allés évidemment à Gaza, mais qui sont allés en Cisjordanie, savent qu’il s’agit d’un apartheid. Les médias ont une immense responsabilité à ne pas laisser passer ce genre d’accusations et à acquérir cette culture politique minimale sur la question palestinienne.

Ludivine Bantigny

Un soutien pour les civils innocents, qui se transforme en une position intenable, un «double bind», où chaque argument est interprété pour son contraire. Cela dans une société française, qui parce que traversée par des actes terroristes et la normalisation du discours d’extrême droite en vient à incriminer ceux qui cherchent une nuance face aux jugements hâtifs des chaînes d’infos continus et des réseaux sociaux. Ludivine Bantigny évoquenovembre 2019 comme un tournant, lorsque la France insoumise participe à la marche contre l’islamophobie pour expliquer les critiques radicales qui se sont déversées depuis. Masquant ainsi les discriminations orientées vers la culture arabo-musulmane. Un usage rhétorique qui est une porte ouverte à la banalisation de l’accusation d’antisémitisme.

Dans cette inversion idéologique, La France insoumise deviendrait le complice d’actes barbares, le réquisitoire se basant sur des prises de paroles jaillies d’une émotion non contenue sous l’effet du stress, tout en minimisant l’engagement concret issu de valeurs de gauche. S’opère alors une instrumentalisation puisque dans les faits, les partisans du racisme et d’une certaine accointance avec des négationnistes, sont du côté de l’extrême droite. Un deux poids deux mesures qui sert à discréditer une force politique dans un moment d’élection et de crise politique. D’autant plus, que dans le gouvernement Macron, c’est Darmanin qui cite un historien antisémite comme Jacques Bainville à la tribune de l’Assemblée nationale, et c’est notamment la Macronie qui veut réhabiliter l’antisémite, Maurras et qui veut réhabiliter Pétain.

Hier, un candidat aux législatives représentant le Rassemblement national, a parlé du gaz qui a rendu justice aux victimes de la Shoah. Qui s’en est ému à part nous? Je n’ai pas entendu la LICRA, je n’ai pas entendu le CRIF.

Ludivine Bantigny

Or Jean-luc Mélenchon a pris parti plusieurs fois pour des juifs, comme démontré dans la tribune. Ludivine Bantigny prenant l’exemple de celles et ceux qui ont porté plainte contre lui, notamment Nathalie Kosciusko-Morizet, Alain Juppé et Jean-François Copé, et qui ont été condamnés pour préjudice moral parce qu’ils avaient porté plainte pour antisémitisme à son encontre.

Une réponse aux questionnements légitimes des honnêtes gens

Il s’agissait vraiment de trouver un équilibre extrêmement compliqué. C’est ça le sens de la discussion commune, de l’élaboration commune. On a essayé de faire ce travail de manière rigoureuse, attentive, en lisant beaucoup, en reprenant toutes les lectures qu’on avait pu faire déjà au préalable sur des interpellations. Ce texte se veut constructif et aussi critique. Il interpelle sur la nécessité d’une autocritique de la gauche en général et aussi de la France Insoumise, à partir du moment où elle connaît cette interpellation.

Ludivine Bantigny

Dans ce contexte, il est important de faire un travail d’investigation pour informer les citoyens,  de manière éclairée, au-delà de leur appartenance culturelle, et ce afin de promouvoir une éthique démocratique qui permette de mettre en lumière et de documenter ce qui relève de la diffamation et de la vérité.

Vous avez dit des choses qui ont pu blesser ; ce n’était pas votre intention. Excusez-vous. Entendez les voix qui vous interpellent.

Ludivine Bantigny

En effet, pour une part de la population juive de France et pas seulement, ces propos ont pu heurter la sensibilité à travers un «faisceau d’indices», comme nous le rapportait Arié Alimi, lors d’un débat AuPoste avec Simon Assoun. Ce sont donc des interrogations qui demandent clarification, pour servir la cause émancipatrice incarnée par la gauche, et le problème c’est qu’il y a déjà eu des dérapages dans le passé, et que son discours peut parfois diluer la lutte contre l’antisémitisme dans la lutte contre le racisme. C’est massif à droite et résiduel à gauche, selon Jeremy Rubenstein.

Arié parle de «faisceau d’indices» qui ferait que le sentiment d’antisémitisme est quelque chose de coupable, et quelque chose qui doit être relevé, pour condamner ceux qui le provoqueraient. Parce qu’il faisait la différence entre le sentiment d’antisémitisme et le sentiment d’insécurité, il disait que le sentiment d’insécurité ne constituait pas une insécurité. C’était un ressenti. Par contre, il faisait le distinguo avec le sentiment d’antisémitisme qui lui devait être révélé, qui lui devait être combattu de la même façon que celui qui commet l’infraction de racisme antisémite. Les «faisceaux d’indices» n’ont jamais constitué une infraction. Et celui qui commence à plaider pour dire que les «faisceaux d’indices», pour dire que les actes, que les actes préparatoires à la commission d’une infraction sont l’infraction, ce n’est pas la loi, ce n’est pas le droit, puisque constitue une infraction seulement les commencements d’exécution de ces infractions.

Albert Lévy

Cependant, les auteurs sont unanimes ; entre ceux dont l’élan humaniste dépasse les mots et ceux qui fondent leur idéologie sur ce ressentiment : « Il y a des mots prononcés par des personnes qui ne peuvent pas être soupçonnées de racisme, d’antisémitisme. Et il y a des mots qui sont prononcés par des personnes qui font leur fond de commerce de l’antisémitisme et du racisme. Il y a ceux qui se commettent dans la maladresse et ceux qui se commettent dans la profession de foi. »

Or dans un moment particulièrement bouleversé, il y avait mieux à faire pour le gouvernement et une partie de la presse, c’est-à-dire, réaffirmer le rôle de la France à œuvrer pour la paix. La stratégie politique en aura été autrement car c’est un moyen d’avoir un allié dans la région, les États-Unis, tout en vendant des armes à l’Arabie Saoudite.

La France, notre pays, a raté l’occasion de se hisser parmi les grandes nations démocratiques pour rappeler cette histoire du peuple juif et du peuple palestinien.

Ludivine Bantigny

Les mots sont important en droit

La manière dont on caractérise le 7 octobre : crimes de guerre, crimes contre l’humanité, acte terroriste, doit être complètement déconnectée de la question de l’antisémitisme. Parce que sinon, ça signifierait que la façon dont on parle de la situation en Israël et en Palestine est nécessairement et par essence liée au judaïsme ou à la judéité. Donc, c’est d’assimiler l’ensemble des juives et des juifs de cette planète à un gouvernement, en l’occurrence d’extrême droite, qu’on peut considérer comme fasciste.

Ludivine Bantigny

Pour Albert Lévy : Il faut toujours revenir à l’application du droit et à la genèse du droit et appliquer le droit à chacun des éléments constitutifs des infractions auxquelles ces événements se rattachent. Il n’y a que comme cela qu’on peut réaliser une étude sérieuse sur les comportements liés aux crimes qui sont reprochés dans les conflits armés en Ukraine ou en Israël.

De plus, le juriste nous explique, afin de mieux saisir l’hésitation de la France Insoumise à recourir au terme de terrorisme que selon le droit, le terme terrorisme ne constitue pas en lui même une infraction, ni un délit, ni un crime. Il n’y a pas d’élément constitutif en droit du terme terroriste ou du terme terrorisme. Il y a cependant une définition du crime de guerre pendant le crime de guerre, du crime contre l’humanité et du crime génocidaire.

La définition d’un génocide selon le droit, c’est le fait de déplacer, de faire des transferts de population, de construire une famine de masse, de «tuer à l’aveugle» pour schématiser, des populations civiles qui sont étrangères aux actes de guerre.

En ce qui concerne le racisme, la loi définit les infractions liées au racisme, que ce soit de la provocation, de l’apologie, de l’incitation. Dans le racisme est inclus toute espèce de forme de racisme liée à ce concept là dont l’antisémitisme fait partie.

Une remise en question de la mémoire et de l’identité juive

On a eu quand même droit, à propos de certains signataires du texte, que c’étaient des juifs de service. Oui, je sais, c’est un choc !

Ludivine Bantigny

Car en filigrane de ces attaques politiques disqualifiantes, repose une histoire et un peuple dont le sentiment d’appartenance et d’identité prend de nombreuses formes.

Est-ce qu’on peut distinguer Israël des juifs, et des juifs en général? Est-ce qu’on peut distinguer Israël de la question de l’antisémitisme ? Cela n’a rien à voir. Israël est un État, et certains considèrent que c’est un État colonial. Ça, c’est une faute politique, en plus d’être une faute morale et éthique.

Ludivine Bantigny

Il faut séparer complètement l’identité juive qui est vaste et multiple de L’État d’Israël en Palestine. La séparation de l’identité juive est très vaste, on a des opinions qui ne peuvent pas être liées au projet sioniste, à l’État sioniste, à Israël ou quelle que soit la forme. Il y a toujours eu des juifs qui étaient contre l’idée même de sionisme.

Jérémy Rubenstein

Les auteurs de la tribune donnent une lecture de cet événement tragique au regard de ceux qui ont amené à la création d’Israël et à l’exclusion des palestiniens.

Il y a quelque chose de complètement illogique à faire payer les crimes européens à un peuple qui est au Moyen-Orient, c’est absurde. Mais il y a une chose dont on est sûr, c’est que la seule unité de l’identité juive est liée à ce génocide.

Jérémy Rubenstein

En plaidant le devoir de mémoire, c’est le vrai devoir de mémoire qui est piétiné, celui auquel on est tenu, qu’on soit juif ou non, à savoir ne pas se commettre dans un autre génocide.Et c’est cela qui est le plus grave, c’est que pour effacer la honte que certains États européens ont sur leur participation historique au génocide, eh bien on laisse divaguer le gouvernement fasciste d’Israël, parce que on serait tenu d’une quelconque façon à cette monnaie d’échange dûe aux juifs d’Israël. Il y a cette espèce de dissociation entre les juifs de France et Israël, et ces gens ont le pied sur la rive de la politique israélienne,  quoiqu’elle fasse, quel que soit son degré de responsabilité pénale aujourd’hui.

Albert Lévy

Derrière l’écran de fumée, un danger bien réel

Enfin retour en France, dans le collège où exerce Ludivine Bantigny, avec ces paroles d’élèves qui ont peur : « Est ce que, madame, le 7 juillet au soir, nous risquons d’être chassés de ce pays? Oui, mais nous sommes français, Oui, mais nos parents, qu’est ce qu’ils vont devenir? C’est de ça qu’on parle en ce moment, C’est de ça qu’il s’agit. Donc il ne faut jamais oublier cette gravité monstrueuse. »

Une inquiétude justifiée au regard du témoignage d’Albert Lévy : «Toulon en 95 a été prise par l’extrême droite,  la mairie de Toulon. Dans ce microcosme politique là, on avait  pu voir à quel point serait le pays s’il était pris par l’extrême droite. Donc on ne peut pas s’imaginer à quel point l’extrême droite serait un tort considérable pour notre démocratie. On ne s’imagine pas ou alors se référer à ce qu’a pu être le «vichysme» dans les années 40. »

Néanmoins, on peut compter sur les propositions du Nouveau Front Populaire pour faire advenir un monde meilleur, comme en atteste Albert Lévy : le point principal, c’est celui d’une justice refondée, d’une justice dotée de moyens, pourvue de moyens, de personnel qui permette de lui redonner sa dimension de clef de voûte d’une démocratie moderne. C’est la seule condition qui permettra aux citoyens d’avoir confiance en leur justice. Et c’est effectivement l’un des premiers points du programme Justice Police. Et c’est clairement une excellente chose.

Trois questions clés

Qu’est-ce que l’antisémitisme ?

L’antisémitisme est la discrimination et l’hostilité manifestées à l’encontre des Juifs en tant que groupe ethnique, religieux ou supposément racial. 

Qu’est-ce que le 7 octobre 2023 ?

L’attaque du Hamas contre Israël du 7 octobre 2023 désigne une série d’attaques terroristes coordonnées à l’encontre de civils israéliens et étrangers, juifs ou non dans les établissements israéliens du pourtour de la bande de Gaza.

Qu’est ce que la La France insoumise ?

La France insoumise (LFI ou FI) est un parti politique français fondé le 10 février 2016. Il place au cœur de son projet l’écosocialisme et est classé à la gauche ou à la gauche radicale, voire à l’extrême gauche de l’échiquier politique, selon les observateurs. 

La tribune des invités est disponible ici.

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