Média 100% indépendant, en accès libre, sans publicité, financé par ses 1509 donatrices et donateurs ce mois-ci !

Faire un don
Bernard Basset #AuPoste

La France a un problème avec l’alcool

Si le niveau de consommation des boissons alcoolisées a considérablement diminué depuis les années 1960, il reste l’un des plus élevés au monde. Les stratégies agressives de marketing des industriels de l’alcool et des redoutables lobbys confinent à un tabou qu’il est temps d’affronter : la France a un problème avec l’alcool.

Pour ce nouvel épisode de Bouffe de là, notre agitatrice Nora Bouazzouni reçoit Bernard Basset, président de l’association Addictions France et médecin en santé publique, qui a co-dirigé l’ouvrage Alcool : santé, prévention, marketing et lobbying (Presses de l’EHESP).

Merci!

Article en accés libre grâce aux donatrices & donateurs.
Je donne pour

Soutenir un site 100% autonome
Renforcer le débat public sur les libertés publiques
Bénéficier de 66% de réduction d'impôt

Et je ferai un don plus tard (promis!)

Sans médias indépendants, pas de riposte.

Libertés publiques, politique, cinéma, Histoire, littérature & contre-filatures. #AuPoste invite chercheur·es, écrivain·es, philosophes, sociologues, avocat·es, punks et punkettes, cinéastes, artistes et hacktivistes, écoterroristes, féministes.

Crée en 2021, #AuPoste pose un regard critique sur le monde, puisant dans l'histoire, les sciences sociales, les actions et réflexions engagées. L'émission traque les coups de boutoir fait, comme jamais depuis 50 ans, aux libertés individuelles et fondamentales. Vigie autant qu'aiguillon, #AuPoste nourrit le débat public sur les libertés publiques. En nous aidant, vous le renforcez à votre tour.

#AuPoste n’a ni propriétaire milliardaire ni actionnaires. Sans publicité, sans intérêt financier, vos seuls dons sont notre seul rempart. Aucune force commerciale ni politique n'a d'influence sur notre travail.
Chaque contribution compte, même modique. A prix libre, chacun contribue à la hauteur de ses moyens, et de ses besoins (et anonymement, si souhaité). Les dons récurrents sont le moyen idéal pour nous nous permettre de pérenniser notre travail de fond. Chaque année, nous publions un bilan complet.

Chaque don contribue à maintenir nos contenus disponibles / par tout le monde / à tout instant et partageables. Nos enquêtes, nos émissions, nos podcasts: tout est en gratuit. Mais coûteux à produire.

Déductions fiscales

Je fais un don #AuPoste et, si je le souhaite, je deviens un Bernard Arnault de la contre-information:

Je suis un particulier: je bénéficie d'une réduction d'impôt à hauteur de 66%. Ainsi un don de 100€ me revient à 34€.

Mon reçu fiscal m'est directement envoyé par J'aime l'info, l’organisme d’intérêt général, qui collecte les dons pour #AuPoste.

Mes nom et adresse ne seront jamais divulgués. Les dons se font de manière entièrement privée. A tout moment, je peux suspendre, annuler ou ajuster mes dons.


A quoi servent vos dons

Préparation et animation des émissions, salaires (journalistes, modératrices, développeurs), locaux et frais courants, graphistes, supports techniques, matériel (tournage, montage), abonnements-soutiens à la presse indépendante.

Toutes les infos dans DONS, et dans le bilan complet 2023 #AuPoste.

« Comme il a accompagné toute l’histoire de l’humanité, on l’a paré de certaines vertus dont on s’aperçoit aujourd’hui qu’elles sont inexistantes ». Associé à tant d’événements et de gestes sociaux, l’alcool est si profondément enraciné dans nos cultures qu’il nous est facile d’oublier ce qu’il n’a pourtant jamais cessé d’être : une drogue.

Avec l’association Addictions France dont il est le président, Bernard Basset, médecin spécialiste en santé publique, visibilise et vulgarise les enjeux du « risque alcool », et monte au créneau face aux industriels qui, contournant la loi Evin, encouragent des consommations porteuses de ce risque. Sans épargner les politiques qui, à l’encontre de cet enjeu majeur de santé publique, se prêtent au jeu des lobbys.

Même si sa consommation diminue globalement depuis les années 1960, 5 millions de personnes en France boivent de l’alcool tous les jours. Chaque année, l’alcool y est une des premières causes d’hospitalisation, la deuxième cause de mortalité prématurée – 41.000 décès par an lui sont imputables, 30.000 hommes pour 11.000 femmes – et le responsable d’environ 200 maladies. Il est associé à la moitié des violences familiales ou conjugales, la moitié des féminicides, le quart des maltraitances sur enfant, le tiers des viols et agressions sexuelles.

Économiquement, l’alcool rapporte un peu plus de 5 milliards d’euros chaque année à l’État français, dont 4 milliards en taxes, ce qui ne couvre que la moitié des dépenses de santé (8Mds€), elles-même n’étant qu’une infime portion du « coût social », estimé à 102 milliards d’euros par l’Observatoire Français des Drogues et Tendances addictives. Ce « coût social » comprend, en plus des dépenses de santé, les dépenses administratives, les contrôles, les violences, les handicaps engendrés, les années de travail et de vie perdues, la perte en productivité, sans compter ce qui ne se compte pas, c’est-à-dire les souffrances physiques et psychiques, les addictions. La prévention du risque alcool est donc autant un enjeu de santé publique, de bien-être individuel et collectif que de démocratie.

Cette place à part dans la société génère un ensemble de pressions sociales, de comportements qui poussent à une consommation moins maîtrisée, jusqu’à la dépendance, à l’addiction. S’il existe des thérapies, des groupes d’entraide, il n’y a pas de traitements ou de médicaments miracles, et le taux de rechute est de 40 à 60% dans la première année de sevrage – ce qui est vrai pour toutes les addictions. Si les lobbys de l’alcool sont prompts à lier convivialité et consommation d’alcool, le médecin insiste sur le fait qu’on puisse « vivre avec les autres, entretenir des relations, se marrer avec ses copains sans boire de l’alcool à tous les coups ».

Alors que même l’industrie du tabac, très novatrice en ce qui concerne la promotion de produits dangereux, a perdu son prestige, l’écosystème de l’alcool continue de bénéficier d’une excellente image. Porté par son histoire millénaire, par l’écho donné à l’artisanat, à l’agriculture, à la gastronomie, aux « petits producteurs » qui dessinent la France et son terroir, il masque mal une disparité d’acteurs qui profite aux plus gros industriels du secteur que sont les grands brasseurs, les marques des groupes LVMH, Pernod Ricard, et consorts. 

On a associé l’alcool à l’identité française, avec tout ce que ça véhicule, évidemment, d’ambiguïtés. On l’a identifié à la culture, au patrimoine, et c’est vrai que le secteur alcoolier ne manque pas de dire «on fait partie de la culture française, ne pas aimer le vin, c’est quasiment être anti-français ».

Bernard Basset

Lobbys et politique, le jeu dangereux

L’identification de l’alcool – et surtout du vin – à la France est un ressort de communication particulièrement efficace. Une illustration opportune est le fameux « French Paradox », idée diffusée à la fin du XXe s selon laquelle les Français.es vivent plus longtemps tout en mangeant du gras et en buvant de l’alcool, ce qui est largement démenti par la science. Elle pose d’autant plus un problème politique, de conflit d’intérêt entre différents pans de la vie politique : d’un côté la santé et le social, de l’autre l’économie. À l’échelle nationale mais aussi locale, puisque l’ancrage territorial de la production d’alcool reste en partie une réalité, les élu.e.s composent avec ces intérêts, et parfois les manipulent aussi à des fins électoralistes.

Je ne sais pas s’il est plus valorisé selon un spectre politique, mais il est vrai que l’alcool est valorisé par la classe politique de gauche comme de droite. À gauche, on entend souvent l’argument qu’empêcher les gens de boire, c’est les priver d’un plaisir qui est accessible alors qu’ils sont pauvres et qu’ils ont peu d’occasions de profiter de la vie. Mais si on dit que les pauvres sont légitimes pour boire, ça veut dire qu’ils sont déjà en situation d’inégalité sociale et qu’en plus, on aggrave leurs inégalités de santé. C’est un discours qu’il faut déconstruire.

Bernard Basset

Dans le sillage de ce constat, Addictions France propose de taxer les produits alcoolisés selon leur degré d’alcool, et de les augmenter graduellement jusqu’à ce qu’elles couvrent les dépenses de santé associées. Bernard Basset évoque une « fiscalité comportementale », comme pour le tabac, qui toucherait en priorité les plus jeunes et les moins fortunés en général, celles et ceux qui sont les plus exposé.e.s aux comportements addictifs. Il résume : « On n’est pas des prohibitionnistes, mais on essaie de faire sorte que les comportements soient les moins dangereux possibles ».

Contribuant à la sensibilisation au sujet, la campagne « Dry January » qui vient du Royaume-Uni commence doucement à s’installer en France. Et ce n’est certainement pas grâce aux pouvoirs publics qui, répondant aux appels des lobbyistes du vin, en viennent à bloquer les initiatives en ce sens. Emmanuel Macron s’est tristement illustré à plusieurs reprises comme un ardent défenseur de ces lobbys, que ce soit lorsqu’il assume de ne pas vouloir « emmerder les Français », invoquant Georges Pompidou ; lorsqu’il se vante de boire du vin tous les jours midi et soir, tordant les préconisations de sa propre agence de santé publique ; ou encore, lorsqu’il affirme que le vin n’est pas concerné par le « binge-drinking ».

Les associations, avec leurs moyens très limités, prennent alors le relais : avec la nuance qu’un sevrage complet de trente jours sans suivi ni suite à donner ne constitue pas nécessairement une solution idéale pour chacun, le retour sur ces campagnes reste très positif, proposant via un défi clair et à court-terme l’occasion de questionner sa consommation. Les mœurs commencent doucement à changer, en témoigne la récente ouverture de l’industrie avec les bières sans alcool.

La loi Evin, un outil puissant mais affaibli

En 1991, sous le gouvernement Rocard, la loi Evin encadrant la publicité pour l’alcool (et l’interdisant pour le tabac) est promulguée. Selon les supports (radio, télévision, affiches, cinéma…) et les créneaux, la publicité pour l’alcool ne devient plus possible. Lorsqu’elle le reste, la loi considère qu’on a le droit « d’informer sur l’alcool mais pas de le promouvoir », c’est-à-dire que les messages publicitaires doivent être objectifs, informatifs mais pas incitatifs. 

Ce qu’il faut d’abord dire, c’est que c’est une loi exemplaire, c’est une loi extrêmement cohérente dans sa philosophie d’action.

Bernard Basset

Un ensemble de critères et de règles sont édictées en ce sens, et c’est précisément ce qui constitue la force et la faiblesse de ce texte : avec l’évolution des supports – l’arrivée d’Internet – et les amendements successifs, la loi s’est vue régulièrement affaiblie depuis trente ans – les lobbyistes diront « assouplie » ou « clarifiée » -, souvent avec des motifs liés au « folklore », à la promotion du tourisme et de la gastronomie, du terroir et du patrimoine, ou bien au nom des « petits clubs sportifs » souhaitant ouvrir une buvette le dimanche lors des manifestations sportives. Notamment, le vin et la bière se voient attribuer un tas d’exceptions locales, si bien que la loi n’a plus beaucoup d’effets sur eux. 

Les industriels tentent régulièrement de contourner, de se « faufiler dans les brèches » du texte, face à quoi les associations font de la veille et attaquent les campagnes de publicités concernées. Addictions France propose sur son site un outil pour comprendre ce qui est possible ou non avec la loi Evin.

Pour contourner la loi, ou tout du moins jouer avec les limites, les communiquants tentent parfois de prendre de court le régulateur en s’associant à un événement ponctuel, comme a essayé de le faire Budweiser à l’occasion de la coupe du monde de football 2022, de jouer sur des équivalents sans alcool, d’utiliser des modes de communication indirects ou moins bien couverts par la loi, comme le fait de passer par des influenceurs. Ils s’appuient plus généralement sur les visuels, qui peuvent parfois convoquer des imaginaires « pop », ou bien un imaginaire « de terroir », surfant sur les stéréotypes traditionnels auxquels l’alcool est associé et que l’on a déjà évoqué.

Il faut dire que l’imaginaire localiste, que ce soit pour glorifier un lieu proche, auquel on s’identifie – le vin de Bordeaux, le pastis de Marseille… – ou bien pour convoquer un imaginaire de voyage, d’évasion – le rhum des Caraïbes, le whiskey écossais… – est un mécanisme aussi vieux que le capitalisme-même pour parer les marchandises d’une aura, d’une « fantasmagorie » (au sens où Walter Benjamin l’emploie) qui, au-delà de servir les intérêts marchands de ceux qui produisent la marchandise, contribue à dessiner un monde dans lequel l’imaginaire même, notre perception devient marchande.

L’addiction n’est alors plus un effet secondaire accidentel, négligé de manière plus ou moins cynique, mais le but ultime et inavoué que les structures qui répondent aux logiques capitalistes, chacune à leur échelle, poursuivent.

Cinq questions clés

Que contient la loi Evin ?

La loi du 10 janvier 1991 dite « loi Evin » encadre la publicité pour l’alcool et pour le tabac, en posant l’interdiction de fumer dans les lieux et transports publics, et impose une certaine information de prévention des risques de santé sur les produits contenant du tabac et de l’alcool.

Qu’est-ce que l’association Addictions France ?

Addictions France est une association reconnue d’intérêt public et composée de professionnels de la santé compétents en ce qui concerne les comportements addictifs et les effets des substances addictives licites (alcool, tabac) comme illicites. Elle est force de proposition en matière de politique de santé publique, et assure une veille des campagnes de publicités autour de ces substances en regard de leur respect ou non de la loi Evin.

Que contient le livre « Alcool, santé, prévention, marketing et lobbying » (Presses de l’EHESP) ?

Le livre co-écrit par Bernard Basset et Karine Gallopel-Morvan fait le point sur la consommation d’alcool en France, l’état des lieux des connaissances scientifiques sur les risques de cette consommation, ainsi que les outils de prévention de ces risques mis en place. Il documente les stratégies de communication des lobbys de l’alcool,  notamment en direction des plus jeunes, et l’écho provoqué au sein des pouvoirs publics, tiraillés par les intérêts économiques divergents des enjeux de santé publique.

Comment se manifestent les lobbys du vin en France ?

En France, comme pour tous les secteurs, les intérêts du secteur viticole sont défendus par des associations de producteurs telles Vin et Société, la plus importante du pays. Les revendications de ces associations reçoivent un écho favorable au sein de la classe politique française, particulièrement dans les rangs des ministres, conseillers et députés macronistes, certains étant directement recrutés parmi ces lobbys, comme Audrey Bourolleau. Le président Macron a personnellement défendu la filière et intercédé en sa faveur à de nombreuses reprises.

Comment est taxé l’alcool en France aujourd’hui ?

Les alcools, soumis à une TVA de 20%, sont en plus de cela soumis à une taxe appelée « droit d’accise », qui diffère selon le produit, en théorie selon le degré d’alcool. En moyenne, le droit d’accise d’un spiritueux est de l’ordre de 90% du prix HT de celui-ci, celui d’une bière est plutôt autour de 15%. Le vin bénéficie d’un traitement de faveur qui réduit son droit d’accise à environ 1% du prix HT.

SAUVEZ AU POSTE! Plus que 160 dontateu·trice·s mensuel·le·s et Au Poste est sauvé !
Faire un don