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Nicolas Framont #AuPoste

La domination au travail, c’est plus ce que c’était! Avec Framont

Fils de marchands de couleurs, lui-même avec vingt métiers au compteur, désormais sociologue du travail, Nicolas Framont est enfin convoqué Au Poste. Avec lui, on a causé de son dernier opus, «Vous ne détestez pas le lundi … Vous détestez la domination au travail» (Les Liens qui libèrent)

Dans son livre, Framont prend appui sur les multiples témoignages receuillis en entreprises. Invitation à se libérer des mythes du travail : présentéisme, mérite, psychologisation de la souffrance, ce manuel de développement collectif entend proposer une nouvelle culture de la révolte. Mais d’abord, on lui a demandé: et lui, fait-il un bon (rédacteur en) chef de Frustation Magazine ?

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De la hiérarchie partout

S’inspirant du slogan « Vous ne détestez pas le lundi, vous détestez le capitalisme », le livre de Nicolas Framont ne restreint pas les souffrances et la domination du travail à la seule sphère de l’entreprise privée, car elles sont bien présentes ailleurs, notamment dans le service public et le secteur associatif. Même si le paradigme capitaliste se cache derrière ce système de subordination au travail, ce dernier n’a pas seulement lieu quand il y a actionnaires.

Dans certains milieux professionnels, la hiérarchie est invisibilisée et des transformations sémantiques ont lieu. Ainsi, on ne parle plus de tâches mais de « projets » qui réunissent plusieurs « collaborateurs », terme derrière lequel se dissimule l’idée d’un dominant et d’un dominé.

Les chefs ne vont pas assumer d’être des chefs, souvent ils ne vont pas s’appeler comme ça. Il y a le terme de manager qui a pris le dessus, qui est un terme beaucoup plus flou. C’est ni un chef, ni un responsable, c’est un manager.

Nicolas Framont

Ce qui compte pour l’auteur de « Vous ne détestez pas le lundi… », c’est de rassembler des salariés qui éprouvent une même forme de solitude autour d’un discours qui leur parle à tous, plutôt que de s’en prendre à soi-même lorsque l’on subit de la violence au travail.

Nicolas Framont : son métier, ses missions

Connu pour son magazine Frustration dont il est le rédacteur en chef et pour son livre « Parasites », pamphlet contre la bourgeoisie, Nicolas Framont a longtemps travaillé à temps plein au sein des comités sociaux-économiques (CSE). Certains employés l’appellent alors en tant qu’expert pour enquêter et s’entretenir avec eux sur leur santé physique et psychique. Il forme également les représentants des entreprises aux questions de santé et de conditions de travail.

Même s’il constate des résultats suite à ce type d’intervention, le sociologue n’y voit pas vraiment un outil de résistance fondamentale. Ses collègues et lui semblent ainsi tomber dans l’écueil de la « petite routine du dialogue social », qui ne pas donnerait pas lieu à un vrai renversement du rapport de force provenant des salariés. Il lui arrive d’écrire des rapports que personne ne lira. Non content de mettre de l’huile dans les rouages du capitalisme, ce à quoi servent finalement ces instances de dialogue social, Nicolas Framont multiplie les casquettes, entre conseiller social, rédacteur de magasine et vendeur de légumes. Fuir le carriérisme, l’esprit boutiquier et la bureaucratie, c’est ce qui compte.

Repenser le travail

Qu’est-ce qui nous fait donc souffrir au travail, et que faudrait-il transformer ? Le sociologue propose de revenir à la base du travail tel qu’il pourrait être conceptualisé : produire des choses en commun pour subvenir aux besoins de la société. Mais actuellement, le travail, c’est produire des richesse pour un système.

Cette transformation du travail passe par la transformation du système. Elle passe par la sortie du mode de production capitaliste. [Mon livre] commence sur le bien individuel, […] puis j’essaie d’emmener [mes interlocuteurs] vers une remise en cause de la structure elle-même. Malheureusement, il n’y a pas de politique de bien-être et de santé au travail possible tant que le système capitaliste demeure.

Nicolas Framont

Pour lui, les sociétés humaines sont suffisamment malléables pour qu’il existe des possibles différents, tout comme il y a eu des histoires différentes. La domination est une construction philosophique et historique et n’est pas une fatalité.

Qu’est-ce qu’être chef aujourd’hui ?

Nicolas Framont déconstruit finement les parcours qui mènent aujourd’hui à être chef. Il le fait par exemple avec le mythe de la « promotion interne » qui attribue le statut de chef à qui a bien travaillé. Aujourd’hui, on est chef plutôt parce qu’on est diplômé pour l’être, parce qu’on a fait de bonnes études.

Il y a ce mythe de la compétence qui est de dire “J’ai fait des études donc je peux diriger les autres, et qu’importe si je connais la réalité de leur travail ou pas.”. 

Nicolas Framont

Le sociologue évoque alors le syndrome de Peter, qui dit que toute personne s’élève jusqu’à son niveau d’incompétence. Autrement dit, parce qu’ils sont bons dans ce qu’ils font, les gens sont propulsés à des postes supérieurs jusqu’à ce qu’ils soient mauvais. Mais aujourd’hui, contrairement au siècle précédent, les chefs sont directement propulsés à leur niveau d’incompétence. Un autre mythe mis en avant est celui de la responsabilité des chefs, qui justifie leur haut niveau de salaire. Framont nous invite alors à comparer les risques que les chefs encourent et les nôtres. Car en effet, en tant que salarié, on risque le licenciement et donc de ne pas retrouver d’emploi, tandis qu’un chef peut dans certains cas être primé sur la réussite d’un plan de licenciement.

Typologie des chefs

À travers ses rencontres, le sociologue a rencontré plusieurs types de patrons. Parmi eux, celui très répandu du chef tyrannique qui, poussé par les exigences du chiffre et les restrictions budgétaires, a été choisi pour hurler et humilier ses subordonnés. Framont s’est aussi retrouvé face au chef dit « de famille », au discours affectif regroupant entreprise et famille. Le chef de gauche, lui, prétend que la cause mérite que l’on souffre au travail. Ce qu’on pourrait appeler le gaslighting ou une inversion accusatoire. Il prend comme cas d’école le journaliste Daniel Mermet, aux idées profondément de gauche mais violent avec son équipe, et qui nie les revendications de ses employés au prétexte qu’ils feraient un travail « d’intellectuel » et non d’ouvrier. Ce système se retrouve à l’Assemblée Nationale :

Les députés défendent dans l’hémicycle les travailleuses et travailleurs mais qui en interne, structurellement, ont des systèmes où ce sont des petits patrons exploiteurs. Il y en a des pires que d’autres, j’en ai vus qui s’auto-régulaient, qui avaient mis en place des bons systèmes avec un respect des 35 heures, mais c’est vraiment très peu de gens. Travailler à l’Assemblée Nationale, c’est un travail de larbin avec des horaires à rallonge, des récupérations discrétionnaires.

Nicolas Framont

Nicolas Framont souligne que l’exploitation ne renvoie pas nécessairement à la maltraitance, mais simplement au fait de travailler sans bénéficier du fruit de ce travail. C’est le cas du travail parlementaire : ayant lui-même travaillé comme conseiller parlementaire pour La France Insoumise, il pointe les inégalités de revenus et le fait de travailler pour quelqu’un qui s’en attribuera une partie.

L’appel à la révolte

Selon le sociologue, la partie immergée de la lutte salariale se résume en manifestations, en grèves nationales et autres actions des grands syndicats. Or, avec les nouvelles générations, le taux de syndicalisation baisse fortement. Mais il existe des formes de résistance plus individuelles qui produisent des effets globaux. Parmi elles, la « grande démission », ou le fait de changer d’employeur, un phénomène de « turn-over » qui pousse l’administration à améliorer les conditions de travail, notamment dans la restauration.

Il existe aussi le sabotage, appelé également le « quiet quitting » ou démission silencieuse : cela consiste à ne pas faire plus que ce qu’on nous demande, à travailler lentement, en réponse aux incitations managériales à se sur-impliquer dans tous types de projets. Plus radicalement, saboter peut aussi vouloir dire désobéir, détourner l’appareil de production pour faire autre chose.

Par-dessus tout, et contrairement aux idées reçues, la grève est un moyen de conflit social qui paye. En 2020, le ministère du travail sort une étude nous informant que 62% des entreprises ayant essuyé une grève dans l’année on connu des négociations fructueuses pour les salariés, contre seulement 12% des entreprises qui n’en ont pas traversées. Nicolas Framont le rappelle, la grève  et la menace de grève produisent des effets et restent un outil ultime non-négligeable.

Cinq questions-clé

Que sont les CSE ?

Le comité social et économique (CSE) est l’instance de représentation du personnel dans l’entreprise. Il doit être mis en place dans les entreprises de 11 salariés et plus.

Qu’est-ce que le syndrome de Peter ?

Il s’agit d’une loi empirique relative aux organisations hiérarchiques proposée par Laurence J. Peter et Raymond Hulldans leur ouvrage « Le Principe de Peter » (1970). Ce principe dit que « dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence ».

Qu’est-ce que le gaslighting ?

Le gaslighting, ou détournement cognitif, est une forme de manipulation mentale qui vise à inverser les rôles coupable-victime.

Qu’est-ce que Frustration Magazine ?

Frustration est un magazine pour le web fondé par Nicolas Framont en 2013 et qui documente entre autres la lutte des classes, la santé au travail, les combats écologistes et féministes.

Qui est Daniel Mermet ?

Daniel Mermet est un journaliste français pur la radio, connu pour son rôle de producteur et animateur de l’émission Là-bas si j’y suis sur France Inter de 1989 à 2014. Il est aussi le co-fondateur de l’association Attac.

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