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La bulle des journalistes politiques, «ce cirque Pinder». Rachid Laïreche (Libération) balance

Huit années durant, Rachid Laïreche a marché dans la combine. Journaliste politique pour Libération, il en a fait des déjeuners secrets avec des professionnels de la politique. Petites phrases assassines, et lâches, et anonymes, sondagites aïgues, conquête et jeux du pouvoir, course de petits chevaux.

Laïreche en revient, livre à la main, comme d’un front perdu: fatigué, mais alerte. Las, mais combattif. Dans «Il n’y a que moi que ça choque?» (Les Arènes), il balance non des noms, mais un système. Il avoue, se moque de ce «sous-monde» dont il fut un pilier, et de lui-même. Au fil des pages, c’est aussi un autre Rachid qui se raconte. Le gars de Montreuil, ancien standardiste pour Libé devenu grand reporter: statut qui ne fait strictement rien à ses potes de toujours, jamais avares de la-petite-vanne-qui-remet-la-réalité-à-sa-place. Ce martin, Rachid Laïreche a déposé pendant deux heures. Et c’était bien, et c’était éclairant sur un monde si taiseux de lui-même: le clan des journalistes politiques.

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Quand on lui a confié de suivre la gauche, il l’avoue, Rachid a rêvé leur ressembler, à ces journalistes qui côtoient les puissants, et qui vont, de restaurants en meetings, d’hôtels en congrès, sous les yeux des caméras, rencontrer des ministres et des présidents. Ce monde, “ce cirque Pinder”, il l’appelle “la bulle”. 

“C’est une sorte de confrérie”, ironise-t-il, un monde parallèle plein de règles tacites : ce qui choque les gens ne choque personne dans la bulle. Quand on est embarqué avec un politique, on le raconte en beauté, sinon c’est de la trahison. On est remercié par un flot de “off” et une relation de fidélité. Si un politique nous humilie, on se venge – la bulle est très rancunière. La bulle est connectée sur de nombreuses boucles Whatsapp, entre politiques, partis, journalistes et déjeuners – conventionnels, onéreux et finalement peu intéressants, finit-il par reconnaitre. Les politiques qui bossent très bien ne sont pas intéressants : “ce qu’on aime, c’est le sang, les ragots, la stratégie”. Quand un politique tombe: c’est “la cour de récréation”, et on déballe tout ce qu’on taisait depuis des années. Enfin, règle essentielle: “il y a le bien et le mal, et dans la bulle, nous sommes toujours le bien. Toujours. Et si quelqu’un nous pose la question, il est le mal.” 

On passe notre temps à poser des questions à tout le monde du matin au soir. Et on ne s’interroge jamais sur nous-mêmes. Est-ce que c’est bien, ce qu’on fait ? À qui on parle ? Pourquoi ? Faut-il traiter la politique comme un matériau journalistique comme les autres ? Comment en finir avec la courtisanerie 2.0 ? 

Rachid Laïreche

Au bout de quelques temps, s’installe chez Rachid un dégoût pour un système qui donne une toute-puissance aux politiques, eux qui peuvent relire, réécrire leurs interviews, “dealer” par avance les thèmes des questions d’entretien sur les plateaux télé. Il faudrait arrêter. Le problème, c’est que dans la bulle, Rachid devient important et populaire : “on me demande conseil, je vois qui je veux quand je veux, si je veux faire la Une, je la fais… Je prends le pouvoir, et j’aime ça” raconte-t-il, évoquant avoir été “drogué” à ce “sentiment de puissance”.

Lorsqu’enfin il décide qu’il ne veut plus “être ce qu’il est devenu”, il part. Un an après avoir fermé la porte du service politique, il confie son profond pessimisme, à propos d’un système cadenassé où “il n’y a pas de débat possible”, mais critique aussi “la fainéantise journalistique”, “les mecs en toc, donneurs de leçons”, qui “parlent de révolution alors qu’ils sont bien nés”, et exprime son refus d’être qualifié de transfuge – terme invisibilisant les discriminations d’après lui. Reporter heureux aujourd’hui, il se dit enfin “fier d’aider les gens, et fier de ce que j’écris. Mes papiers depuis un an sont beaucoup plus politiques que ceux que j’écrivais quand j’étais au service politique. Quand je parle de familles à la rue, c’est beaucoup plus fort qu’un congrès.”

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