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Riposte alimentaire Peps Merlin Gautier & Bertand

L.H.O.O.Q., la riposte alimentaire

Ce dimanche, deux membres de Riposte alimentaire ont déversé de la soupe sur la vitre blindée de la Joconde pour réclamer «le droit à une alimentation saine et durable» et une carte vitale de l’alimentation (150 euros par mois et par personne pour acheter des produits alimentaires conventionnés).

Ce lundi matin, Bertrand, de leur collectif, est Au Poste. Est également avec nous Merlin Gautier du PEPS (Pour une Ecologie Populaire et Sociale). Il est l’un des militants qui a tenté ce dimanche matin de brandir une banderole place Beauvau. Ensemble, on va parler sécurité sociale alimentaire, conventionnement des produits, accès à une alimentation saine qui rémunère dignement les paysannes et paysans.


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Bertrand représente Riposte Alimentaire, campagne d’actions qui fait suite à Dernière Rénovation, un premier mouvement lancé en 2022 sur le thème de la rénovation thermique des logements. Après avoir estimé être au bout de ce que le mouvement pouvait apporter, les membres du collectif se sont réorientés sur les thématiques d’agriculture et d’alimentation en conservant leur stratégie, que Bertrand est venu détailler au Poste.

Ce qui nous angoisse, c’est de ne plus pouvoir vivre dignement dans 10, 20, 30 ans, c’est que les conditions d’habitabilité de la planète sont en train de se perdre.

Bertrand, Riposte Alimentaire

Merlin Gautier représente le collectif Pour une Écologie Populaire et Sociale (PEPS), issu des Gilets Jaunes. Il partage avec Riposte Alimentaire le postulat qu’écologie et social sont indissociables, et cherche à faire se parler différentes strates de la population qui ont tendance à s’ignorer.

Bertrand commence par poser l’absurdité de l’inter-dépendance à outrance qui caractérise le marché mondial de l’alimentation, ce qui le rend très fragile. Rien qu’en 2022, la guerre en Ukraine et l’épisode de graves sécheresses en Inde ont suffi à le faire tanguer, et ces épisodes sont amenés à s’intensifier et à se multiplier. Le risque de pénurie alimentaire est réel. Merlin saisit la balle au bond et ajoute que « la pénurie est déjà là, le nombre de personnes qui sollicitent l’aide alimentaire est croissant et se compte en millions ». L’aide alimentaire restreint ses bénéficiaires aux résidus de la grande distribution, des produits de mauvaise qualité. Le projet de Sécurité Sociale de l’Alimentation que soutient PEPS répond à l’enjeu de démocratie alimentaire : rendre accessible sans conditions de ressources une nourriture de bonne qualité et produite dans des conditions profitables au plus grand nomble, paysannes et paysans en première ligne.

Les structures de l’agro-industrie française actuelle sont issues de l’après-guerre, répondant à un besoin immédiat de forts rendements. Les décennies suivantes virent les champs se remplir de machines et de produits chimiques, les parcelles s’agrandir, la main-d’œuvre se réduire. Dans les années 1970, la pénurie s’est muée en situation de surproduction.

Avec de tels rendements, il aurait alors été possible d’entrevoir l’indépendance alimentaire de la France, mais le choix politique entretenu depuis lors n’est pas celui-ci. Dans l’optique de conquérir les marchés internationaux, l’Europe et sa fameuse Politique Agricole Commune (PAC) perpétue une sorte de « fuite en avant » du productivisme en privilégiant les grandes exploitations et le rendement à tout prix, au détriment des petites exploitations et des pratiques de l’agriculture plus responsables. Les aides de la PAC sont calculées à l’hectare, soutenant la quantité au détriment de la qualité.

Aujourd’hui, ces tendances restent très enracinées dans le développement du monde agricole. Les OGM interdites en Europe depuis des années reviennent par la petite porte sous la forme des NGT (nouvelles techniques génomiques), la PAC ne semble pas être remise en question par nos dirigeants, et, au crépuscule de toute une génération d’agriculteurs issus du baby boom, deux-tiers des terres agricoles françaises seront sujettes au risque d’alimenter la croissance exponentielle des déjà plus grandes exploitations, empêchant l’installation de nouveaux agriculteurs. L’enjeu n’est rien de moins que la privatisation du vivant.

Pendant la Première Guerre Mondiale, on envoie toute la population rurale de l’Europe se faire massacrer dans les tranchées. Et on continue ça depuis, en faisant une guerre ultra-violente à la nature mais surtout une guerre économique entre les nations sur un marché mondialisé de l’alimentation. […] Je crois que le modèle productiviste conduit nécessairement les agriculteurs à la mort car il en fait des soldats d’une machine agro-industrielle. Pour nous, l’objectif, en allant vers une démocratie de l’alimentation, en relocalisant la production et la distribution, c’est de rendre son humanité à toute la campagne, à tout le monde agricole.

Merlin Gautier, PEPS

Merlin Gautier reprend et va plus loin : selon lui, le modèle de l’agro-industrie est une survivance des fantômes de la Première Guerre Mondiale, dont sont d’ailleurs issues nombre de techniques sur lesquelles il repose : « les gaz de combat vont devenir les pesticides, les barbelés vont remplacer les haies, les nitrates qui servent d’abord à fabriquer des bombes vont servir comme engrais, les chars vont devenir les tracteurs ». Et de constater amèrement que « les espaces de vie et de communauté qu’étaient les champs […] sont devenus des espaces d’isolation et de grande souffrance » à force de devenir toujours plus grands et toujours plus mécanisés.

Nous voici donc en 2024, et les agricultrices et agriculteurs crient leur désarroi. Pour le moment, le gouvernement, les partis de droite et d’extrême-droite ainsi que la FNSEA, syndicat libéral dominant dans le monde agricole, tentent de diriger la focale sur les normes environnementales qui seraient responsables de tous les maux. Nos deux invités dénoncent à l’unisson une hypocrisie totale, puisque dans un modèle productiviste, toute préconisation qui ne va pas dans le sens du rendement ne peut être qu’un bâton dans les roues du producteur si il n’obtient pas compensation par ailleurs, ou une aide à la mise en place de ces actions. Or, les États et l’Union Européenne qui tentent de donner le change avec des demi-mesures telles que le Green New Deal ne font qu’ajouter à la charge qui repose sur les épaules des travailleurs du monde agricole, dont une grande majorité est déjà plongée dans la précarité.

Comme vous tous, j’ai un ventre, si je ne mange pas, je meurs. Toutes les personnes qui sont engagées dans la campagne Riposte Alimentaire ont la même préoccupation : comment est-ce qu’on va se nourrir demain ? C’est une question qui concerne tout le monde, même si les agriculteurs sont aux premiers postes.

Bertrand, Riposte Alimentaire

La question se pose alors de la place des consommateurs. Les tenanciers d’un capitalisme vert, qui de la même manière qu’ils ménagent un modèle agricole productiviste amendé par des mesures écologiques, invitent les consommateurs à agir contre leur intérêt économique en achetant leur alimentation plus cher. Encore une fois, il est hypocrite de ne pas reconnaître que ce ne sont pas les consommateurs qui décident des prix, mais bien les maillons intermédiaires, à savoir la transformation et la distribution des produits agricoles qui ont structurellement la main sur la filière. C’est ainsi que nos deux invités viennent sur la Sécurité Sociale de l’Alimentation, sans oublier de détailler les écueils potentiels d’un tel projet. Ils se disent notamment inspirés par le modèle originel de la sécurité sociale en France en 1946, non étatisée mais auto-gérée par les citoyennes et citoyens.

À propos de leurs stratégies respectives, Bertrand revendique le fait de porter des actions spécifiquement pour attirer l’attention médiatique, et c’était précisément l’effet cherché – et trouvé – en choisissant d’approcher la Joconde ce dimanche 28 janvier 2024. Mais il ajoute que cette action, en soi, n’a pas le pouvoir de faire avancer ses sujets si elle n’est pas suivie d’autres actions, qui permettent d’installer un narratif, de durer dans le temps long.

La démarche du collectif PEPS, en se présentant Place Beauvau ce même jour, est un peu différente : il s’agissait d’exprimer son soutien au mouvement des agriculteurs. Merlin Gautier remarque d’ailleurs que la répression immédiate exercée à l’encontre des membres du collectifs qui ont pris part à l’initiative met au jour le « deux poids, deux mesures dès qu’on politise le mouvement par l’écologie ».

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