Je peux le formuler avec un « ? » si vous voulez mais la réponse sera toujours : hélas, oui. Et la police aussi. J’ai déjà couvert beaucoup de procès. Mais je ne saurais sous quel terme désigner la mascarade à laquelle j’ai assisté hier, énième jour d’audience des « inculpé·e·s du 8/12 », qui n’est qu’une mise en accusation de nos modes de vies et de luttes d’« ultra-gauchistes ». Récit consterné d’un procès consternant.
Des procès, j’en ai suivi un paquet, pour des motifs plus ou moins sérieux ou fantaisistes allant de la diffamation d’abrutis (que je ne nommerai pas pour éviter la récidive) à l’aide à ces personnes dans la merde qu’on appelle dédaigneusement « migrants » pour mieux s’en débarrasser, en passant par l’expulsion locative -la mienne en l’occurrence, la nôtre, celle de notre « squat » où était donc tagué sur le mur du salon cette délicate et opportune citation : « La justice nique sa mère », je sais ça n’est guère inclusif mais la justice ne l’est pas non plus, alors quoi.
Et hier, mercredi 18 octobre, me voilà donc, anar’ nissart lost in Paname, du Rage Against The Machine dans les oreilles, dans la ligne 13 en direction du Tribunal de Justice de Paris, porte de Clichy, pour couvrir à mon tour le procès de « l’ultra-(méga-giga-over-the-top)-gauche ». Soit une poignée de braves gens soupçonné·e·s ni plus ni moins que d’ «association de malfaiteurs terroristes».
En ces heures où les attaques à Arras, puis Bruxelles, celle-ci revendiquée par ces mêmes tarés contre lesquels un des accusés a lutté, aux côté des Kurdes du Rojava -et il sera utile de préciser, encore et toujours, que les fascisto-islamistes sont d’extrême-droite, et partagent avec nos néonazis les mêmes passions tristes, et les mêmes projets criminels-, je ris. Jaune. « Terroristes ». Dites-moi donc de quoi cette chose est le nom. A Nice, on en a connu quelque chose. Et le mec avait pas été formé à la ZAD, entre le chapiteau et les toilettes sèches.
Tout a été dit, grâce au merveilleux collectif d’auteurice s’étant chargé pour LundiMatin et Au Poste de mener à bien la lourde tâche de dresser le récit circonstancié de ce gigantesque gâchis de temps, d’argent du contribuable et de vies humaines, sur « le procès des inculpé·e·s du 8/12 ».
Tout a été dit sur la violence et l’incompétence de la DGSI (Direction Générale de la Sécurité Intérieure), qui a fait preuve de son incapacité totale à comprendre ce qu’est l’anarchisme -leur rapport consacré à ce sujet serait à se pisser, entre sémiologie du ACAB, analyse de texte d’une chanson de rap antifa et affirmation que nous n’hésitons pas à pratiquer « l’assassinat ciblé » (il faudra qu’on me dise la dernière fois qu’on a fait ça depuis Ravachol), si sa bêtise n’avait pas d’aussi funestes conséquences. Sur les méthodes atroces employées pendant les interrogatoires, où ils n’ont pas hésité à mentir, humilier, brutaliser.
Tout a été dit sur le vide du dossier, compilation improbable d’à-peu-près, de supputations claquées au sol et de grand n’importe quoi, à tel point que la juge hier, confrontée à nouveau par la défense à la nullité de ce avec quoi elle travaille, a fini par lâcher, manifestement elle aussi un peu perdue : « Je fais avec ce que j‘ai… »
Tout a été dit sur la brutalité sans nom infligée aux neuf personnes arrêtées simultanément et au petit bonheur la chance en Haute-Garonne, Ille-et-Vilaine, Val-de-Marne et Dordogne le 8 décembre 2020 (il auraient pu attendre le 13, merde), à six heure du matin, cagoulées, et longuement incarcérées, parfois plus d’un an, comme ce fut le cas pour le surnommé Libre Flot, finalement libéré en avril 2022 suite à 37 jours de grève de la faim. Sur l’intrusion intolérable dans l’intime, jusque dans ce qu’il a de plus fragile, qui leur a été imposée.
Tout ça pour briser, il n’y a pas d’autre mot, de bien étranges « terroristes » en vérité, qui achètent de quoi faire leur « explosif » – en l’espèce un gros pétard mouillé – sur le net avec une carte bancaire, avouent d’eux-mêmes « on est des branques », ne se connaissent pas pour bon nombre d’entre eux, ne savent – sauf un, Libre Flot donc, celui parti se battre au Rojava – se servir d’aucune arme et n’en possèdent d’ailleurs pas pour la plupart, et qui, comme « l’enquête » diligentée contre eux a elle-même été forcée de le reconnaître benoîtement, ne complotaient rien du tout : « Il n’y a jamais eu de projet imminent ».
Le procès d’une pensée et d’un mode de vie
Tout a été dit enfin, et j’en reparlerai car il s’agit selon moi d’un point central, sur la méconnaissance crasse, autant du Parquet National Antiterroriste (PNAT) que des juges en charge de l’affaire, du milieu des « punks à chiens » – cette appellation figure réellement sur les premiers procès-verbaux de surveillance -, dont je fais partie et où, bah oui, ainsi qu’il a fallu à nouveau leur expliquer hier, on vit en squat ou en camtar (camion, je leur traduis), on fait les chourses (courses chourées dans les supermarchés), on s’appelle par des pseudos, on passe par des canaux cryptés pour discuter, on fait des petits trafics, on est plus ou moins nomades.
Et c’est bien ça, qui est criminalisé : un mode de vie. Je me répète : ils. Criminalisent. Un. Mode. De. Vie. Alternatif, pacifique et bienveillant. Hors des sentiers goudronnés. Une pensée autre, désireuse de quitter la délirante marche du monde capitaliste. Ce qui est à mes yeux l’une des choses les plus terrifiantes de ce procès.
Ouais, tout ça a été dit. Et comme l’a bien synthétisé le camarade Patrick : « Rien de tout ça n’aurait de sens (et j’hésite franchement à employer le mot “sens” face à tant d’absurdités patentes) s’il n’y avait pas des anarchistes à la barre ».
Mais allons, il est 13h30 passée, mon portable est bien éteint, les flics sont à leur place, j’ai commencé à griffonner sur mon carnet – seuls les journalistes accrédités ayant droit à l’ordi’ – et après une petite demie-heure à déconner avec les potes des prévenu·e·s qui se foutent allègrement de ma graphie précaire (« T’écris en crypté ? -Non, juste mal » « toi au moins si les flics chopent tes notes t’es à l’abri ») tout le monde se lève et se rassoit, et l’audience commence.
Aujourd’hui, deux dangereux terroristes sont au menu : S. et M.
Terreur rouge numéro 1 : l’artificier Disneyland anti-zombies
S. s’avance à la barre. Un beau visage (comme toutes les personnes accusées, du reste), des dreads lui traînent sur le dos. Des piercings aux oreilles. Il parle d’une voix calme, droit, les bras croisés dans le dos.
La juge, accolée de ses deux assesseuses (dont je n’aurai pas grand-chose à dire si ce n’est que l’une d’elle est le sosie parfait de Brigitte Lecordier) lui lit le détail de l’une des charges qui pèsent contre lui, et qui sera discutée aujourd’hui : la possession de trois armes. Alors même que de son propre aveu, « je ne suis pas collectionneur d’armes, je n’aime pas ça ».
S. vit en camion et, en plus de travailler comme artificier d’effets spéciaux, notamment pour Disneyland, il surveille, l’hiver, des cabanons de camping. C’est dans l’un d’eux qu’il a trouvé la première arme, un fusil à canon scié, en 2017 ou 2018, il ne se souvient plus trop, « tous les hivers se ressemblent… » Après avoir prévenu le proprio du camping de cette trouvaille, il la met de côté, puis finit par la garder : « J‘aimais bien son esthétique, elle avait une drôle de gueule, un côté post-apo (rire)… C‘est tout… »
« Je l‘ai juste ressortie pour un essai de tir. Sur un oreiller. Vous savez, il y a des réalisateurs qui demandent certains effets, genre coup de feu sur un oreiller, les plumes qui volent, je voulais voir ce que ça faisait. Eh ben, c‘est pas comme dans les films. Ça vole pas ».
S, l’un des inculpé.es du procès des 8.12
On évoque ensuite une autre arme, achetée celle-ci il y a de nombreuses années pour 50 euros à un ami, « pour tirer sur les bestioles qui attaquent les poules chez ma mère », ou encore celles qui peuvent traîner aux alentours des cabanons. Une carabine, rappelle la défense, bien peu létale et qui généralement blesse les animaux plus qu’elle ne les tue -c’est d’ailleurs pour ça que son emploi est déconseillé, et l’antispéciste en moi déconseille vivement de toute façon toute activité de ce type mais c’est un autre sujet.
La dernière arme, une carabine encore, est celle de son beau-père, et a été empruntée pour que sa compagne puisse tourner un clip. « Moi j’aurai pris l’autre, la post-apo, mais bon… C’est son clip, pas le mien ». La « carabine anti-zombies » – c’est ainsi qu’elle apparaît sur une capture d’écran du clip – n’aura jamais eu d’autre fonction – salutaire, on en conviendra.
N’ayant donc en l’espèce, et comme d’habitude, pas grand-chose à se mettre sous la dent, le ministère public sort donc de sa manche un argument-jurisprudence que personne n’attendait en la personne de… Alec Baldwin, qui a effectivement été l’auteur d’un tir mortel sur la directrice de la photographie du film Rust en 2021. « C‘est votre travail, vous savez donc que cela peut être dangereux, de manier des armes dont on ne sait pas se servir, et de les laisser traîner chez soi ? » Il le reconnait volontiers : « Je conçois que c‘est pas très malin, mais j‘ai plus de munitions, et elles ne peuvent plus servir… »
Arrive une deuxième accusation. A propos de Georges Besse, patron de chez Renault assassiné en 1986 par Action directe, une écoute (enfin, ici on dit « sonorisation », c’est tout de même bien plus joli) l’a entendu dire : « Quand tu fais de la merde, tu t‘en manges une. Il leur faut des limites, moi j‘en peux plus ». Réaction de l’intéressé : « Je me suis vanté, en parlant d‘un bouquin que j‘avais même pas lu. Cette conversation, c‘est juste deux mecs alcoolisés qui jouent à celui qui pisse le plus loin… »
C’est du reste un trope récurrent de ce procès. On retrouve un peu plus tard dans la journée le même type de propos dans une écoute de M. -mais bon, comme se chargera de le rappeler la défense : « j’ai compté, il faut 40 secondes pour prononcer cette phrase. Dans le PV, il est noté qu’elle s’étale sur … 8 minutes ». Visiblement, il y a eu des coupes…
Ayant surveillé et écouté les moindres faits et gestes des inculpé·e·s pendant une fort longue période, et le dossier laisse vraiment à penser qu’il n’y a pas un arbre sur lequel les flics (qui eux aussi n’ont de toute évidence vraiment que ça à foutre de leur temps) ne savent pas qu’ils y ont pissé, quel jour et à quelle heure, il y a nécessairement beaucoup, beaucoup de conversations qui ont été captées.
Et donc, forcément, dans les milieux dont ces personnes font parties, et dont je fais partie aussi, on s’énerve. Souvent. Souvent, au tel’, ou bourré, en soirée, on gueule. Contre les banques. Contre les flics. Contre les gens de la CAF qui viennent encore de nous mettre une douille en nous radiant sans motif. Mettez-moi sur écoute pendant un an (si cela n’a déjà été fait) et vous trouverez, si vous le souhaitez une bonne vingtaine de chef d’inculpation pour appel au meurtre. Est-ce que cela signifie passage à l’acte ? Évidemment non.
Est-ce que des gauchos sont passés à l’acte ces dernières années, d’une façon ou d’une autre (et je ne parle pas d’un bris de vitrine) ? Évidemment non plus.
Bon, résumons ce qui a été dit aujourd’hui sur notre dangereux terroriste. Ce qui lui est reproché, c’est d’avoir dit de la merde bourré, et de posséder des armes -sans munitions- sans en avoir le permis. Que tout habitant de zone rurale qui n’a pas chez lui ou ne connaît au moins plusieurs voisins qui possèdent chez eux une arme non déclarée lui jette la première pierre. Comme le rappelle judicieusement la défense 5 à 6 millions d’armes de cette sorte sont en circulation. C’est un problème. Mais sans doute pas celui dont il devrait être question ici.
Pause clope, et passons à la suite.
Terreur rouge numéro 2 : M., le punk Rojaviste au lance-pierre
M. s’avance, et pose solidement ses bras face à la juge. Iroquoise blonde, gueule tatouée à la fois douce et sûre d’elle de punk bourru comme j’en ai tant chez mes potes. Il a exercé divers boulot, notamment charpentier, et beaucoup traîné en squats. Il ponctuera ses interventions de nombreux traits d’humour, quoiqu’ayant constaté que : « Je crois qu‘on n‘a pas le même humour, madame la juge. J‘aime l‘humour noir… »
Il est resté 10 mois en détention, et revient d’emblée sur certaines de ses déclarations : « j’étais terrorisé… » Sommé de justifier d’éventuels mensonges ou omissions, il refera souvent ce geste de la main, comme pour mimer une chose qui lui pèse sur la tête : « Association de malfaiteurs. Terroriste. 30 ans ». De quoi faire craquer les plus aguerris d’entre nous, et de quoi faire dire n’importe quoi, tout ce qu’ils ont envie d’entendre, pour sauver sa peau.
Plusieurs fois pendant l’audience, la juge trouvera pourtant opportun de lui rappeler que les PV d’interrogatoire notent qu’il souriait -précisons qu’il… portait un masque hygiénique, on se demande donc comment les flics ont pu voir ce sourire, mais passons. Réplique de M. : « C’était sans doute nerveux … » Il précise : « La seule fois où je me rappelle avoir souri, c‘est quand ils ont dit que j’étais le « lieutenant » du « leader charismatique [Libre Flot donc]. Je suis horizontaliste. Je ne suis le lieutenant de PERSONNE ».
Et j’en profite donc également moi aussi pour faire ce rappel essentiel à nos chers services de surveillance : les anarchistes n‘ont pas de leaders. Arrêtez de vouloir nous en inventer, en interpellant au passage celles et ceux qui ont eu le malheur de croiser leur route, comme c’est le cas dans cette piteuse affaire.
M. est un passionné d’airsoft. Et d’airsoft, croyez-moi, on en parle beaucoup depuis le début de ce procès, et on en parlera encore beaucoup, beaucoup trop, aujourd’hui. Pour rappel, l’airsoft est « une activité de loisir dans laquelle les participants utilisent des répliques d’arme à feu, propulseurs de petites billes en plastique » (merci Wiki). La Fédération Française de ce sport comptait en 2020 plus de 3800 licenciés, répartis dans 250 clubs.
C’est donc une activité tout à fait légale, et on ne m’en voudra pas de passer sur les arguties débiles déployées par l’accusation autour de ce sujet. Car du côté de M., on n’aura pas mieux, en termes de manipulation d’armes réelles, qu’une formation dans le cadre d’un boulot de guide, et un bizutage lors d’un séjour en Guyane : « Dans la forêt, les chasseurs m‘ont proposé d‘essayer le fusil. Forcément, je m‘y suis pris comme un manche, et avec le recul, je me suis pris le truc dans les dents. Ils l‘avaient fait exprès, bien sûr (rire) ».
La seule autre mention « d’armes » qui sera faite sera celle de l’annonce de la saisie chez lui de… lance-pierre, mais oui, ce qui suscitera une vague d’hilarité dans la salle.
Non. Quoique le PNAT et la DGSI puissent en dire, dans le cas de M., ce qui est véritablement en question, c’est ce fait, qu’il ne cache pas, l’ayant même annoncé à l’époque à tous ses proches et sa famille, à sa mère et son frère (« je ne voulais pas leur mentir ») : il a eu le projet, comme son ami Libre Flot, de partir au Rojava, dans le Kurdistan, pour intégrer des milices du YPG -qui, entre autres, combattent l’organisation terroriste (pour de vrai) État islamique.
« Je ne suis pas Rambo, hein … Je ne voulais pas nécessairement aller là-bas pour me battre contre Daech. Je voulais aussi y aller pour découvrir le confédéralisme démocratique, le projet politique qui est mis en place là-bas, et qui m’intéresse beaucoup, ou encore venir en aide aux population locales confrontées à l’offensive turque ».
M, l’un des inculpé.es du procès des 8.12
On pense ce que l’on veut de ce projet de vie, mais il n’a strictement rien à voir avec l’idée de commettre un attentat sur le sol français : « Cela ne m’est évidemment jamais venu à l’esprit. Aucune personne de ma famille, de mes amis, ne peut penser une seule seconde que j’ai pu vouloir faire ça, que je sois un assassin, un psychopathe… »
Et puisqu’on me suspectera forcément d’être partial à propos du Rojava, je citerai une émission du service public radiophonique français, qui a réalisé un reportage donnant la parole à l’une de ces personnes ayant décidé de s’engager aux côtés du peuple Kurde, et ne semble pas y voir de problème particulier :
« On a beaucoup parlé de ces Français qui sont partis en Syrie rejoindre l‘Etat Islamique mais beaucoup moins de ceux qui sont partis les combattre auprès des Kurdes. André Hébert est l‘un d‘entre eux. Jeune militant communiste issu de la bourgeoisie parisienne, il avait 24 ans quand il a décidé de tout quitter pour partir en Syrie défendre la révolution en cours au Rojava, les armes à la main. Dans cette région autonome de l‘est de de la Syrie, les Kurdes ont mis en place, au milieu du chaos syrien, un système politique basé sur les principes du confédéralisme démocratique qui prône la démocratie directe, le partage des richesses et du pouvoir politique entre les minorités ethniques et religieuses, en plus d’un féminisme radical ».
Reportage de Charlotte Perry pour France Inter
Cette envie de rejoindre cette lutte (envie qui n’aboutira pas, et se limitera à un séjour en Irak sans possibilité de passer la frontière) se retrouve dans ce qui est pour M. le plus « compromettant » : ses carnets, saisis, scannés et décryptés.
Car M. note tout. Bordélique et ayant mauvaise mémoire, ainsi qu’il se présente lui-même, il remplit des carnets de notes éparses. Ce qui, il faut bien le dire, quand on est un vilain gauchiste, n’est pas la meilleure des idées.
La défense se chargera de montrer qu’il s’agit d’un gros foutoir d’à peu près tout et n’importe quoi, du bricolage chez sa mère à la réunion militante, et en passant donc aussi par sa préparation au départ pour le Rojava, mais le tout soigneusement décontextualisé, écourté, parfois mal lu ou interprété, et enlevant bien sûr de nombreux passages « non pertinents » -comprendre : qui n’arrangent pas les enquêteurs ?
Bref. Il me semble que je suis déjà bien long, autant que fut longue cette journée, et il est peut-être temps d’approcher de la conclusion. La proc’ aura beau sortir les similitudes supposées de certaines notes du carnet avec un fascicule… maoïste chopé dans un infokiosque (devoir leur expliquer ce mot…) et fourré dans ses affaires, dont il dit : « Je ne suis pas maoïste, et je ne l’ai même pas lu », on en reste à ce constat : tout ce que l’on peut factuellement reprocher à M., c’est d’avoir voulu rejoindre la lutte de nos camarades Kurdes.
Je n’aime pas le mot héros, d’ailleurs en vrai ça n’existe pas, et je doute d’être en mesure de participer à une quelconque lutte armée d’émancipation, mais je ne peux personnellement qu’admirer le courage de ces personnes qui sont prête à aller jusqu’à ce point au bout de leur idées, jusque des terrains lointains où leur vie même sera en jeu.
En ce moment, et depuis des jours, de nombreux médias, et des personnalités politiques, relaient les applaudissements enthousiastes adressés aux franco-israéliens qui vont s’engager dans Tsahal, armée accusée de crimes de guerre à Gaza -ce qui n’est pas le cas des milices kurdes du YPG. Je pose donc la question : est-ce que vous ne seriez pas un tout petit peu, mais alors juste un peu, en train de vous foutre de notre gueule ?
C’est nos vies qu’ils criminalisent
Questionné par la défense sur le modèle de société désirable qu’il imagine, M. répond ainsi : « Je vais pas faire un moment petites fleurs et papillons… Mais la société que je veux, c‘est une société où on est bienveillants les uns envers les autres ».
C’est ce qui ressort du profil des inculpé·e·s et de leurs copaines, avec lesquelles je vais boire quelques pintes une fois l’audience terminée, à la nuit tombée. Des gens qui aiment la vie, les forêt, les libertés et l’entraide. Qui se tournent avec des rires et de l’amour vers les personnes en exil, les marginalisées, les blessées, et vers les arbres, et vers les animaux, vers le vivant quoi. Qui aiment se marrer et se baigner, se balader et picoler -sans doute trop, parfois.
Des gens à crête. Comme moi. Avec ces ACAB tatoués sur les mains. Comme moi. Qui vivotent de-ci de-là. Comme moi. Comme nous. J’aurais parfaitement pu être sur le banc des accusés. Chacun·e de mes copaines aurait pu l’être, en fait.
Dans ce procès, aux travers des inculpé·e·s, c’est notre monde, notre petit monde à part qui pourtant n’emmerde personne (enfin si, ça en emmerde beaucoup, mais franchement il leur en faut peu), avec nos ZAD, nos squats, nos festivals et nos potagers, qu’ils veulent criminaliser, dissoudre, condamner, enfermer.
L’amie Corinne Morel Darleux, dans son dernier essai, Alors nous irons trouver la beauté, cite un passage du roman Les Yeux dans les arbres :
« -Mais alors, qu‘arrive-t-il si c‘est un grand fleuve comme le Congo, si large qu‘aucune liane n‘est assez longue pour le traverser ?
– C‘est simple, dit-il. Il ne faut pas le traverser. »
Elle en conclut : « C‘est simple, il ne faut pas. Cette phrase est d‘une efficacité imparable. Elle clame avec une tranquille évidence qu‘il est parfois préférable de ne pas ».
Pour nous, ce « ne pas », c’est ce que nous continuerons à ne pas faire, malgré leurs flics et leurs procs’ et leurs procès : ne pas vouloir des existences qu’ils nous imposent.
Et eux, il auraient pu ne pas, aussi. Ne pas faire ce procès.
Soutien à toutes les cibles de la répression, vive les squats et l’anarchie, et je n’ai, moi non plus, plus grand-chose à déclarer.