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Bénédicte Bonzi Marie Drique Nora Bouazzouni

Insécurité alimentaire : une bombe à retardement ?

Insécurité alimentaire : une bombe à retardement ? Au pays des étoiles Michelin et des fastueux repas officiels aux frais du contribuable, huit millions de Français·e·s sont en insécurité alimentaire.

Un·e étudiant·e sur cinq a recours à l’aide alimentaire et 25% des familles monoparentales se privent de repas au moins deux jours par mois, faute d’argent. En dix ans, les fruits et légumes frais ont augmenté de 50% et 70%. Un récent rapport chiffrait à 12,3 milliards d’euros le montant des dépenses publiques engagés par l’État français pour pallier les impacts négatifs du système alimentaire. Une double peine qui frappe davantage les plus précaires, car plus que jamais, l’alimentation est devenue la variable d’ajustement : une fois réglées toutes les charges incompressibles, on mange avec ce qui reste.

Face à une hausse des demandes inédite, les banques alimentaires ont de plus en plus de mal à pallier l’inaction de l’État. Pour ce nouvel épisode de « Bouffe de là ! », Nora Bouazzouni convoque Bénédicte Bonzi, chercheuse et docteure en anthropologie sociale, autrice de « La France qui a faim – Le don à l’épreuve des violences alimentaires » et Marie Drique, responsable «Accès digne à l’alimentation durable» au Secours Catholique


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Insécurité ou précarité alimentaire ?

La définition de la sécurité alimentaire, posée au Sommet mondial de l’alimentation en 1993 est claire :

La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires, pour mener une vie saine et active.

Définition de la sécurité alimentaire, Sommet mondial de l’alimentation

L’insécurité alimentaire en découle directement, en ce qu’elle est l’impossibilité d’y accéder. Ce qui la différencie de la précarité alimentaire est l’ensemble des outils très précis qui permettent de la mesurer. La précarité alimentaire, elle, met davantage l’accent sur la situation de la personne. Marie Drique, du Secours Catholique, répond aux propos de Michel-Édouard Leclerc qui prétend qu’il est facile de manger lorsque l’on a la culture du prix bas et que l’on prend le temps de cuisiner. Ces propos, selon lesquels il ne s’agirait pas d’un problème d’argent mais d’éducation, ne prennent pas en compte la promotion de certains produits de marque qui poussent les gens à consommer des aliments mauvais pour la santé.

Un autre a priori voudrait que les classes populaires ne sachent pas gérer leur budget. Bénédicte Bonzi et Marie Drique, toutes deux au contact direct avec les personnes en précarité alimentaire, rétorquent que les femmes rencontrées sont « de vraies mathématiciennes », qu’elles maîtrisent leur budget à l’euro près, qu’elles organisent leurs courses en fonction des promotions repérées et en anticipant les fins de mois par l’achat et le stockage de boîtes de conserve.

« Pour beaucoup de personnes […], la question de pouvoir choisir sa propre farine est très bourgeoise. Si on a peu de choix et si on doit compter, il y a des choses qu’on ne met plus dans sa carte mentale. Je ne dis pas qu’ils n’en ont pas connaissance ni que ça n’existe pas, mais quand on doit faire des priorités, [le choix] n’est pas la priorité. »

Bénédicte Bonzi

Les conséquences de l’insécurité alimentaire

Elles sont aussi bien physiques que mentales. Il y a le stress de la gestion budgétaire, ou de savoir si l’on parviendra à bien nourrir ses enfants. On peut aussi éprouver un certain sentiment de honte en allant recourir à l’aide alimentaire. À cette angoisse s’ajoute l’isolement social, les personnes concernées évitant d’inviter du monde à la maison. Pour ce qui est des conséquences physiques, selon la Drees, les 10% des plus modestes en France développent plus souvent des maladies chroniques que les 10% les plus aisés, deux fois plus de diabète, de maladie du foie ou du pancréas. Bénédicte Bonzi nous parle de son immersion au sein des structures d’aide alimentaire. Ces dernières sont chargées d’assurer l’équilibre alimentaire des personnes accueillies sans pour autant recevoir les moyens d’assurer cet équilibre. Elles font donc au mieux mais distribuent beaucoup de boîtes de conserve, qui s’avèrent contenir beaucoup de sucre.

D’autres injonctions sont visibles dans les messages de prévention contre l’alimentation trop grasse, sucrée ou salée, qui malgré leur importance ont un effet culpabilisant sur les plus précaires. Marie Drique souligne la contradiction entre ces messages de sensibilisation et les 5 milliards d’euros dépensés chaque année pour de la publicité, qui en majorité concerne des produits trop gras et sucrés. Par ailleurs, les marges des grandes distributions liées à la hausse des prix des fruits et légumes permettent de baisser considérablement le prix des produits sucrés. Beaucoup de problème de carence en vitamine C sont ainsi repérés chez les personnes précaires.

À ceux qui disent qu’il est facile de manger des oranges, ils doivent prendre deux heures de leur temps pour aller dans les centres de distribution comme les Restos du cœur ou le Secours Populaire et se retrouver face à des familles à qui on fait choisir les fruits pour la semaine. On va leur donner deux oranges, une banane et un kiwi qu’il faut partager avec toute la famille pour toute la semaine.

Bénédicte Bonzi

Une source INRAE intitulée « Manger à sa faim et sain, une question de revenus ? » affirme que les Français, quels que soient leurs revenus, consomment une quantité équivalente de produits gras, sucrés, salés, de viande et de poisson, à l’exception de deux catégories de produits : les plus aisés consomment deux fois moins de boissons sucrées et deux fois plus de fruits et légumes que les personnes en situation de précarité alimentaire.

Et l’aide alimentaire, dans tout ça ?

Dans les années 1980, différentes structures comme les Restos du cœur se mettent en place. Mais si le projet de Coluche devait être ponctuel pour mettre le pied à l’étrier à l’État, ce système d’aide alimentaire est devenu structurel. D’une réponse à l’urgence, c’est devenu une réponse à de la précarité structurelle, sans lutter en profondeur contre la pauvreté. Marie Drique parle des évolutions sur les aides qui incitent à aller plus loin, comme le montre par exemple le fond « Mieux manger pour tous ». Cependant, selon Bénédicte Bonzi, il ne faut pas confondre sécurité sociale de l’alimentation et aide alimentaire, cette dernière devenant « un marché », contrainte de rentrer dans les règles de la rentabilité. La mission que l’État délègue aux structures de l’aide alimentaire est une mission impossible, sans fournir les moyens suffisants.

En 2019, les Préfets des communes de Seine Saint-Denis demandaient à des agents municipaux d’assurer les distributions d’aide alimentaire par crainte des émeutes de la faim. C’est là qu’intervient la sécurité alimentaire, qui doit être un réel projet de paix et de justice sociale en se disant « on va reconquérir notre alimentation de manière démocratique ». Cette politique, qui repose sur le droit à l’alimentation, se base sur plusieurs piliers, dont l’universalité, la cotisation et le conventionnement dédié aux choix alimentaires.

Le droit à l’alimentation reconnaît la capacité d’accéder à l’alimentation en qualité, quantité suffisante et en autonomie. Il doit tout mettre en œuvre pour que l’on ne soit pas obligé de demander de l’aide mais que l’on soit capable de choisir son alimentation. La France a ratifié certains protocoles internationaux qui reconnaissent le droit à l’alimentation mais il n’y a pas de reconnaissance dans le droit français. […] On demande la mise en place d’une loi cadre sur le droit à l’alimentation qui permette de poser des objectifs et des principes de base pour y répondre et de donner cette orientation aux politiques publiques.

Marie Drique

Cinq questions-clé

Que sont les Restos du cœur ?

Les Restos du Cœur sont une association caritative française fondée en 1985 par l’humoriste Coluche. Leur mission principale est de fournir une aide alimentaire gratuite aux personnes en difficulté, tout en luttant contre l’exclusion sociale. Fonctionnant grâce à des dons, des subventions et l’engagement de milliers de bénévoles, l’association propose également des services complémentaires comme l’aide au logement, l’accès à l’emploi ou des ateliers d’insertion.

Quelle est la différence entre aide alimentaire et sécurité sociale alimentaire ?

L’aide alimentaire consiste à fournir des denrées gratuites ou à faible coût aux personnes en situation de précarité, souvent sous forme de colis, repas ou banques alimentaires, et repose sur des initiatives caritatives ou associatives. La sécurité sociale alimentaire, en revanche, est un concept plus large visant à garantir un accès universel et pérenne à une alimentation saine et suffisante, en s’appuyant sur des mécanismes publics, comme des allocations dédiées ou des subventions, pour assurer une égalité de droits et réduire les inégalités alimentaires de manière structurelle.

Qu’est-ce que le Secours Catholique ?

Le Secours Catholique est une organisation caritative française fondée en 1946, inspirée par les valeurs chrétiennes, qui lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Elle offre une aide matérielle (alimentation, vêtements, hébergement), un soutien moral et des actions d’accompagnement pour favoriser l’autonomie des personnes en difficulté. Présente en France et à l’international, elle s’appuie sur un large réseau de bénévoles et promeut la solidarité, sans distinction de religion ou d’origine.

Qu’est-ce que le Sommet mondial de l’alimentation ?

Le Sommet mondial de l’alimentation est une réunion internationale organisée par la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) pour traiter des enjeux liés à la faim, à la sécurité alimentaire et au développement durable. Il vise à rassembler les dirigeants mondiaux, les experts et les organisations pour définir des stratégies globales afin d’éradiquer la faim, garantir un accès équitable à une alimentation suffisante et saine, et renforcer les systèmes alimentaires face aux défis comme le changement climatique ou les inégalités.

Quelles sont les missions de l’INRAE ?

L’INRAE (Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement) est un organisme public français dédié à la recherche et à l’innovation dans les domaines de l’agriculture, de l’alimentation et de l’environnement. Ses missions principales sont de répondre aux défis de la sécurité alimentaire, de gérer durablement les ressources naturelles, de lutter contre le changement climatique et de promouvoir des systèmes agricoles et alimentaires durables. En collaboration avec des acteurs publics et privés, l’INRAE produit des connaissances scientifiques et des solutions pour accompagner les transitions écologiques et sociétales.

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