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David Dufresne, Nicolas Mariot, Hélène Ferrarini & Claire Judde de Larivière #AuPoste

Histoire et journalisme: comment mener l’enquête?

Les enquêtes ont une longue histoire : des procédures médiévales aux enquêtes menées par Sherlock Holmes à la fin du XIX e siècle jusqu’à celles des journalistes et des chercheurs·ses qui rassemblent aujourd’hui d’innombrables données à partir desquelles produire leurs analyses. Des méthodes communes permettent-elles d’accéder à la vérité des faits ? Existe-t-il des similarités dans des démarches aussi différentes que l’investigation policière, l’enquête journalistique et la recherche en sciences sociales ?

Claire Judde de Larivière a choisi ses trois invités, Nicolas Mariot, Hélène Ferrarini et David Dufresne, pour leurs pratiques pluridisciplinaires et leur ouverture aux différents champs, aux différentes méthodes. Comme illustration, la soirée sera ouverte sur une évocation de Carlo Ginzburg, historien italien à l’initiative de la micro-histoire, discipline qui rapproche l’histoire du journalisme, dans son rapport à la « petite histoire », au détail, aux individus. L’indice, trace de ce qui est passé et qui n’est plus, est peut-être ce qui fait le mieux le pont entre les deux pratiques. C’est alors autant la manière de mener l’enquête que la forme que prend la restitution de celle-ci qui deviennent intéressantes à comparer.

Chacun avec leurs outils et leurs angles de vue, les invités observent dans leur travaux les rapports entre ceux qui font la loi, ceux qui la font appliquer, et ceux qui l’appliquent ; et ce sont justement de leurs pratiques qu’ils viennent discuter.


L’extrême droite qui rafle la mise, partout. Les libertés fondamentales attaquées de toutes parts. Une gauche de gauche à reconstruire. Plus que jamais une presse réellement indépendante, et pas pareille, est nécessaire.

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Enquêtes et pratiques

Hélène Ferrarini a travaillé pendant plusieurs années sur les homes indiens en Guyane, ces pensionnats catholiques dans lesquels grandissent des enfants autochtones sous la coupe de l’État français, depuis les années 1930. Le dernier home a fermé ses portes en 2023. En partant des témoignages de celles et ceux qui ont vécu ces pensionnats, c’est en quelque sorte une histoire incarnée qu’elle édifiera, remontant le fil d’un phénomène sur lequel personne ne s’était encore vraiment penché dans sa globalité.

Lorsque je m’engage dans ce travail de recherche, je prends conscience que l’histoire de ces pensionnats est en fait un vide historique. On a très peu d’éléments de connaissance, d’information à leur sujet. Ce que j’ai, ce qui existe à ce moment-là en Guyane sont des souvenirs de celles et ceux qui ont grandi chez le prêtre, dans la maison des sœurs… mais on reste à des échelles individuelles.

Hélène Ferrarini

David Dufresne, avec son « enquête sur l’enquête » de l’affaire Tarnac, prend ses distances avec le journalisme et embrasse depuis une pratique plus artistique, s’autorisant la fiction quand c’est pertinent… sans jamais perdre en rigueur par rapport aux sujets qu’il traite. Il expliquera s’être heurté, en menant ce travail, aux limites du journalisme dans son rapport à l’immédiateté, là où du temps est nécessaire pour déconstruire, en l’occurence, la version policière et politique des faits. 

La clé du succès, c’est de sortir de toute notion de commande, de rentabilité ; de pouvoir prendre son temps et de mesurer de part et d’autres les vérités qui sont à la fois toutes justes et totalement contradictoires et antagonistes.

David Dufresne

Nicolas Mariot, chercheur au CNRS, mêle les sciences politiques, la sociologie et l’histoire. Ses sujets d’étude dessinent une carrière tournée vers les questions de conformisme et d’obéissance, à la loi, à l’ordre établi, à ce qui fait norme. Trouver et étudier les situations « hors normes », qui sortent du rang – et qui ne sont pas forcément la marginalité – permet alors « d’éclairer la régularité ». L’expérience « grandeur nature » du confinement de début 2020 fut bien évidemment un cas d’étude prolifique. 

Je ne cherche pas de traces. Je ne travaille pas sur des cas marginaux comme mes collègues ; je travaille sur des phénomènes de régularité, toutes mes enquêtes sont adossées à des bases de données.

Nicolas Mariot

L’enquêteur et ses sources

Dans l’océan de données, d’archives, de personnes potentiellement concernées par le sujet, l’enquêteur doit parfois faire la part des choses entre ce qu’il aimerait faire et ce qu’il peut faire. Hélène Ferrarini souligne le besoin de diversifier les profils des personnes avec qui on s’entretient, d’interroger leurs biais éventuels, sans déprécier leur parole. Même chose pour les archives, il est impossible de tout fouiller, on se fie à la description des cartons et on se remet donc à la manière dont le centre d’archives les classe…

Reste alors un problème de taille : comment l’enquêteur s’interroge-t-il lui-même ? Quel est son propre rapport au sujet ? Comment évolue-t-il ? Doit-il s’engager personnellement ? Les trois intervenants s’accordent pour dire que la neutralité ne va pas avec l’honnêteté intellectuelle. L’enquêteur doit pouvoir reconnaître ses propres biais, ses éventuels partis pris, les assumer tout en laissant la place au contradictoire, comme la déontologie du journaliste le demande. Pour l’historien, c’est la dispute historiographique qui va jouer ce rôle. « Les faits sont sacrés mais l’interprétation est libre », aime dire Edwy Plenel.

Pourquoi deux historiens qui travaillent tous les deux très bien, avec beaucoup d’honnêteté, de précision, peuvent ils arriver sur la même base documentaire, à des conclusions aussi différentes ? Moi, je crois que ce n’est pas un problème, à partir du moment où on entend les sciences sociales comme « poser un problème », « éclairer les choses sous la forme de problèmes », et non pas comme la recherche de vérité absolue.

Nicolas Mariot

Restituer l’enquête

Dans la restitution de l’enquête, il y a aussi plusieurs écoles : si l’historien a tendance à s’effacer dans son récit, le journaliste aura moins de difficultés à faire apparaître ses sources. Mais cela n’est peut-être finalement qu’une question de tradition des différents champs professionnels, et les universitaires semblent s’ouvrir de plus en plus à des formes de récit moins distantes. 

Un des points de départ de mon travail est de faire un contre-récit du récit médiatique, qui est alimenté par la justice et par le politique. La plupart du temps, les médias ne disent jamais d’où ils parlent. Moi, je vais exprimer mes doutes, mon cheminement, pour donner les clés de compréhension. Je ne veux pas faire celui qui est au-dessus de la mêlée, j’écris en temps réel ce qui se passe, et c’est une grande différence avec le travail de l’historien.

David Dufresne

La forme du récit participe de comment le public le reçoit : informer, n’est-ce pas mettre en forme ? Dans tous les cas, pour produire son effet, il devra « raconter quelque chose de plus » que les seules conclusions d’une investigation sur un sujet précis. Tant qu’ils restent rigoureusement informés, des formes très diverses, y compris le roman, la fiction peuvent apporter une solution.

Tout ce que j’avance, je peux le sourcer ; ensuite, c’est un choix de revenir à des écrits ethnographiques, des documents d’histoire, des mémoires… pour rendre compte de la contrainte qui s’est imposée aux familles, un témoin dit « on n’était pas obligé mais il n’y a qu’un choix possible ». Ce sont des choses très fines que j’essaie de restituer en travaillant sur l’écriture.

Hélène Ferrarini

Trois questions clés

Qu’est-ce que le festival L’Histoire à venir ?

L’histoire à venir est née à l’initiative du théâtre Garonne, des équipes de recherche de l’université de Toulouse Jean-Jaurès, des éditions Anacharsis et de la librairie Ombres blanches. Cette manifestation a l’ambition de montrer que l’histoire peut et doit nous aider à comprendre les enjeux des débats contemporains. Loin d’être un récit figé et nostalgique, l’histoire est une discipline vivante qui permet de mettre en perspective les débats du passé et les possibles de l’avenir.

Pourquoi l’édition 2024 du festival a pour thème Au nom de la loi ! ?

La soirée est présentée de la manière suivante : «Arrêtons-nous, le temps d’un festival, sur ces règles qui charpentent les sociétés, créent du commun tout en hiérarchisant et singularisant, génèrent droits, contraintes et châtiments autant que contournements et transgressions. […] À l’heure où se creuse en de multiples domaines un fossé inquiétant entre norme et usage, droit et justice, légalité et légitimité, L’histoire à venir veut ouvrir un dialogue avec la philosophie, l’économie, le droit, les arts et les sciences, afin de comprendre de quoi la loi est le nom »

Quels sont les ouvrages présentés par les trois intervenants ?

Hélène Ferrarini présente Allons enfants de la Guyane. Eduquer, évangéliser, coloniser les Amérindiens dans la République » (Anacharsis, 2022) ; Nicolas Mariot a publié L’attestation, une expérience d’obéissance de masse, printemps 2020 (Anamosa, 2023) ; David Dufresne évoque son ouvrage Tarnac, magasin général (Calmann-Lévy, 2012).

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