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Gilles Perret: reprise en main

Le film est une réussite. Fable montagnarde, et ouvrière, sous fond de capitalisme vorace, Reprise en main marque l’irruption dans la fiction du dénommé Perret Gilles, favorablement connu de nos services pour son travail acharné de documentariste au front (J’veux du Soleil, Debout les femmes). Ça fait beaucoup de (bonnes) raisons de le convoquer Au Poste.
La finance

« Reprise en main » nous emmène en Haute-Savoie, dans une petite entreprise de métallurgie convoitée par un fonds d’investissement sans scrupules. Ce dernier se propose de la racheter en « leveraged buy-out » (LBO), une méthode qui consiste à n’avancer qu’une petite somme d’argent, et de payer le reste par un emprunt… à la charge de l’entreprise elle-même, à des taux scandaleusement élevés. Autrement dit, l’entreprise paie, le fonds d’investissement est propriétaire, et à la revente, le fonds empoche tout ce que l’entreprise a remboursé comme emprunts. L’entreprise rachetée ainsi est bien évidemment surendettée, perd sa capacité à investir et à payer décemment ses salariés.

Si les fonds d’investissement rachètent les entreprises sans argent, je vois pas pourquoi nous, on pourrait pas le faire ?

Pierre Deladonchamps | dans « Reprise en main »

Les ouvriers, pour qui c’en est trop, décident de le battre avec ses propres armes. Si le LBO demande relativement peu d’argent au départ, il faut « être financier » pour accéder à ces emprunts, c’est-à-dire avoir les codes, les bons contacts pour se faire accepter des banques. Le film raconte ensuite comment cette « bande de copains » va débarquer dans le monde de la finance, se « déguiser en financiers »  pour mettre à profit leur plan. Dans le chat, l’idée fait très rapidement son chemin.

Le film est-il un mode d’emploi pour les ouvriers ?

Pimikosaicho | dans le tchat
La montagne

Le réalisateur admet très volontiers que son film sert un discours bien réel, pour « amener des informations, de l’humanité, des connaissances, mais sans être chiant ». Lui-même vit et pratique depuis toujours la vallée, la montagne, et même l’usine (ses premières années professionnelles) qui servent de décor au film. Le scénario est donc nourri de sa propre histoire, ainsi que de celle de ses proches, pour écrire un film « très documenté, très précis sur le fond ». Ces derniers interviennent parfois concrètement dans Reprise en main.

Quand vous verrez ce film, dites-vous que vous voyez les copains, les voisins, les enfants des voisins, tout le monde a mis sa contribution.

Gilles Perret

Gilles Perret fait sortir ses personnages de leur condition de travailleurs : il les montre moins à l’usine que chez eux, en train d’échafauder des plans autour de plusieurs verres, ou encore à la montagne, escaladant la falaise à pic. La dichotomie est clairement posée entre eux et les financiers qui pratiquent « l’escalade en salle », que l’on ne voit que très peu, comme si il ne vivaient que par procuration de leur fonction déshumanisante. Pour autant, si les structures sont établies, les personnages les transcendent.

Dans la montagne, il n’y a plus de hiérarchie, tout le monde est petit face à elle ; et cela permet des rencontres.

Gilles Perret

La montagne savoyarde n’est jamais loin. Devant son immensité, et face aux éléments naturels, les distances s’effacent entre les conditions sociales, « l’apparat tombe ». En mettant en parallèle la division du travail à l’usine avec la mise en scène de l’escalade, le réalisateur dresse un joli retournement des valeurs, s’appuyant sur son environnement pour « faire tomber les barrières que dressent les financiers ». Ces barrières sont fragiles, et les protagonistes s’en rendent bien compte. « Dans le film, on montre que ce n’est pas si compliqué, il faut juste avoir le costume, la dialectique, et les réseaux », résume le réalisateur. 

Les images de cette montagne sont époustouflantes sauf que ça fait très peur…

LabelleLN | dans le tchat
Le public

Si la Savoie est un personnage à part entière, c’est bien à toute la France que Gilles Perret adresse son long-métrage, et s’y déplace volontiers pour le présenter. Avec le sourire, il nous raconte les kilomètres parcourus pour rencontrer son public, prolonger les discussions avec « ceux dont il parle » dans ses films, parfois au détour de séances de diffusion gratuites… et ne manque pas de taquiner David Dufresne, grand coutumier du fait lui aussi.

La même proximité est de mise auprès de ses acteurs : ils sont filmés de près, à la manière d’un documentaire. Gilles Perret revendique de tourner un « film de copains », dans lequel le spectateur a envie d’entrer. Mais le cinéma, pour lui, n’est pas une fin en soi, c’est un moyen de « faire passer des messages », qui nourrissent entre autres les discussions d’après-séance, à sa grande satisfaction.

Je veux bien parler de cinéma, je n’ai pas de problème par rapport à ça, mais je sais pourquoi je suis sur les routes.

Gilles Perret

Comme ses précédentes réalisations, Reprise en main est un film qui fait du bien : le rire, la joie insufflées dans ses films sont des vecteurs d’espoir et d’énergie pour « relever la tête », de combativité pour les batailles sociales qui s’annoncent. Le rire permet de transmettre du savoir et de le digérer. Gilles Perret en profite pour rappeler que les agissements du monde de la finance sont majoritairement légales, ce qui signifie qu’elles sont autorisées, jusqu’à nouvel ordre, par la collectivité à « imprimer leur rythme » et leurs objectifs au plus grand nombre. À travers son film, il nous invite implicitement à sortir du marasme ambiant et rappelle qu’en dernière instance, la force du nombre peut l’emporter.

La joie comme carburant au militantisme, en opposition à la peur qui pétrifie.

Fortindaniel | dans le tchat
La fiction

David Dufresne enfile sa double casquette d’animateur du Poste et de réalisateur pour questionner son invité sur l’expérience nouvelle qu’est la réalisation de fiction pour lui. Avec une idée derrière la tête ?

Avec ce film, Gilles Perret se retrouve pour la première fois à diriger des acteurs. De son aveu, le scénario est complexe en ce qu’il cherche à proposer de manière crédible une réponse à la réalité des emprunts LBO et du monde financier en général. Mais même avec plusieurs années de préparation, il confie avoir laissé les acteurs s’emparer de leurs personnages et les affiner par leur jeu.

Les comédiens se sont investis dans le film au-delà de ce qu’on aurait pu imaginer. Ils ont envie de porter à la fois le message et l’histoire, et se sentent une responsabilité pour être le plus juste possible vis-à-vis de l’histoire, des gens, pour être le plus fidèle possible à la réalité de terrain.

Gilles Perret

Encore plus que pour le documentaire, des questions se posent avec l’écriture. La représentation féminine dans le film, par exemple, se tient en équilibre entre la réalité du monde ouvrier et la volonté de mettre en scène des personnages féminins existants par elles-même. Gilles Perret pense aussi au budget, plus conséquent (1,8 million) que pour ses documentaires pour lesquels il tournait seul ou bien « avec François (Ruffin) dans sa voiture », se rappelle-t-il. Pour ce film, une équipe d’une quarantaine de techniciens étaient mobilisés, en plus des acteurs. L’expérience est concluante : encouragé par les bons retours de la presse et des spectateurs, le réalisateur se projette dans un second long-métrage.

Le cinéma

Le réalisateur ne veut pas invisibiliser les difficultés qui existent, aujourd’hui, pour trouver sa place dans le cinéma français. Son film, qui s’assume comme portant un discours social, détonne dans un paysage audiovisuel « auto-centré » sur la réalité des catégories socio-professionnelles les plus représentées, à savoir les plus hautes. Dans le tchat, on se demande « pourquoi toutes les comédies mainstream sont de droite ? ». Gilles Perret rétorque avec finesse : « Ce serait bien que les gens de gauche soient un peu plus rigolos ! ». Et David Dufresne, faussement outré, de lever les yeux au ciel.

Que donne à voir le cinéma en France ? Majoritairement des CSP+, qui vivent à Paris dans des appartements avec des hauts plafonds, qui font des brunchs, des dîners… ce qui correspond à une réalité qui est la leur, mais qui n’est pas la mienne, et pas celle de l’immense majorité des Français.

Gilles Perret

Peut-être faut-il y trouver l’une des raisons pour lesquelles la fréquentation des salles en France est en forte baisse, -30% par rapport à il y a trois ans. Les périodes de confinement ne font qu’accélérer un phénomène qui s’est amorcé avec la concurrence des plateformes de streaming, et les spectateurs semblent moins s’enthousiasmer pour l’expérience collective qu’est la diffusion en cinéma. Sans doute qu’un cinéma qui produit de la joie, qui s’adresse à ses spectateurs, encouragera ces derniers à revenir en salles. Gilles Perret défend le modèle du cinéma français, dont le mécanisme de la TSA permet la redistribution de 10% du prix de toute entrée en salles – y compris les blockbusters – à la subvention de « petits films », notamment ceux classés Art & Essai, ce qui explique la diversité du cinéma français. Il rejoint malgré tout son interlocuteur sur le fait que les propositions les plus mises en avant encouragent moins les spectateurs à se déplacer.

Cette exception culturelle française est tout le temps menacée dans un monde libéral.

Gilles Perret

Le réalisateur, qui soutient l’idée d’États généraux du cinéma, fait l’aller-retour entre les cinémas, le « terrain » et les institutions du cinéma pour défendre le cinéma indépendant. Il nous propose des pistes pour soutenir son film : aller le voir au cinéma, bien entendu, mais aussi demander à son cinéma le plus proche de le diffuser, et investir les nouveaux terrains de lutte que sont Allociné et SensCritique, sur internet, car les appréciations de la presse et des spectateurs jouent un rôle grandissant dans la visibilité et le succès d’un film.

La vie d’un film comme celui-là, ça se joue dans les deux, trois premiers jours. Les chiffres sont scrutés par tous les exploitants de cinéma, les commerçants. Ça joue sur le fait qu’ils le reprennent en deuxième semaine ou pas, qu’ils le diffusent dans leur ville ou non.

Gilles Perret

Comme son père avant lui, Cédric travaille dans une entreprise de mécanique de précision en Haute- Savoie. L’usine doit être de nouveau cédée à un fonds d’investissement. Epuisés d’avoir à dépendre de spéculateurs cyniques, Cédric et ses amis d’enfance tentent l’impossible : racheter l’usine en se faisant passer pour des financiers !

1 commentaire
  1. Film vu le 2 novembre, très bon film, à voir ABSOLUMENT ! j’ai découvert dans ce film la technique financière du LBO … et c’est légal :-/
    Honte à Libé pour la critique faite sur ce film , je lui ai mis 5***** sur Allo Ciné :o)
    et préparez vous une fondue quand vous rentrez du ciné :p

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