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Agnès Levallois #AuPoste

«Israël ne veut pas d’une négociation. Mais une reddition totale» Agnès Levallois

Collectif, préfacé par Rony Brauman, déjà vu Au Poste, Le livre noir de Gaza (Le Seuil) vient lutter contre l’indifférence. L’ouvrage rassemble dans une soixantaine de textes les principaux rapports des ONG internationales palestiniennes et israéliennes, des contributions inédites de consultants indépendants, des enquêtes d’experts et de reportages, sous la direction de notre invitée, Agnès Levallois, vice-présidente de l’Institut de Recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO).



Une documentation de l’entreprise d’anéantissement méthodique de l’armée israëlienne, soldée par la mort de plus de 43 000 Palestiniens, et la destruction ce qui leur permettait de survivre. Sort des victimes civiles, destructions du territoire, attaques contre les journalistes, les humanitaires, les personnels de santé, arsenal utilisé, chacun de ces faits est l’objet d’une étude approfondie.

«A la base de ce travail, c’est le blocus. Qui dit blocus dit absence d’information» annonce d’emblée Agnès Levallois, avant de saluer le travail incroyable des journalistes palestiniens dans la bande de Gaza, sans qui la documentation serait impossible. Au cœur de cet ouvrage, le besoin d’allumer des contre-feux, comme le dit Rony Brauman, au processus de déshumanisation des Palestiniens qu’entreprend Israël.

Expliquer n’est pas justifier

«Ce qui m’a frappé au lendemain du 7 octobre 2023, c’est de voir à quel point il était impossible de dire que ce 7 octobre n’est pas tombé du ciel. Ça n’enlève en rien l’horreur de ce qui s’est passé, mais on ne peut pas faire démarrer l’Histoire de Gaza au 7 octobre» déclare Levallois.

Expliquer ne veut en rien dire justifier. Expliquer, c’est permettre de comprendre. Ne pas s’arrêter à l’horreur de ce qui se passe. L’horreur ne vient pas de nulle part. Il n’y a pas un chromosome chez les Palestiniens qui veulent faire des massacres.

Agnès Levallois

Dans Le livre noir de Gaza, Agnès Levallois remonte à la création de l’Etat d’Israël, pour dessiner les contours du terreau du massacre du 7 octobre, et de celui en cours depuis plus d’un an. Elle décrit la stratégie israélienne depuis des décennies : rendre les négociations impossibles, afin de légitimer la guerre au motif d’une absence d’interlocuteurs. C’est dans cette perspective qu’Israël comme les pays voisins a fait monter les Frères musulmans, explique-t-elle. Elle rappelle qu’à Gaza, «tous les deux ans, un prétexte était pris pour tuer un certain nombre de responsables. C’est quelque chose qui est rentré dans les mœurs aujourd’hui. Israël a le droit d’aller tuer en dehors de son territoire des personnes qui la gênent.»

Elle insiste sur le poids du 11 septembre 2001, qui a fait de la lutte contre le terrorisme, assimilé à l’islam politique, à l’islam radical, «l’obsession des pays occidentaux et d’Israël.» A partir de là, ajoute-t-elle, «la lutte contre le terrorisme prend le dessus sur tout le reste, parce que dès que vous dites le mot “terroriste”, c’est fini, on ne peut plus rien dire.»

Lorsqu’Agnès Levallois parle du 11 septembre 2001, elle ne mentionne pas l’année. Si évidemment, nous sommes toujours du côté des victimes, Dufresne demande si le fait de ne pas donner l’année pour des dates comme le 11 septembre ou le 7 octobre, mais de la préciser dans d’autres cas ne relève pas «de quelque chose de très américain, qui oriente la pensée, cette idée de “c’est notre camp qui a été attaqué”» ? Levallois, surprise mais ravie de cette réflexion, acquiesce chaudement «vous avez raison, c’est encore une fois regarder la situation à travers un seul prisme.»

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Un ponton inutile… à 200 millions de dollars

«A chaque fois qu’Israël impose quelque chose, au lieu de l’affronter et d’obtenir une ouverture des points de passage, pour se donner bonne conscience, on va contourner en trouvant une autre solution» dit Levallois, qui dénonce des plans entre inconscience, danger, presque folie. Concernant l’aide humanitaire larguée par les airs, il ne permet absolument pas de répondre aux besoins élémentaires de la population, puisqu’il constitue à peine un dixième de l’aide représentée par les camions lorsqu’ils peuvent rentrer dans la bande de Gaza. Sans compter que lorsqu’un parachute ne s’ouvre pas, la palette tombe, et fait des morts.

Levallois décrit ensuite l’exemple du ponton américain, repris dans le livre : «face au blocage des points de passage par Israël, les Américains décident de fabriquer un ponton pour acheminer de l’aide humanitaire en provenance de Chypre. Le ponton va coûter 200 millions de dollars, fonctionnera un seul jour et va être abandonné parce que les conditions météo empêchent le premier débarquement, et parce qu’ils se sont aperçus que rien n’était prévu pour distribuer la marchandise.»

Est-ce que vous voyez l’absurdité, le côté choquant que ça représente de voir qu’une population est en train de mourir de faim, et mourir à cause d’absence de soins, et que la seule invention des Américains, c’est de se dire : “on va faire un ponton qui ne sert à rien” ?

Agnès Levallois

Agnès Levallois exprime sa colère : comment des stratèges peuvent imaginer un plan pareil, «alors qu’il y a une solution très simple, c’est de dire à Israël : “si vous n’ouvrez pas les points de passage, on arrête de vous livrer de l’armement”? C’est ce qui me rend dingue, ajoute-t-elle: cette guerre pourrait s’arrêter en quelques jours.»  

«On ne fait pas disparaître une idéologie»

«On ne peut pas éliminer un mouvement comme le Hamas en bombardant comme le fait Israël depuis un an» affirme Levallois, qui parle de stratégie «délirante», face à un mouvement qui n’est pas une armée régulière «mais des miliciens, des habitants qui peuvent se transformer en combattants en raison de la réalité sur le terrain.» Preuve en est, alors qu’Israël clamait avoir éliminé toute infrastructure et tout combattant du Hamas dans le Nord, le pays «justifie la reprise des bombardements dans le Nord parce qu’ils ont retrouvé des traces de combattants et d’infrastructures qui seraient à nouveau là.»

Levallois pointe l’inaction et le silence de l’Occident, et notamment de l’ONU, qui ne réagit pas, lorsque Netanyahu l’accuse d’être «un marécage antisémite», qui ne réagit pas, lorsque Netanyahu interdit les activités de l’UNRWA, l’agende de l’ONU des réfugiés, à Gaza et en Cisjordanie. La vice-présidente de l’iReMMO rappelle les accusations d’Israël à l’encontre de l’UNRWA dès le 7 octobre. Avant toute enquête, l’agence avait licencié la quinzaine de personnes visées. Aujourd’hui, parmi ces 15 personnes, l’UNRWA estime à 7 le nombre de personnes problématiques. 

Que parmi les 13.000 employés de l’UNRWA, qui sont des Gazaouis, qui vivent à Gaza, certains soient proches du Hamas, c’est une évidence absolue (…) Est-ce que pour autant, même s’il y en avait sept qui avaient participé au 7 octobre, ce qui n’a pas été prouvé aujourd’hui, est-ce que ça mérite qu’on jette toute l’UNRWA, qui est la seule organisation capable d’apporter du soutien aux Palestiniens, en termes d’aide alimentaire, sanitaire, d’écoles ?

Agnès Levallois

Une entreprise d’anéantissement

Pour Levallois, qui rappelle que sur les 118 journalistes tués à Gaza entre le 7 octobre 2023 et le 1ᵉʳ juin 2024, «au moins 27 sont des victimes de crimes de guerre», il était indispensable que chaque chapitre du Livre noir de Gaza se termine par le témoignage d’un journaliste palestinien. Aujourd’hui, la stratégie israélienne, qui a détruit tous les locaux des médias dans la bande de Gaza, veut à tout prix «faire taire le dernier média qui continue à alimenter le monde de ses images : Al-Jazira, la chaîne d’information continue du Qatar» résume Levallois, rendant hommage à tous les journalistes tués pendant cette guerre. Une guerre «qui est aussi une guerre de l’information», rappelle-t-elle. 

Le droit international, le droit de la guerre protègent en principe les hôpitaux, sous certaines conditions, et les enfants. Deux cibles pourtant des bombardements israéliens. Les hôpitaux surchargés de blessés : des refuges pour les terroristes. Les enfants : de futurs terroristes.

Levallois cite également les travaux de Peter Harling, qui a collaboré au livre, et qui convoque le terme «d’urbanicide», c’est-à-dire la destruction telle que l’environnement ne devient plus vivable. Gaza est une bande de terre de 360km2, pour 2.3 millions d’habitants. Une des densités démographiques les plus importantes au monde. Aujourd’hui, les habitations, les écoles, les universités, les terres agricoles, jusqu’aux cimetières ont été détruits. «Il faudrait au moins douze ans pour enlever tous les gravats» dit Agnès Levallois.

Ce qui me glace le sang, c’est qu’on est simplement dans un rapport de force où il y a aucune place pour une discussion. Les quelques tentatives de cessez-le-feu qui avaient été acceptées par le Hamas ont été refusées par Israël. Parce que Israël ne veut pas d’une négociation. Israël veut une reddition totale des populations.

Agnès Levallois

La colère qui anime l’invitée est nouvelle. Elle constate ses propos beaucoup plus durs aujourd’hui qu’au cours de l’écriture du Livre noir de Gaza «parce que la situation a continué à se dégrader de façon dramatique sans que ça ne suscite la moindre capacité de la part des Américains. Parce que ce sont les seuls aujourd’hui qui peuvent arrêter cette guerre, et qu’ils ne le font pas.»

Évidemment qu’Israël a droit à la sécurité, mais les Palestiniens aussi ont droit à une sécurité. Et il n’y aura pas de sécurité d’Israël en dehors d’une sécurité aussi donnée aux Palestiniens.

Agnès Levallois

Le Liban, l’Iran, les USA

Aujourd’hui, «tous les villages du Sud-Liban sont complètement détruits» et «plus d’un million de Libanais sont déplacés dans le pays» décrit Levallois. Pour elle, la stratégie israélienne est exactement la même à Gaza et au Liban. Elle raconte comment aujourd’hui au Liban, comme dans le nord de la bande de Gaza, «il y a l’idée de faire une zone de dix/vingt kilomètres jusqu’au fleuve Litani, ce qui permettrait d’assurer une zone de sécurité dans laquelle la vie aussi ne serait plus possible.»

Officiellement, Israël veut étendre l’anéantissement du Hamas au Hezbollah, qui est un soutien du Hamas. «En réalité, au-delà du Hezbollah, c’est l’Iran qui est visé» explique Levallois, avant de poursuivre «si Israël entrait en guerre contre l’Iran, les Américains seraient à leur côté. Et alors il ne resterait plus grand chose de l’Iran, en tout cas des installations, en particulier nucléaires.» 

Alors que l’entretien se termine, la question des élections américaines qui auront lieu dans quelques jours se pose. Pour Levallois, rien de meilleur n’est à espérer de ce côté avec Kamala Harris. Quant au pire, si Donald Trump était élu, il y aurait selon elle «un vrai risque de guerre avec l’Iran.» On connaît, rappelle-t-elle, l’obsession du nucléaire iranien pour Trump, qui avait déchiré l’accord sur le nucléaire en 2018, sans compter que «tout ce qui se passe dans la région est une conséquence de la stratégie mise en place par Trump avec son fameux deal du siècle.»

Cinq questions clés

Quel est l’apport du Livre noir de Gaza ?

Le livre noir de Gaza est un ouvrage collectif, préfacé par Rony Brauman, venant lutter contre l’indifférence. Rassemblant une soixantaine de textes (rapports d’ONG internationales palestiniennes et israéliennes, contributions inédites de consultants indépendants, des enquêtes d’experts et des articles de presse), le livre documente minutieusement l’entreprise d’anéantissement méthodique de l’armée israëlienne, soldée par la mort de plus de 43 000 Palestiniens, et la destruction ce qui leur permettait de survivre.

Qu’est-ce que l’UNRWA ?

L’UNRWA est une agence de l’ONU créée pour gérer la question des réfugiés après la création de l’Etat d’Israël, afin d’apporter un soutien aux nombreux Palestiniens déplacés. Israël vise cette agence depuis des années «parce qu’elle lui rappelle en permanence que la question des réfugiés n’est pas réglée» explique Agnès Levallois.

Pourquoi Israël attaque le Liban ?

Officiellement, Israël veut étendre l’anéantissement du Hamas au Hezbollah, qui est un soutien du Hamas. «En réalité, au-delà du Hezbollah, c’est l’Iran qui est visé» explique Agnès Levallois, avant de poursuivre «si Israël entrait en guerre contre l’Iran, les Américains seraient à leur côté. Et alors il ne resterait plus grand chose de l’Iran, en tout cas des installations, en particulier nucléaires.»

Qu’est-ce qu’un «urbanicide» ?

Citant les travaux de Peter Harling, Agnès Levallois explique que l’urbanicide consiste à «tout détruire pour rendre un territoire invivable», de sorte que «même s’il reste une population, le territoire est dans un tel état qu’on ne peut plus y vivre.»

Combien de journalistes ont été tués à Gaza dans l’exercice de leurs fonctions ?

D’après RSF, sur les 118 journalistes tués à Gaza entre le 7 octobre 2023 et le 1ᵉʳ juin 2024, au moins 27 sont des victimes de crimes de guerre.

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