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Brigitte Gothière Victor Duran-Le Peuch Nora Bouazzouni #AuPoste #BouffeDeLa

Faut-il manger les animaux? Avec Brigitte Gothière (L214) et Victor Duran-Le Peuch

Pourquoi mange-t-on les animaux ? Le sujet passionne les philosophes depuis l’Antiquité, jusqu’aux militant·e·s et intellectuel·le·s antispécistes qui luttent depuis plus d’un siècle contre l’exploitation animale, souvent caricaturé·e·s par une classe politique championne de l’électoralisme tendance « gastronationaliste ». C’est particulièrement vrai dans un pays comme la France, attachée à sa longue tradition d’élevage et où les puissants lobbies de la filière viande investissent même les établissements scolaires. Pour ce nouvel épisode de « Bouffe de là ! », Nora Bouazzouni convoque Brigitte Gothière, co-fondatrice de l’association lanceuse d’alerte L214 et Victor Duran-Le Peuch, créateur du podcast « Comme un poisson dans l’eau ».


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Dans une société où la viande est placée au cœur de la consommation, la remise en question du dogme carniste n’est pas chose aisée. Impensée, normalisée, cette consommation concerne pourtant chaque année des dizaines de millions d’animaux d’élevage, élevés et abattus de manière industrielle. Face à cet état de fait, les antispécistes, dont font partie Brigitte Gothière et Victor Duran-Le Peuch, proposent une relecture des raisons qui nous poussent à manger des animaux. Mais qu’est-ce que le spécisme ? Eux l’expliquent comme l’oppression par l’humain des animaux, que l’on réduit à l’état d’objets et de nourriture. Ils nous expliquent leurs raisons de contester cette exploitation.

Des êtres sentients

D’abord, rappelle Victor Duran-Le Peuch, un critère pertinent de préservation des animaux serait la sentience, c’est-à-dire « la capacité d’éprouver les choses, d’avoir une vie subjective, en particulier d’avoir des expériences positives et des souffrances », développe-t-il. En effet, si l’on accepte assez facilement l’idée qu’un animal de compagnie et quelques autres animaux puissent être doués d’éprouver des émotions, « on en laisse tout un tas d’autres à la marge », ajoute Brigitte Gothière.

« On ne parle que d’élevage, mais il y a aussi d’autres utilisations des animaux qui sont dignes de la torture. L’appropriation de l’ensemble des autres animaux est institutionnalisée. Pour la remettre en question, on est obligé de se mettre à contre-courant. »
Brigitte Gothière

Pour les antispécistes, il existe alors deux courants de pensée qui divergent sur le long terme. Le premier vise à couper tout lien entre les animaux et les humains, le second considère qu’un lien peut subsister entre les deux, à condition « d’échanges en bonne intelligence », précise Brigitte Gothière. Dans les deux cas, complète-t-elle, ces courants se rejoignent sur une base commune: « les discriminations dont sont victimes les autres animaux sont purement injustes, intolérables et doivent disparaître. »

La dissonance cognitive

Si la consommation de viande ne faiblit pas, tous deux s’accordent pour affirmer qu’un changement de mentalité s’opère dans la société. On mange des animaux, mais on s’accorde à dire que le traitement qui leur est réservé n’est pas acceptable. La conciliation, au moins sur la forme, de ces deux aspects, c’est ce que Brigitte Gothière et Victor Duran-Le Peuch qualifient de dissonance cognitive. 

« Le phénomène de dissonance cognitive, c’est l’inconfort psychologique qui est créé quand il y a une incohérence entre plusieurs de nos croyances. Par exemple, ne pas avoir envie de faire du mal aux animaux, mais considérer que les humains sont supérieurs et donc peuvent les manger. Il y a deux façons de le résoudre: soit on met en cohérence ses croyances et on laisse tomber celle qui est la moins justifiée, soit on change de comportement. Souvent, on résout la dissonance d’une autre façon. On va chercher à créer de nouvelles croyances qui viennent justifier nos comportements. C’est plus facile. »
Victor Duran-Le Peuch

Pour Brigitte Gothière, la dissonance cognitive est surtout résolue par notre environnement alimentaire: au supermarché comme au restaurant, les produits à base de viande tiennent une place centrale. La consommation d’animaux va de soi et sa remise en question reste le plus souvent un impensé.

« Il y a beaucoup de légendes autour de la liberté alimentaire : les vegan, les spécistes voudraient nous priver de la liberté alimentaire. En réalité, c’est aujourd’hui que nous sommes privés de notre liberté alimentaire, puisque dans notre environnement alimentaire tout est fait pour que la position facile soit de manger de la viande. »
Brigitte Gothière

Ces croyances qui viennent réduire la dissonance ne viennent pas de nulle part. Pour Victor Duran-Le Peuch, si elles se retrouvent aussi facilement un peu partout dans la société, formulées de la même manière, c’est que c’est de l’idéologie: « Ça a un nom, ça s’appelle le carnisme », poursuit-il. Lui résume le message du carnisme en quatre « N » : « C’est normal, c’est naturel, c’est nécessaire, c’est ‘nice’ (bon). »

L’idée de nature

Selon cette doctrine, manger de la viande serait donc naturel. Un discours que Victor Duran-Le Peuch et Brigitte Gothière refusent. « Plus on est spéciste, plus on croit à l’idée de nature », argue cette dernière. Lui en appelle à une comparaison intersectionnelle: « On disait la même chose avant: l’homosexualité, ce n’est pas naturel, les femmes ont une nature féminine, etc. » Les groupes dominés sont essentialisés pour mieux effacer leur exploitation.

L’idée de nature est une espèce de fantasme, un élément idéologique fort dans le spécisme et dans d’autres oppressions qui naturalisent un rapport qui est social. C’est une certaine organisation de la société qui est construite, et qui pourrait donc être différente. »
Victor Duran-Le Peuch

Si la nature est un thème récurrent pour justifier la consommation carnée, lui note en revanche que le mot « spécisme » est absent quand on parle de la question animale: « C’est tout de suite vu comme un truc militant. » Le mot porte une charge lourde de sens, systémique. Un poids que L214 a bien compris. Brigitte Gothière assume de ne pas toujours employer le terme d’antispécisme d’emblée. En définitive, ce qui compte pour l’association, c’est d’abord de pouvoir parler au plus grand nombre. 

« Il y a des canaux de discussion qui sont différents: quand tu peux aborder des questions de philosophie ou quand tu cherches juste à ouvrir une porte pour inciter les gens à aller chercher plus loin. Nous on est sur le grand public, puis les politiques. »
Brigitte Gothière

Qu’est-ce que le flexitarisme ?

En principe, le flexitarisme est un régime alimentaire dans lequel la base de l’alimentation est végétarienne, mais ou la consommation de viande persiste, de façon limitée. Le concept de flexitarisme est sujet à caution: il est récupéré par le lobby de la viande pour en justifier la consommation. 

Qu’est-ce que l’animalisme ?

L’animalisme est une idée selon laquelle les animaux, en tant qu’êtres sensibles doués d’émotions, doivent pouvoir bénéficier de droits de la part des humains. C’est un humanisme appliqué à tous les animaux. Le courant animaliste se divise en deux branches distinctes: les premiers veulent améliorer le bien-être des animaux, les seconds souhaitent abolir toute exploitation animale.

Qu’est-ce que le phénomène de réactance ?

Selon Victor Duran-Le Peuch, la réactance est un phénomène psychologique dans lequel une personne, mal à l’aise face à une question, va mettre en place des procédés d’évitement. Il prend pour exemple des éléments de la réflexion carniste: lorsque l’on mange de la viande tout en adhérant à l’idée d’un meilleur bien-être animal, on est face à une contradiction de notre pratique. 

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