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Etre juif et de gauche dans la France d’aujourd’hui

Simon Assoun est l’un des porte-paroles du collectif juif décolonial Tsedek. Arié Alimi, avocat, publie, lui, Juif, français, de gauche… dans le désordre (La Découverte).

L’un comme l’autre sont du même bois et du même bord. Des divergences profondes les opposent néanmoins. Et elles nous parlent à toutes et tous. Dans ce débat, Arié Alimi et Simon Assoun reviennent sur leur parcours et confrontent leurs regards sur le drame en cours depuis le 7 Octobre 2023. Une discussion vive sur le conflit qui secoue la Palestine depuis plus d’un siècle. Et les répercussions en France de la hausse des actes antisémites.

Être Juif : entre héritage collectif et devenir personnel

Tous deux Juifs séfarades, «passés par toutes les étapes d’une vie juive en tant qu’enfants», Arié Alimi et Simon Assoun ont grandi, partagés entre leur identités juive et maghrébine dans la France post-coloniale. A travers leurs parcours militants et professionnels respectifs, ils se sont forgés un regard personnel sur cet héritage, regards divergents qu’ils adressent à travers leurs paroles publiques.

C’est important de dire qu’on a des évolutions personnelles, et qu’elles peuvent aussi expliquer le regard par rapport à ce qui est, à l’évolution historique de l’État d’Israël, au rapport à la Palestine.

Arié Alimi

Une appartenance culturelle qui les place dans une longue histoire, tant mémorielle qu’individuelle face aux événements dramatiques de la bande de Gaza. Celle d’une conscience collective juive, née de la persécution d’un peuple pendant des siècles, sans terre au départ ; puis de la création d’un État avec toutes les réflexions idéologiques autour du sionisme et ses dérives depuis plus d’un siècle.

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Théorie du sionisme

Le sionisme est une idéologie née à la fin du XIXe siècle, à l’heure où l’État-nation s’impose à l’ordre mondial : un peuple (une nation) s’autodétermine sur une terre donnée, au moyen d’un bloc d’institutions politiques et administratives pour régir l’ensemble. 

Alimi explique que le sionisme est né de la nécessité de trouver un lieu, des frontières à l’intérieur desquelles le peuple juif trouvera la sécurité de ne plus être persécuté. Différents projets fleurissent, en Ouganda, en Argentine, puis, entre autres pour des raisons théologiques, le consensus est trouvé autour de Sion, la Palestine.

Le mouvement de l’époque est un mouvement impérialiste qui considère qu’il faut apporter la civilisation aux barbares, notamment en Palestine. […] L’angle mort du sionisme, c’est les Palestiniens. L’idéologie sioniste a pratiquement toujours, sauf Buber, déconsidéré l’existence d’un peuple sur cette terre.

Arié Alimi

Assoun réplique que le sionisme est effectivement une réponse à l’antisémitisme, mais avant d’être la création d’un État, c’est d’abord un projet de « transformation des Juifs ». Selon lui, les théoriciens du sionisme tel qu’il a fini par s’imposer – tel Theodor Herzl et Max Nordau – prennent comme modèle l’Occident, vu comme une civilisation aboutie en comparaison aux Juifs qui seraient « dégénérés ». La Palestine offre le support affectif qui cimente ce nationalisme juif naissant. Dans un second temps, le courant travailliste informe ce projet nationaliste d’une esthétique juive, notamment en faisant renaître de ses cendres l’hébreu, alors langue morte depuis plusieurs siècles.

Arié Alimi pose une distinction entre le projet sioniste originel et les « articulations identitaires » que prend le sionisme aujourd’hui, là où Assoun considère que les affects identitaires sont partie intégrante de ce projet, qui de toute façon ne peut être jugé que sur sa réalité actuelle. Là où les deux invités se retrouvent, c’est sur l’angle mort du sionisme : la présence des Palestiniens en Palestine.

La création de la Palestine ou l’oblitération d’un peuple

La Palestine, alors sous domination britannique, devient le lieu d’affrontements sporadiques mais réguliers entre colons Juifs et Palestiniens. En 1947, les Britanniques se retirent et l’ONU acte un plan de partage, pensé comme une réparation aux immenses torts causés aux Juifs pendant la guerre. Pourtant, ce plan ne met personne d’accord, et une guerre s’ensuit.

Il ne m’est plus possible de venir vivre dans un pays qui pourtant m’avait été destiné. Et je me dis : « Je ne peux plus être sioniste ». […] Effectivement, Israël ne respecte pas le droit, ne respecte pas les résolutions de l’ONU, ne respecte pas ce qu’il devrait respecter. Et en plus, il oppresse un peuple, il martyrise un peuple. Aujourd’hui à Gaza, il y a un risque plausible de génocide. 

Arié Alimi

Le débat porte principalement sur la sémantique employée pour décrire l’Histoire, les invités opposant leurs visions du rôle que portent le droit et de la justice. Là où Arié Alimi pose le droit comme « pierre angulaire, matrice très importante », Simon Assoun le considère comme un produit issu d’un contexte. Selon lui, le plan de partage est injuste en ce qu’il vient acter dans le droit ce qui a été un processus de colonisation.

Alimi estime que les Palestiniens avaient aussi un projet étatique, rejetant les deux parties dos à dos. Il considère que ce n’est qu’à partir de ce moment que le sionisme évolue en projet expansionniste. Sans rien omettre de ce qu’est devenu ce projet aujourd’hui, il en sépare la question de l’existence de l’État d’Israël dans sa forme actuelle, là où Assoun souligne les éléments de continuité historique tout au long de ses soixante-quinze ans d’existence. 

Le droit international ne dit rien de ce qui est juste ou pas, il tranche des conflits. […] Il peut être un outil, un levier qui permet d’aller vers du mieux, mais ça peut être aussi quelque chose qui assomme les peuples, qui grave dans le marbre du droit ce qui relève de rapports sociaux à un instant donné.

Simon Assoun

C’est peut-être leur principale opposition : Arié Alimi aligne sa grille d’analyse sur ce qui est acté en regard du droit international : le respect ou non des plans de partage successifs, des accords d’Oslo… Et Simon Assoun analyse les processus-même qui ont conduit, entre autres, à ces décisions, s’exprimant davantage sur les rapports de forces politiques et coloniaux.

Quel narratif ? Réflexion sur le génocide

Quant à caractériser la situation actuelle et les événements du 07 octobre, c’est une nouvelle fois sur le terrain de la sémantique que Simon Assoun et Arié Alimi vont clarifier leurs incompréhensions mutuelles. En particulier, ils reviendront sur le communiqué de Tsedek publié au lendemain du 07 octobre, où la présence des termes « résistance armée et légitime » ont fait bondir l’avocat.

Il faut complexifier les choses et surtout ne pas dire que le 07 octobre vient de nulle part. Il ne vient pas de nulle part et peu le pensent. Et il s’inscrit dans un enchaînement de violence et dans un phénomène de colonisation, un phénomène d’injustice à l’égard des Palestiniens. Un phénomène d’enclave pour Gaza. Oui, la violence entraîne la violence. Ça, personne ne le nie et je l’affirme également.

En revanche, et c’est là où nous avons un désaccord fondamental et qui ne vous honore pas, à mon sens, c’est de considérer que ce qui s’est passé le 07 octobre, nonobstant le fait que ce soit un mouvement de décolonisation, et ça, j’y adhère, comme à tous les mouvements de décolonisation, c’est de considérer que tuer et viser délibérément des civils a une forme de légitimité.

Arié Alimi

Il devient important de rappeler qu’en droit international, la résistance armée peut être considérée comme légitime dans une situation d’oppression et de déni des droits fondamentaux d’un peuple ; ce qui n’autorise pas n’importe quel mode d’action, la distinction entre cibles civiles et militaires restant le point cardinal de tout droit de la guerre. Assoun reconnaît le massacre de civils qui a eu lieu le 07 octobre, et ne le justifie absolument pas. Il tient à ne pas réduire l’événement à cette dimension, à le sortir de son contexte. Arié Alimi acquiesce sur ce point.

Tout le monde condamne des massacres, tout le monde condamne un génocide. La question, c’est comment on se positionne par rapport à eux. Ce n’est pas la question morale, c’est la question de l’ensauvagement. Le colonialisme comme rapport social ensauvage aussi bien le colonisé que le colonisateur. Évidemment que le 07 octobre a été une opération barbare, effrayante. […] Mais allons sur le terrain de l’ensauvagement, des massacres, du terrorisme d’État. Moi, je veux bien considérer que le Hamas est une organisation terroriste face à quelqu’un qui me dira que l’État israélien est un État terroriste. A ce moment-là, on parle le même langage et on peut discuter.

Simon Assoun

Les répercussions du 07 octobre : l’instrumentalisation de l’antisémitisme

A chaque fois que ce mot [génocide] est employé, il y a une levée de boucliers politiques, médiatiques pour dire à quel point dire “il y a un génocide à Gaza” est antisémite ou relève de l’apologie du terrorisme. C’est ça qui fait qu’aujourd’hui, il y a autant de débats sur cette question de génocide. C’est parce qu’il y a ces attaques incessantes contre ceux qui mobilisent ce terme.

Simon Assoun

Du langage, il en est bien sûr immensément question, dans un contexte médiatique où les mots sont inflammables [1]. Même dans les conditions proposées par Au Poste, nos deux intervenants ont parfois du mal à faire dialoguer leurs visions, pris dans les charges émotives associées aux termes presque confisqués par le débat public. En fin d’échange, ils s’entretiennent sur la notion d’antisémitisme, qui fera l’objet d’une discussion plus longue lors d’un second débat [2]. Tout en réaffirmant la nécessité de la lutte contre toutes les idéologies autoritaires, dans une époque qui semble vouloir renouer avec de mauvais souvenirs.

Nous sommes des antifascistes. Être antifasciste, ça veut dire être contre la réaction, c’est-à-dire être contre ceux qui sont pour une fin de l’humanisme, l’humanisme tant décrié. Être contre ceux qui sont pour tuer des civils comme le Hamas, comme Netanyahou qui appelle à tuer des civils, et qui tuent des civils. Donc je crois qu’il faut choisir son camp. 

Arié Alimi

La question de l’antisémitisme et son instrumentalisation est ce qui permet au gouvernement de mettre à l’agenda de sa politique la répression tous azimuts à un niveau rarement égalé de tout mouvement social.

Simon Assoun

[1] La France insoumise antisémite? Les historiens Bantigny et Rubenstein et le juriste Lévy ripostent… Au Poste – 20 juin 2024

[2] Être juif et de gauche dans la France qui implose. Second débat. – 17 juin 2024

Trois questions clés

Qui est le collectif Tsedek ?

Tsedek est un collectif fondé par des militant.e.s juif.ves décoloniaux.ales qui lutte contre le racisme d’État en France, ainsi que pour « la fin de l’apartheid en Israël/Palestine ». Il s’est créé avec le besoin d’une partie de la communauté juive de se détacher du discours des institutions prétendant la représenter politiquement et culturellement, en France comme en Israël.

De quoi parle l’ouvrage « Juif, français, de gauche… dans le désordre » (La Découverte, 2024) écrit par Arié Alimi ?

Basé sur son histoire et ses expériences des identités française et juive sépharade. Arié Alimi pose son regard sur les déchirures entre ces identités, en lien avec les événements historiques récents et anciens. Fidèle aux valeurs d’humanisme, d’égalité et d’antiracisme qui le guident, il appelle à oeuvrer pour résorber ces fractures, à l’heure où il devient plus que jamais nécessaire de reconnaître et lutter contre tous les racismes.

Qu’est-ce que le sionisme ?

Le sionisme est un mouvement au sein de la communauté juive qui, en réponse aux persécutions séculaires dont elle fait l’objet, pense et réalise la conversion de cette communauté religieuse en nation, au sens moderne du terme, avec les attributs associés, à commencer par un foyer de peuplement sous la forme d’un État. Apparu au XIXe siècle et objet de plusieurs courants internes concurrents, il se concrétise aujourd’hui sous la forme de l’État d’Israël, pleinement reconnu par la communauté internationale en 1948 sur les terres de Palestine. Cette réalisation du mouvement emprunte principalement au courant dit du « sionisme politique », inspiré par les penseurs Theodor Herzl et Max Nordau.

Qu’est-ce que les « accords d’Oslo » ?

Les accords dits d’Oslo sont l’aboutissement, en 1994, d’un processus de négociations israélo-palestiniennes en vue d’une sortie du conflit. Ils aboutissent sur un nouveau découpage territorial en trois zones (Israël, Cisjordanie, Gaza), en théorie toujours en vigueur aujourd’hui, une reconnaissance mutuelle de ces territoires et un retrait respectif des forces armées, ainsi que sur une ébauche d’institutions à même de maintenir ce nouvel équilibre, au moins pour une période de cinq ans. Dans les faits, l’application des accords aura toujours été mise en échec.

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