À l’heure où le Rassemblement National enregistre les meilleurs scores électoraux de son histoire, le parti des Républicains n’en finit plus de s’épuiser, pris en étau entre son identité de parti de « gouvernement » que lui a subtilisé la Macronie, et sa base idéologique qui s’échappe inexorablement par la droite.
Du temps où ses débouchés électoraux étaient assurés, le parti de la droite classique a pu agréger des sensibilités très diverses, y compris radicales, tout en maintenant une barrière de respectabilité entre lui et le Front National d’un Jean-Marie Le Pen décidé à rester marginal.
La porosité droite/extrême-droite est hyper ancienne. Au moins depuis Pasqua au milieu des années 80, voire depuis les réseaux Albertini, les gens qui sont revenus discrètement après leurs engagements pro-Algérie française… Ce qui est sûr, c’est que depuis les années 2000, la récupération des thèmes d’extrême-droite par Nicolas Sarkozy les ont rendus plus « acceptables ». Aujourd’hui, les cadres des Républicains, Ciotti, Peltier, Wauquiez… n’en finissent plus de se radicaliser.
Émilien Houard-Vial
Article en accés libre grâce aux donatrices & donateurs.
Soutenir un site 100% autonome
Renforcer le débat public sur les libertés publiques
Bénéficier de 66% de réduction d'impôt
Et je ferai un don plus tard (promis!)
Sans médias indépendants, pas de riposte.
Libertés publiques, politique, cinéma, Histoire, littérature & contre-filatures. #AuPoste invite chercheur·es, écrivain·es, philosophes, sociologues, avocat·es, punks et punkettes, cinéastes, artistes et hacktivistes, écoterroristes, féministes.
Crée en 2021, #AuPoste pose un regard critique sur le monde, puisant dans l'histoire, les sciences sociales, les actions et réflexions engagées. L'émission traque les coups de boutoir fait, comme jamais depuis 50 ans, aux libertés individuelles et fondamentales. Vigie autant qu'aiguillon, #AuPoste nourrit le débat public sur les libertés publiques. En nous aidant, vous le renforcez à votre tour.
#AuPoste n’a ni propriétaire milliardaire ni actionnaires. Sans publicité, sans intérêt financier, vos seuls dons sont notre seul rempart. Aucune force commerciale ni politique n'a d'influence sur notre travail.
Chaque contribution compte, même modique. A prix libre, chacun contribue à la hauteur de ses moyens, et de ses besoins (et anonymement, si souhaité). Les dons récurrents sont le moyen idéal pour nous nous permettre de pérenniser notre travail de fond. Chaque année, nous publions un bilan complet.
Chaque don contribue à maintenir nos contenus disponibles / par tout le monde / à tout instant et partageables. Nos enquêtes, nos émissions, nos podcasts: tout est en gratuit. Mais coûteux à produire.
Déductions fiscales
Je fais un don #AuPoste et, si je le souhaite, je deviens un Bernard Arnault de la contre-information:
Je suis un particulier: je bénéficie d'une réduction d'impôt à hauteur de 66%. Ainsi un don de 100€ me revient à 34€.
Mon reçu fiscal m'est directement envoyé par J'aime l'info, l’organisme d’intérêt général, qui collecte les dons pour #AuPoste.
Mes nom et adresse ne seront jamais divulgués. Les dons se font de manière entièrement privée. A tout moment, je peux suspendre, annuler ou ajuster mes dons.
A quoi servent vos dons
Préparation et animation des émissions, salaires (journalistes, modératrices, développeurs), locaux et frais courants, graphistes, supports techniques, matériel (tournage, montage), abonnements-soutiens à la presse indépendante.
Toutes les infos dans DONS, et dans le bilan complet 2023 #AuPoste.
Mais voilà : la génération qui a connu la guerre, qui a connu la violence d’extrême-droite, n’est plus. Le père Le Pen écarté, sa fille Marine, visage présentable, recycle les mêmes thématiques, héritant du travail de sape d’une part des médias ainsi que de la droite sarkozyste. Avec l’effondrement du communisme, les dernières traces d’anti-fascisme disparaissent de la gauche sociale-démocrate, démissionnaire depuis plusieurs décennies à ce propos.
Avec le Rassemblement National, la part de l’électorat sensibilisée aux idées d’extrême-droite tient enfin une candidature pleinement satisfaisante à ses yeux, assumée, dans laquelle il se reconnaît. Les stigmates associés au vote frontiste n’ont pas disparu, mais sont désormais embrassés par ses électeurs : plus il progresse, plus l’auto-censure tombe et par effet de boucle, le vote progresse encore : il est devenu le vote « protestataire et conservateur ». Courant derrière son succès perdu, les cadres des Républicains tentent de se démarquer électoralement en sur-enchérissant dans la radicalité.
En apparence rejetés par le parti, les groupuscules et syndicats d’extrême-droite – 150 à 200 recensés par StreetPress sur tout le territoire – continuent d’entretenir des liens étroits avec le RN, lui fournissant ses forces vives et son savoir-faire militants, sa matrice idéologique, ses futurs cadres. On retrouve aussi d’anciens de leurs membres, certes en moins grand nombre, dans les formations de droite classique.
Doctrines
Les Républicains et le Rassemblement National ne mettent pas en avant les mêmes enjeux, mais restent globalement compatibles. Aux mots d’ordres de la droite classique – croissance, sérieux des comptes, intérêts du patronat, réduction des impôts, l’extrême-droite prête allégeance sans rechigner, en témoignent les votes de ses députés à l’Assemblée Nationale. La formation de Marine Le Pen s’est d’ailleurs montrée très fluctuante, au fil des années, sur ses positions économiques.
Ce qui marque sa véritable doctrine est l’idée de « préférence nationale », assumant ainsi franchement son opposition à l’idéal républicain d’égalitarisme, ce qui reste pour l’instant une des dernières lignes de séparation avec la droite traditionnelle. Les travaux de Félicien Faury le montrent : les électrices et électeurs du RN entendent la préférence nationale non pas d’un point de vue légal (nationalité) mais ethno-racial.
La question raciale soude tout l’électorat lepéniste, au Nord comme au Sud ; en revanche, elle s’articule à des intérêts de classe différents.
Félicien Faury
Pour autant, cette question ethno-raciale ne reflète pas uniquement des préoccupations identitaires, mais bien plus souvent économiques. À travers le prisme raciste auquel il choisit d’adhérer, l’électorat d’extrême-droite se préoccupe d’accès à l’emploi, d’allocations, d’inégalités territoriales, de peur du déclassement. La préférence nationale propose l’illusion d’une solidarité entre classes sociales par la mobilisation d’une soi-disant manne d’argent à récupérer sur le dos de l’aide aux étrangers, à flécher sur les aides sociales sans augmenter la pression fiscale. Paradoxalement, dans les franges les plus aisées de cet électorat, c’est souvent un discours anti-assistanat qui va mobiliser le vote.
Religions
La définition de cet ennemi commun va donc cimenter des groupes sociaux aux intérêts contradictoires. En particulier, la montée de l’islamophobie recouvre un racisme plus direct envers les populations d’origine arabe et turque, dont les pratiques religieuses réelles ou supposées sont présentées comme incompatibles avec la société française.
Conséquence de cette islamophobie, est en train de se réveiller dans les milieux de droite une certaine passion pour la culture et l’esthétique chrétiennes.
L’extrême-droite, c’est la définition d’un bouc émissaire : hier le juif, l’italien… et aujourd’hui le musulman. […] En guise de « contre-attaque », la France pourtant laïque depuis plus d’un siècle connaît une remontée des velléités de christianisation, jouée à fond dans une part des groupuscules d’extrême-droite mais aussi plus largement comme appel à un « retour des valeurs chrétiennes » – ou « judéo-chrétiennes ».
Daphné Deschamps
Alors que la pratique du catholicisme est en déshérence – les catholiques pratiquants semblent d’ailleurs pour une large majorité se tenir à distance de l’extrême-droite – et que la laïcité de la France semblait être une affaire entendue de tous les bords de l’échiquier politique, l’extrême-droite et une partie de la droite mobilisent à nouveau les supposées « racines chrétiennes » ou « judéo-chrétiennes » de la France. Utilisées comme une analogie de la France elle-même, ces racines sont décrites comme en danger, à cause de la « montée de l’islam ». La période « Manif pour tous » a accéléré ce pont entre politisation à droite et remontée du catholicisme d’extrême-droite. C’est un tournant pour la droite française traditionnellement libérale et donc pas forcément encline à s’approprier des thèmes jugés rétrogrades.
Radicalités
Les listes de droite radicale, au nombre de 7 pour ces élections européennes, donnent une idée de la répartition géographique et du nombre des sympathisants à un instant T. Sur les dernières élections, l’analyse des résultats montre que certains territoires, essentiellement ruraux, où les inégalités socio-économiques et l’aménagement du territoire en font des lieux lésés ou perçus comme tels par leurs habitants, favorisent le vote pour les listes de droite les plus radicales. Aux élections suivantes, ces mêmes territoires évoluent vers le Rassemblement National.
On peut se demander quel est la raison d’être de ces listes, qui demeurent très loin des scores nécessaires pour avoir des élus (5%) ou même pour obtenir le remboursement des frais de campagne (3%). Souvent financées par de riches mécènes sensibles à leurs idées, elles sont l’occasion malgré tout de se montrer dans l’espace politique, qui plus est pour une élection « mineure » où l’abstention est traditionnellement forte et où les électrices et électeurs se « permettent des choses » qu’ils ne feraient pas pour une présidentielle.
Consciemment ou non, elles servent aussi à exposer l’électorat à leurs thèmes et, par contraste, faire passer le Rassemblement National pour plus modéré. Ce qui est en partie vrai : dans la galaxie des droites extrêmes, elles permettent de prendre le pouls des évolutions idéologiques et des innovations qui seront sûrement reprises par le RN dans un futur proche.
Pour autant, il ne s’agit pas de minorer le danger que représenterait l’accession du RN au pouvoir. Nicolas Lebourg alerte : « Même à gauche, on ne prend pas l’extrême-droite au sérieux. On s’en sert d’argument électoral quand il y en a besoin, mais quand elle est au pouvoir, on ne regarde pas ce qu’elle fait dans sa pratique de l’État. »
Quand l’extrême-droite est au pouvoir, même sans avoir totale liberté d’action, elle a des ouvertures d’action. En Italie, on constate une augmentation des attaques racistes, ainsi que le retour dans l’espace public des manifestations fascistes. C’est quelque chose d’autant plus facilement accepté que la classe politique au pouvoir a elle-même, pour la majorité d’entre elle, un héritage idéologique fasciste.
Daphné Deschamps
L’électorat RN et celui de la droite classique se distinguent aussi en ce que les plus précaires mûs par des affects racistes n’ont pas les moyens de l’entre-soi blanc, contrairement aux plus aisés qui peuvent se le permettre, qui ont le pouvoir d’engendrer ce que le racisme crée de concret, notamment en termes de ségrégation spatiale et sociale.
C’est important de ne pas se servir de l’extrême-droite pour nous dédouaner de toute participation aux processus de racialisation. Elle ne doit pas devenir la bonne conscience de la gauche, en particulier la gauche blanche. […] Il ne faut pas penser que l’extrême-droite est à part de la société.
Félicien Faury
Trois questions clés
Daphné Deschamps est journaliste indépendante, spécialisée dans l’extrême droite, collaboratrice de StreetPress, Politis, Mediapart et Rue89Lyon.
Félicien Faury est chercheur postdoctoral au Cesdip (Centre de recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales), il travaille sur le Rassemblement National et ses électorats. Il a récemment publié le fort remarqué Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite au Seuil.
Émilien Houard-Vial est doctorant au Centre d’études européennes de Sciences Po et ATER en science politique à l’Université Versailles Saint-Quentin. Ses travaux portent sur les recompositions de l’idéologie partisane, le déclin de la droite française et la diffusion des idées de droite radicale.
- propagande https://x.com/AuPoste1/status/1794040159102750943 & https://x.com/AuPoste1/status/1793161746200293726 & https://x.com/AuPoste1/status/1793329201983947109
- Emilien Houard-Vial https://ehouardvial.wordpress.com/ & https://www.sciencespo.fr/centre-etudes-europeennes/fr/chercheur/emilien-houard-vial & https://x.com/ehouardvial
- Daphné Deschamps https://x.com/daphne_dsch
- #AuPoste s02-61 – 16 décembre 2021 #FaceÀlExtremeDroite | Extrême droite: Comprendre & Combattre avec StreetPress, Aurélien Taché, Maxime Macé, Christophe-Cécil Garnier, Daphné Deschamps, Jean-Yves Camus, Robin D’Angelo, Danièle Obono, Mara Kanté, Raphael Arnault, Taha Bouhafs, Anasse Kazib & Mathieu Molard https://www.auposte.fr/extreme-droite-comprendre-combattre/
- Macron, En marche vers l’extrême-droite? https://www.off-investigation.fr/macron-en-marche-vers-lextreme-droite/
- Des électeurs ordinaires – Enquête sur la normalisation de l’extrême droite par Félicien Faury https://www.seuil.com/ouvrage/des-electeurs-ordinaires-felicien-faury/9782021518948
- À Tours, le RN fraye avec les néofascistes par Daphné Deschamps & Arthur Weil-Rabaud https://www.mediapart.fr/journal/france/290524/tours-le-rn-fraye-avec-les-neofascistes
- Style et violence dans l’extrême droite radicale par Emmanuel Casajus https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/20199/Style-et-violence-dans-l-extreme-droite-radicale
- Daphné Deschamps pour Mediapart https://www.mediapart.fr/fr/search?search_word=Daphné+Deschamps
- Les droites en fusion par Florence Haegel https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100704880
- SentierBattant: La vidéo sur la lutte de la A69 vient de sortir https://youtu.be/c1tnDuooa9I
- Le Mai 68 conservateur par Gaël Brustier https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/897/le-mai-68-conservateur
- Sept listes d’extrême droite aux européennes par Daphné Deschamps & Arthur Weil-Rabaud https://www.streetpress.com/sujet/1716807605-sept-listes-extreme-droite-elections-europeennes
- autres 9 juin https://uneautreannee.com/ca-sest-passe-un-9-juin/
- Européennes : à Reconquête !, un « deal politico-financier » entre Marion Maréchal et Eric Zemmour par Clément Guillou & Corentin Lesueur https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/05/28/europeennes-a-reconquete-un-deal-politico-financier-entre-marion-marechal-et-eric-zemmour_6236036_823448.html
- Marion Maréchal : “Le RN n’a jamais réussi à changer une virgule de la politique européenne” https://youtu.be/lvtCoZP8gaM
- Jonathan_Le_Goeland: Il est évident que la privatisation profite à l’extrême-droite puisque le sensationnel (polémique, complotisme, haine, peur, déclinisme, etc) est bien plus porteur commercialement que la réflexion et la connaissance.
- Pour recevoir la FAFletter de StreetPress https://bit.ly/2ZTSzn5
- StreetPress https://www.streetpress.com/
- Sans vous, pas d’#AuPoste! Merci pour votre soutien https://www.auposte.fr/dons/