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Felicien Faury, Daphné Deschamps & Émilien Houard-Vial Nicolas Lebourg #extremorama #AuPoste

Européennes: combien de nuances de droite et d’extrême-droite

En mai 1974, il y a tout juste 50 ans, un nom, Le Pen, apparaît pour la première fois sur les bulletins des élections présidentielles. Il recueillait alors tout juste 0,74% des voix. En 2024, pour les élections Européennes, Jordan Bardella, l’héritier du mouvement, est crédité de plus de 30% des intentions de vote. Trois fois plus que son adversaire de Les Républicains, François-Xavier Bellamy. Une ascension de l’extrême droite que décrypte pour nous Nicolas LeBourg dans Extrêmorama en compagnie de spécialistes de la droite et de l’extrême droite que sont Daphné Deschamps, journaliste indépendante, Félicien Faury, sociologue et Émilien Houard-Vial, politiste et droitologue à plein temps.

À l’heure où le Rassemblement National enregistre les meilleurs scores électoraux de son histoire, le parti des Républicains n’en finit plus de s’épuiser, pris en étau entre son identité de parti de « gouvernement » que lui a subtilisé la Macronie, et sa base idéologique qui s’échappe inexorablement par la droite.

Du temps où ses débouchés électoraux étaient assurés, le parti de la droite classique a pu agréger des sensibilités très diverses, y compris radicales, tout en maintenant une barrière de respectabilité entre lui et le Front National d’un Jean-Marie Le Pen décidé à rester marginal.

La porosité droite/ est hyper ancienne. Au moins depuis Pasqua au milieu des années 80, voire depuis les réseaux Albertini, les gens qui sont revenus discrètement après leurs engagements pro-Algérie française… Ce qui est sûr, c’est que depuis les années 2000, la récupération des thèmes d’extrême-droite par Nicolas Sarkozy les ont rendus plus « acceptables ». Aujourd’hui, les cadres des Républicains, Ciotti, Peltier, Wauquiez… n’en finissent plus de se radicaliser.

Émilien Houard-Vial

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Mais voilà : la génération qui a connu la guerre, qui a connu la d’extrême-droite, n’est plus. Le père Le Pen écarté, sa fille Marine, visage présentable, recycle les mêmes thématiques, héritant du de sape d’une part des médias ainsi que de la droite sarkozyste. Avec l’effondrement du communisme, les dernières traces d’anti-fascisme disparaissent de la gauche sociale-démocrate, démissionnaire depuis plusieurs décennies à ce propos.

Avec le Rassemblement National, la part de l’électorat sensibilisée aux idées d’extrême-droite tient enfin une candidature pleinement satisfaisante à ses yeux, assumée, dans laquelle il se reconnaît. Les stigmates associés au vote frontiste n’ont pas disparu, mais sont désormais embrassés par ses électeurs : plus il progresse, plus l’auto-censure tombe et par effet de boucle, le vote progresse encore : il est devenu le vote « protestataire et conservateur ». Courant derrière son succès perdu, les cadres des Républicains tentent de se démarquer électoralement en sur-enchérissant dans la radicalité.

En apparence rejetés par le parti, les groupuscules et syndicats d’extrême-droite – 150 à 200 recensés par sur tout le territoire – continuent d’entretenir des liens étroits avec le , lui fournissant ses forces vives et son savoir-faire militants, sa matrice idéologique, ses futurs cadres. On retrouve aussi d’anciens de leurs membres, certes en moins grand nombre, dans les formations de droite classique.

Doctrines

Les Républicains et le Rassemblement National ne mettent pas en avant les mêmes enjeux, mais restent globalement compatibles. Aux mots d’ordres de la droite classique – croissance, sérieux des comptes, intérêts du patronat, réduction des impôts, l’extrême-droite prête allégeance sans rechigner, en témoignent les votes de ses députés à l’Assemblée Nationale. La formation de Marine Le Pen s’est d’ailleurs montrée très fluctuante, au fil des années, sur ses positions économiques.

Ce qui marque sa véritable doctrine est l’idée de « préférence nationale », assumant ainsi franchement son opposition à l’idéal républicain d’égalitarisme, ce qui reste pour l’instant une des dernières lignes de séparation avec la droite traditionnelle. Les travaux de Félicien Faury le montrent : les électrices et électeurs du RN entendent la préférence nationale non pas d’un point de vue légal (nationalité) mais ethno-racial.

La question raciale soude tout l’électorat lepéniste, au Nord comme au Sud ; en revanche, elle s’articule à des intérêts de classe différents.

Félicien Faury

Pour autant, cette question ethno-raciale ne reflète pas uniquement des préoccupations identitaires, mais bien plus souvent économiques. À travers le prisme raciste auquel il choisit d’adhérer, l’électorat d’extrême-droite se préoccupe d’accès à l’emploi, d’allocations, d’inégalités territoriales, de peur du déclassement. La préférence nationale propose l’illusion d’une solidarité entre classes sociales par la mobilisation d’une soi-disant manne d’argent à récupérer sur le dos de l’aide aux étrangers, à flécher sur les aides sociales sans augmenter la pression fiscale. Paradoxalement, dans les franges les plus aisées de cet électorat, c’est souvent un discours anti-assistanat qui va mobiliser le vote.

Religions

La définition de cet ennemi commun va donc cimenter des groupes sociaux aux intérêts contradictoires. En particulier, la montée de l’islamophobie recouvre un racisme plus direct envers les populations d’origine arabe et turque, dont les pratiques religieuses réelles ou supposées sont présentées comme incompatibles avec la société française.

Conséquence de cette islamophobie, est en train de se réveiller dans les milieux de droite une certaine passion pour la culture et l’esthétique chrétiennes.  

L’extrême-droite, c’est la définition d’un bouc émissaire : hier le juif, l’italien… et aujourd’hui le musulman. […] En guise de « contre-attaque », la France pourtant laïque depuis plus d’un siècle connaît une remontée des velléités de christianisation, jouée à fond dans une part des groupuscules d’extrême-droite mais aussi plus largement comme appel à un « retour des valeurs chrétiennes » – ou « judéo-chrétiennes ».

Daphné Deschamps

Alors que la pratique du catholicisme est en déshérence – les catholiques pratiquants semblent d’ailleurs pour une large majorité se tenir à distance de l’extrême-droite – et que la laïcité de la France semblait être une affaire entendue de tous les bords de l’échiquier politique, l’extrême-droite et une partie de la droite mobilisent à nouveau les supposées « racines chrétiennes » ou « judéo-chrétiennes » de la France. Utilisées comme une analogie de la France elle-même, ces racines sont décrites comme en danger, à cause de la « montée de l’islam ». La période « Manif pour tous » a accéléré ce pont entre politisation à droite et remontée du catholicisme d’extrême-droite. C’est un tournant pour la droite française traditionnellement libérale et donc pas forcément encline à s’approprier des thèmes jugés rétrogrades.

Radicalités

Les listes de droite radicale, au nombre de 7 pour ces élections européennes, donnent une idée de la répartition géographique et du nombre des sympathisants à un instant T. Sur les dernières élections, l’analyse des résultats montre que certains territoires, essentiellement ruraux, où les inégalités socio-économiques et l’aménagement du territoire en font des lieux lésés ou perçus comme tels par leurs habitants, favorisent le vote pour les listes de droite les plus radicales. Aux élections suivantes, ces mêmes territoires évoluent vers le Rassemblement National.

On peut se demander quel est la raison d’être de ces listes, qui demeurent très loin des scores nécessaires pour avoir des élus (5%) ou même pour obtenir le remboursement des frais de campagne (3%). Souvent financées par de riches mécènes sensibles à leurs idées, elles sont l’occasion malgré tout de se montrer dans l’espace politique, qui plus est pour une élection « mineure » où l’abstention est traditionnellement forte et où les électrices et électeurs se « permettent des choses » qu’ils ne feraient pas pour une présidentielle.

Consciemment ou non, elles servent aussi à exposer l’électorat à leurs thèmes et, par contraste, faire passer le Rassemblement National pour plus modéré. Ce qui est en partie vrai : dans la galaxie des droites extrêmes, elles permettent de prendre le pouls des évolutions idéologiques et des innovations qui seront sûrement reprises par le RN dans un futur proche.

Pour autant, il ne s’agit pas de minorer le danger que représenterait l’accession du RN au pouvoir. Nicolas Lebourg alerte : « Même à gauche, on ne prend pas l’extrême-droite au sérieux. On s’en sert d’argument électoral quand il y en a besoin, mais quand elle est au pouvoir, on ne regarde pas ce qu’elle fait dans sa pratique de l’État. »

Quand l’extrême-droite est au pouvoir, même sans avoir totale liberté d’action, elle a des ouvertures d’action. En Italie, on constate une augmentation des attaques racistes, ainsi que le retour dans l’espace public des manifestations fascistes. C’est quelque chose d’autant plus facilement accepté que la classe politique au pouvoir a elle-même, pour la majorité d’entre elle, un héritage idéologique fasciste.

Daphné Deschamps

L’électorat RN et celui de la droite classique se distinguent aussi en ce que les plus précaires mûs par des affects racistes n’ont pas les moyens de l’entre-soi blanc, contrairement aux plus aisés qui peuvent se le permettre, qui ont le pouvoir d’engendrer ce que le racisme crée de concret, notamment en termes de ségrégation spatiale et sociale.

C’est important de ne pas se servir de l’extrême-droite pour nous dédouaner de toute participation aux processus de racialisation. Elle ne doit pas devenir la bonne conscience de la gauche, en particulier la gauche blanche. […] Il ne faut pas penser que l’extrême-droite est à part de la société.

Félicien Faury

Trois questions clés

Qui est Daphné Deschamps ?

Daphné Deschamps est journaliste indépendante, spécialisée dans l’extrême droite, collaboratrice de StreetPress, Politis, Mediapart et Rue89Lyon.

Qui est Félicien Faury ?

Félicien Faury est chercheur postdoctoral au Cesdip (Centre de recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales), il travaille sur le Rassemblement National et ses électorats. Il a récemment publié le fort remarqué Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite au Seuil.

Qui est Émilien Houard-Vial ?

Émilien Houard-Vial est doctorant au Centre d’études européennes de Sciences Po et ATER en science politique à l’Université Versailles Saint-Quentin. Ses travaux portent sur les recompositions de l’idéologie partisane, le déclin de la droite française et la diffusion des idées de droite radicale.

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