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Guillaume Mazeau Michel Pigenet Hélène Desplanques Mathilde Larrère #AuPoste

Doléances!

Trois périodes différentes, mais à chaque fois, des cahiers de Doléances. Des lignes et des lignes d’espoirs comme de colères, d’idées, de bouts de vie aussi. Pour ce nouvel épisode du Passé faisons table basse, Mathilde Larrère convoque trois connaisseurs de ces cahiers, chacun dans leur époque. 

Pour en parler, Guillaume Mazeau, historien de la Révolution française, Michel Pigenet, historien des mouvements sociaux, auteur d’un livre passionnant sur les États généraux de 1945, et Hélène Desplanques, autrice et réalisatrice d’un documentaire nécessaire sur les cahiers de 2019: Les Doléances. À travers, tous trois racontent les aspirations du corps social.

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Un contexte de crise

Quelle que soit l’année, ces cahiers ont tous été rédigés dans un contexte de crise longue, systémique. En 1789, comme le rappelle Guillaume Mazeau, le roi, contesté, convoque les États généraux. Le Tiers États, le clergé et la noblesse se réunissent et rédigent des Doléances.

C’est un moment de crise où le roi redore son blason en prenant conseil, mais admet la difficulté. C’est à double tranchant. Personne ne sait qu’il y aura une révolution, mais tout le monde sait que la crise sera très forte.
Guillaume Mazeau

En 1945, selon Michel Pigenet, c’est le besoin d’une nouvelle république qui fait la différence. Des comités locaux, sous la coupe du Conseil national de la Résistance, se réunissent en États généraux, avec là aussi la rédaction de cahiers de Doléances. 

Pour Hélène Desplanques, ces cahiers ont pénétré l’imaginaire français: « On voit que les symboles perdurent. » Puisque c’est ici que la démocratie se construisait, les premiers cahiers de 2019 sont nés sur les ronds-points. Des maires ruraux ont très vite suivi: citoyens et citoyennes sont invité-es à déposer leurs doléances en mairie. L’expérience prend. Quelques jours après, poursuit la réalisatrice, « Macron va lancer le grand débat national ».

« Ça bouge, ça discute, ça combat »

Guillaume Mazeau revient aux origines de ce patrimoine, qu’il n’idéalise pas. En 1789, les doléances s’attachent d’ailleurs à la préservation des privilèges, souvenir d’une prétendue stabilité passée dans une société à la dérive. Les cahiers de 1945 ne sont pas non plus le reflet d’une liberté totale. Michel Pigenet le précise: « Ils vont prendre le programme du CNR pour orienter les discussions ».

Ce qui se révèle de manière assez nette, c’est que ce sont de grands moments d’expression, de forte émotion et de conflictualité très forte. Ça bouge, ça discute, ça combat. On considère que, sur les hommes qui étaient convocables, il y en a un sur deux, dans le royaume de France, à s’être exprimé.
Guillaume Mazeau

Quand Hélène Desplanques se lance dans l’étude des cahiers de 2019, elle fait un constat: « Il y a beaucoup d’espérance, mais aussi la conscience que ça ne va pas être lu ni diffusé ». Si l’initiative part de l’Élysée, l’appropriation sur le terrain est massive. Ils portent tous types de noms, tous types de formes. Chacun se débrouille. Pour la connaisseuse, « le seul truc commun, c’est le tampon de la mairie à la fin ». 

« Un truc intéressant, c’est qu’à aucun moment le chef de l’exécutif, Emmanuel Macron, ne parle de doléances. Quand il ouvre le grand débat national, il dit que l’on va parler de cahiers de «droits et de devoirs», parce que: «on n’est plus sous l’Ancien régime et je ne suis pas monarque».
Hélène Desplanques

« Faisons-le nous-mêmes »

Cinq ans après, le compte-rendu des cahiers se fait attendre. Avec d’autres, Hélène Desplanques souhaite rendre les cahiers publics. Dans les faits, ils ne sont pas sous verrous. Mais en l’absence de communication du gouvernement sur leur accessibilité, rares sont ceux qui savent et font la démarche d’aller les trouver. Souvent, elle est la seule. Il y avait pourtant une promesse faite par le gouvernement, celle de les numériser pour les publier en accès libre. Mais puisque personne ne les réclame, ils se font oublier.

Ce qui est assez tragique dans cette série de consultations, c’est que c’est une chose de se dire que ces paroles vont être tordues, manipulées. Mais c’en est une autre de se dire qu’elles ne vont tout simplement pas être restituées. C’est presque pire que de ne pas consulter la population.
Guillaume Mazeau

« Ce qui rassemble dans les cahiers de Doléances, c’est qu’on est au-delà de la politique partisane », témoigne Hélène Desplanques. Le souvenir des cahiers des gilets jaunes n’est pas encore mort. Avec une vingtaine de groupes locaux, elle a entrepris à l’échelle départementale d’aller consulter les archives pour commencer leur numérisation : « On va arrêter d’attendre que l’État le fasse. Faisons-le nous-mêmes ».

Qu’est-ce qu’un cahier de doléances ?

Sur la forme, les cahiers de Doléances sont divers. Ils sont longs, courts, rédigés ou sous forme de listes. Ils retranscrivent des idées, des plaintes, des espoirs, des cris ou des témoignages en tous genres. Sur le fond, tous ont pour objet des revendications ou des plaintes à l’attention d’un-e dirigeant-e ou d’une institution.

En 1789, les cahiers de Doléances étaient-ils révolutionnaires ?

Un imprévu au planning. Le jour prévu par l’Élysée pour la prise de parole d’Emmanuel Macron au sujet des cahiers de Doléances et du grand débat national, Notre-Dame de Paris s’est enflammée. Cinq ans après, en l’absence de réponse, des collectifs demandent la mise en ligne en accès libre des cahiers.

Pourquoi Emmanuel Macron n’a-t-il jamais dressé le bilan de ces cahiers, contrairement à ce qui était annoncé ?

Guillaume Mazeau s’attache à montrer que lors de la révolution de 1789, les cahiers de Doléances n’étaient pas révolutionnaires. À l’inverse, nombre de contributions montrent un désir de retour aux privilèges d’antan. Au-delà de la noblesse, certains corps de métiers bénéficiaient encore d’avantages propres à leurs professions. Dans un contexte de crise durable, ce retour en arrière était perçu comme salutaire.

Le nom de cahier de Doléances est parfois remis en question de parts et d’autres de l’échiquier politique. Pourquoi ?

Emmanuel Macron, lorsqu’il les annonce, refuse le terme de cahiers de Doléances. Lui parle de « cahiers de droits et de devoirs », pour les dissocier de ceux, connotés, de 1789. À gauche aussi, certains tentent de s’en distinguer. Michel Pigenet rappelle des réticences de communistes : ils préfèreraient ‘cahier de vœux’, parce qu’il faut se projeter, il ne faut pas juste consigner ce qui ne va pas. Le mot de ‘doléances’ est associé à la plainte. Il relègue le peuple dans une position de demandeur, qui ne sait pas agir.

Quelle légitimité avait le CNR pour organiser des États généraux ?

Résistance reconnaît la légitimité du gouvernement provisoire, qui l’a lui renié, n’ayant plus d’utilité. Fort d’un soutien populaire, le CNR a des revendications et entend peser sur les décisions politiques. Des élections ne pouvant pas avoir lieu dans l’immédiat, la convocation des États généraux, avec la rédaction de cahiers de Doléances doivent jouer leur rôle démocratique.

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