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Benoît Trépied Mathilde Larrère #AuPoste

Kanaky : Benoît Trépied brise l’omerta coloniale

Quel est le poids des héritages coloniaux, comment s’en affranchir ? Comment expliquer l’embrasement de mai 2024 ? Comment ré-engager le processus de décolonisation ? Mathile Larrere reçoit Benoît Trépied, anthropologue au CNRS

Le 13 mai 2024 s’ouvraient en Kanaky-Nouvelle-Calédonie des mois d’affrontements, de barrages, de révoltes, de répression aussi, faisant au moins 14 victimes. C’est tout un espoir d’une décolonisation inédite qui semblait réduit à néant. Pour comprendre ce qui se passait, se jouait, je repérais assez vite les interventions de Benoît Trépied, anthropologue au CNRS. Sur France info, Arrêt sur image, Blast, Médiapart, Le Monde…, ses interviews, appuyées sur ses propres recherches comme celles de nombreux chercheurs et chercheuses faisaient exploser les éléments de langage adoptés au sommet de l’État, repris par les médias dominants. Il présentait un autre récit public, informé, nuancé, mis en perspective historique, qui dénonçait, démontrait les fautes graves commises par l’État français, révélait la dimension coloniale alors à l’œuvre.

Benoit Trépied prolonge ce travail d’analyse et d’explication en publiant aujourd’hui un ouvrage salutaire qui rassemble, précise, prolonge ses nombreuses interventions (Décoloniser la Kanaky-Nouvelle-Calédonie, édition Anarchasis).

Comment ne pas le recevoir autour de ma table basse pour qu’il explique ce long, difficile processus de colonisation puis de décolonisation de la Kanaky.


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« Ce n’est pas une lubie de militant. C’est dans la Constitution française : ce pays est en cours de décolonisation. » Dès les premières minutes, Benoît Trépied plante le décor. Loin des raccourcis médiatiques, il retrace la trajectoire coloniale de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie, ce territoire français du bout du monde que l’État hexagonal refuse toujours de considérer comme une terre à décoloniser.

Anthropologue au CNRS, Trépied raconte comment, depuis 25 ans, il documente le processus entamé avec l’accord de Nouméa en 1998. « J’ai découvert la Kanaky en 1998, j’y suis retourné pour ma thèse, et j’ai été adopté coutumièrement dans une famille kanake. » Ce lien humain, profond, irrigue tout son travail.

Il rappelle que le projet colonial fut celui d’un effacement des peuples autochtones : spoliation foncière, enfermement dans des réserves, maintenant on dit terre coutumière, c’est un racisme d’anéantissement. « La France a voulu effacer le peuple kanak, comme les aborigènes en Tasmanie ou les Amérindiens à New York. » Les Kanaks sont réduits au silence, et le mot même de Kanak, longtemps une insulte, devient un drapeau de résistance dans les années 70.

« Le peuple kanak ne veut pas disparaître. Il veut récupérer sa souveraineté. »
Benoît Trépied

Ce que Trépied décrit, c’est une colonisation de peuplement, nourrie par le bagne, les forçats, les engagés javanais  indochinois japonais, coolies dans le cadre de l’engagement. « Toute la société calédonienne s’est bâtie sur le travail contraint. » Et cette histoire hante encore les équilibres politiques, les conflits sociaux, les rancunes sourdes.

Une citoyenneté verrouillée, un État sourd

Le cœur du conflit repose aujourd’hui sur une ligne de faille : qui a le droit de voter ? Trépied l’explique avec clarté : « Le droit de vote est la clef de voûte du processus de décolonisation. » L’accord de Nouméa crée une citoyenneté calédonienne spécifique. Mais l’État, par la voix de Darmanin, veut élargir ce corps électoral — au mépris des compromis passés.

« Si vous touchez au vote, vous touchez à l’essence même de l’accord. » Résultat : l’embrasement du 13 mai 2024. Nouméa explose. 14 morts. Des leaders indépendantistes emprisonnés et déportés vers la métropole. « C’est le retour de la vieille répression coloniale. » Dans le tchat, KalouPacifique écrit : « Ils les envoient au bagne à l’envers. C’est l’exil comme au XIXe siècle. » Et la comparaison frappe juste.

« Ce que l’État appelle le maintien de l’ordre est une violence coloniale »
Benoît Trépied

Pour l’historien  ce qui se joue est crucial : la France doit reconnaître qu’il reste un peuple colonisé sur son sol. Il ne s’agit pas d’une simple réforme institutionnelle. C’est la possibilité d’un pays nouveau, fondé sur la justice et le respect des identités.

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Pourquoi Benoît Trépied parle-t-il de « racisme d’anéantissement » ?

Parce que le projet colonial français en Kanaky visait à faire disparaître les Kanaks — physiquement, symboliquement, politiquement en les reléguant dans des réserves et en niant leur culture, jusqu’à vouloir les effacer de la mémoire collective.

Qu’est-ce qui déclenche l’embrasement de mai 2024 ?

La tentative du gouvernement français, sous l’impulsion du ministre de l’Intérieur  d’élargir le corps électoral local pour y intégrer des résidents récents  remettant en cause le compromis fondamental de l’accord de Nouméa.

En quoi la Kanaky est-elle un cas unique de décolonisation ?

Parce qu’elle est le seul territoire français explicitement inscrit dans un processus de décolonisation constitutionnel, où une citoyenneté locale a été créée, avec des transferts progressifs de compétences.

Pourquoi les leaders indépendantistes sont-ils emprisonnés en métropole ?

Parce qu’ils sont accusés d’avoir organisé des blocages en mai 2024. Mais pour Trépied, leur transfert à 17 000 km du Caillou  est une humiliation politique, une réactivation des logiques coloniales de déportation.

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Cet article est le fruit d’un travail humain, d’une retranscription automatique de l’émission par notre AuBotPoste revue et corrigée par la rédaction.

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