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Rami Abou Jamous #AuPoste

Dans l’enfer de Gaza. Avec Rami Abou Jamous

La vie à Gaza, ou ce qu’il en reste. Les enfants qui n’ont plus d’enfance, les drones qui lâchent des bombes ou des cris toute la nuit. La faim, la dignité piétiné, l’humiliation continue. Triple lauréat du prix Bayeux, Rami Abou Jamous était Au Poste, en duplex depuis ce pays «où une vie vaut moins que le reste». Un échange exceptionnel.

Longtemps, il fut fixeur pour journalistes occidentaux. Et puis la guerre, les circonstances: Rami Abou Jamous a dû prendre la plume. Pour Orient XXI, il tient un journal de bord bouleversant, que les belles éditions Libertalia publient ces jours ci en recueil. Un style sec, parce qu’il n’y a pas le temps pour les fioritures: quand Rami amène ses enfants à la mer, il dit: «nous prenons des risques pour notre vie car nous aimons la vie».

Il y a un an, sa femme Sabah, son fils Walid et lui quittent leur appartement et rejoignent un hôpital pour la nuit, avant de partir à Rafah s’abriter chez un ami puis de finir à Deir el-Balah sous une tente, leur « Villa de la fierté », située près d’un camp de fortune. Sur Gaza Vie, un groupe Whatsapp rassemblant plusieurs journalistes internationaux, il envoie son leitmotiv quotidien : « Toujours en vie ». Dépendant d’un panneau solaire pour sa connexion, il nous livre à distance son témoignage éprouvant et plein de vie.


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Être père de famille en temps de guerre

Pour Rami, c’est la pire des choses que de ne pas pouvoir offrir à son fils ses besoins primordiaux. Depuis que la guerre a commencé, les aliments favoris du petit Walid ont explosé, notamment ceux du poulet et du poisson. Les couches et autres produits d’hygiène, quand à eux, sont interdits dans le marché.

C’est toujours ce but-là pour cette armée d’occupation de nous laisser dans l’humiliation, celle de voir ton fils qui doit faire ses besoins mais qui n’a pas de couche.

Rami Abou Jamous

    Pour le journaliste, il faut mentir aux enfants. Les maintenir dans leur imaginaire, dans un monde parallèle, leur dire que l’on mangera bientôt des pizzas et des glaces, que la guerre est sur le point de cesser. Ces mensonges, sa famille et ses amis s’y complaisent afin d’avoir un peu d’espoir. Pour lui, c’est le seul moyen de voir son fils Walid sourire. À chaque détonation, quand le ciel nocturne vire au rouge et les rues s’emplissent de fumée, il lui explique qu’il s’agit d’un feu d’artifice et qu’il faut qu’ils applaudissent ensemble. À mesure qu’il grandit, l’enfant se rend compte du danger, mais malgré la peur et les cris des autres personnes du camp, il continue d’applaudir sous les encouragements de son père.

    Cette obstination n’a qu’une règle : donner de la joie à celles et ceux qui se font voler leur enfance par la guerre. À Gaza, les enfants de 5 et 6 ans ne vont plus à l’école, ils travaillent comme les adultes, font des kilomètres pour chercher l’eau, vont au marché où s’enchaînent bagarres et insultes et où règne une culture de la vulgarité accentuée par l’oppression. Pour le père de Walid, il n’y a rien de plus grave que de demander à un enfant de combattre pour vivre et de le voir perdre son innocence.

    La violence de l’occupation

    Les cigarettes et le café sont interdits aux habitants de Gaza pour les mettre sur les nerfs et dans la mauvaise humeur. Selon Rami Abou Jamous, aucune décision de l’armée israélienne n’est faite au hasard. Tout est bien calculé, les soldats choisissent stratégiquement ce qu’ils font entrer dans l’enclave. Au Nord de Gaza, cela fait deux mois que certaines familles ne reçoivent plus d’aide alimentaire et n’ont accès ni à la farine ni au pain. Certains se retrouvent à boire l’eau de la rue et à manger du foin destiné aux animaux.

    Les gens se bagarrent dans les queues, parce qu’on a faim. […] C’est ça la situation actuelle de famine. Après deux ou trois mois de guerre, les gens ont tous maigri et vieilli beaucoup plus que les autres. Et moi aussi j’en fais partie. Malheureusement je n’ai pas de miroir chez moi donc je ne me vois pas, mais je suis sûr d’avoir vieilli.

    Rami Abou Jamous

    Le journaliste note que tout est devenu trop cher, sauf la vie humaine : lorsque les israéliens tuent un palestinien, c’est comme s’ils tuaient une mouche, un insecte. Il ponctue sa phrase en buvant une gorgée de thé fait maison à l’aide d’herbes séchées. Dans leur villa, où l’on se chauffe au bois, la cuisine se fait à l’aide d’un four en argile, tandis que les bouteilles de gaz sont interdites.

    À Gaza, on vivait dans la modernité. Et justement, ils nous ont privé de cette modernité et on est revenu au Moyen-Âge. Et c’est ça qui est difficile. Ce n’est pas de vivre dans une tente. C’est aussi de faire la cuisine avec de l’argile, de faire nos besoins avec un sceau dans un trou creusé, de couper une bouteille en deux pour prendre sa douche.

    Rami Abou Jamous

    « On vit un Gazacide »

    Rami Abou Jamous pèse ses mots : ce qu’il vit relève d’un génocide spécifique à Gaza, d’un « Gazacide », non seulement par rapport au nombre de victimes mais aussi dans la façon dont elles sont tuées. L’armée a recours à des systèmes d’intelligence artificielle qui choisissent leur cible, parfois à l’aide d’une ligne virtuelle invisible pour les civils et dont le franchissement leur est mortel.

    Normalement, on ne doit pas accepter ce qu’on est en train de vivre. Mais nous on trouve des solutions. C’est bien de trouver des solutions, des « systèmes D », d’être créatif, mais on ne peut pas accepter le pire et l’humiliation. […] On a commencé à accepter l’humiliation.

    Rami Abou Jamous

    Cette acceptation est telle que les revendications s’effacent derrière des besoins primordiaux, le pain et l’eau. On ne parle plus de Jérusalem, ni d’une libération de la Palestine, ni d’un État palestinien. On parle de sac de farine. À l’époque de Yasser Arafat, un Palestinien parlait d’un État palestinien sur les territoires de 1967, de Jérusalem-Est comme capitale, demandait à avoir un aéroport ou un port. Aujourd’hui, ce même palestinien ne demande plus qu’un sac de farine, et c’est là la grande réussite des israéliens selon le journaliste.

    Il est important de ne pas uniquement compter les morts tués directement par les armes de la guerre, mais celles et ceux morts dans l’absence de soins, la misère et le désespoir, comme son beau-père, dont la dernière phrase fut « Il n’y a plus de justice dans cette vie, il faut aller la chercher ». Rejeter l’humiliation et aller chercher la justice ailleurs, c’est-à-dire chez Dieu. Pour Rami, quant à lui, rester sur place est un moyen de se révolter.

    « Israël est l’enfant gâté de l’Europe »

    Rami Abou Jamous voit Israël et son gouvernement actuel comme les enfants gâtés de l’Europe, à qui l’on ne peut rien refuser. Aucun homme d’État n’ignore la violence que subissent les civils palestiniens et leurs enfants. Les images leur parviennent, mais la conscience ne suit pas. Seule demeure la phrase magique qui semble tout légitimer, « Israël a le droit de se défendre ». La situation est alors inversée, la Palestine est perçue comme le pays occupant, et Israël le pays occupé. Toutes les normes du droit international ne se résument plus qu’à des paroles et les résolutions de l’ONU semblent dérisoires.

    L’ancien ministre israélien de la Défense il y a un mois a dit “Ce qu’il se passe, c’est un nettoyage ethnique”. Tout le monde le voit, même un ancien ministre israélien. Haaretz, journal israélien, a parlé des Palestiniens comme des demandeurs de liberté.

    Rami Abou Jamous

    La réalité de l’occupation et ses conséquences sont une évidence pour tout le monde, des ministres jusqu’aux journaux. Ayant plusieurs amis israéliens dans son entourage, le journaliste sait très bien qu’ils veulent vivre en paix avec eux. Mais par son pouvoir médiatique, Israël ne cesse de se positionner comme la grande victime historique et d’invisibiliser la cause palestinienne.

    « Nous avons tout perdu, sauf notre raison », et c’est ce que nous démontre Rami Abou Jamous en deux heures d’entretien. Il ajoute à la raison la dignité, qu’il faut à tout prix garder lorsque l’on a perdu tout le reste. Ce qu’il lui reste aussi, c’est ce grand sourire perceptible malgré la connexion bancale de l’entretien, et qui semble bien loin de s’effacer.

    Cinq questions-clé

    Où se situe Gaza ?

    La bande de Gaza est une région occupée et enclavée par Israël et située sur la côte orientale de la mer Méditerranée. Elle fait partie des territoires palestiniens, mais elle est distincte de la Cisjordanie, une autre partie des territoires palestiniens située à l’est d’Israël. Gaza est administrée principalement par le Hamas depuis 2007, après un conflit avec le Fatah.

    Que s’est-il passé le 7 octobre 2023 ?

    Le Hamas, groupe islamiste palestinien au pouvoir dans la bande de Gaza, a lancé une attaque surprise contre Israël. Ce dernier a rapidement déclaré l’état de guerre et lancé des frappes aériennes massives sur la bande de Gaza en ciblant des installations du Hamas, mais également des zones densément peuplées. Perpétrant une crise humanitaire profonde, Israël est accusé par l’ONU de génocide.

    Qu’est-ce qu’un génocide ?

    Un génocide est un crime grave défini en droit international comme l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en raison de son appartenance à ce groupe. Ce terme est codifié dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1948.

    Qu’est-ce qu’un camp de fortune ?

    Un camp de fortune est un lieu temporaire d’hébergement, généralement créé rapidement pour répondre à des situations d’urgence. Ces camps sont souvent installés dans des conditions rudimentaires et improvisées, en l’absence d’infrastructures adaptées. Ils peuvent être utilisés pour abriter des personnes déplacées, des réfugiés, ou des survivants d’une catastrophe naturelle ou d’un conflit. Il existe officiellement 58 camps de réfugiés palestiniens reconnus par l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient).

    Qu’est-ce que GazaVie ?

    Le groupe WhatsApp « Gaza Vie » a été créé et est géré par Rami Abou Jamous. Ce groupe est devenu une véritable « ligne de vie » à partir du 7 octobre 2023, lors du déclenchement des événements majeurs dans la région. Il a servi de source d’information et de journal de bord personnel, documentant les réalités vécues par les habitants de Gaza, notamment les déplacements forcés et les privations liées à la guerre.

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