Média 100% indépendant, en accès libre, sans publicité, financé par ses 1716 donatrices et donateurs ce mois-ci !

Faire un don
Mathieu Rigouste #AuPoste

Dans le business mondial du contrôle. Avec Mathieu Rigouste.

Par trois fois, l’ami Mathieu Rigouste s’est fait accréditer comme journaliste pour entrer à Milipol, le « salon mondial de la sécurité intérieure des États ». De ses trois visites, il en revient avec son nouveau film « Nous sommes des champs de bataille », disponible à partir du vendredi 17 janvier 2025.


L’extrême droite qui rafle la mise, partout. Les libertés fondamentales attaquées de toutes parts. Une gauche de gauche à reconstruire. Plus que jamais une presse réellement indépendante, et pas pareille, est nécessaire.

Depuis 4 ans, #AuPoste, défend les libertés publiques, la politique politique, l’histoire, la littérature et les contre-filatures. #AuPoste invite chercheur·es, écrivain·es, philosophes, sociologues, avocat·es, punks et punkettes, cinéastes, artistes et hacktivistes, écoterroristes, féministes.

Tout ceci n’a pas de prix, mais un coût. Vos dons couvrent loyer | salaires | cotisations | matériel | transport | communication.

Si vous le pouvez, optez pour un soutien mensuel. Merci.
Chaque année, #AuPoste publie ses comptes en toute transparence.

Arrivé en avance, sac de rando sur le dos, Mathieu Rigouste s’installe pour la deuxième fois sur le canapé aupostien, trois ans après avoir parlé de son précédent film « Un seul héros, un peuple ». Dans son nouveau documentaire « Nous sommes des champs de bataille », auto-produit grâce à un financement participatif et en ligne le 17 janvier 2025, Mathieu Rigouste nous parle de sa voix grave et rauque du « business mondial de la guerre et du contrôle (et ce qui lui résiste) ». Il mène aussi une réflexion sur « la force des images et notre participation aux catastrophes en cours ».

Une infiltration pas toujours facile

La bande-annonce donne le ton : mitraillettes, flashsballs, tasers, robots et chefs d’entreprises d’armement, tel est le terrain d’investigation du chercheur indépendant, accrédité comme journaliste à trois reprises à Milipol, le salon annuel de la « sûreté et de la sécurité » (mais surtout l’évènement mondial du capitalisme du contrôle). Son badge épinglé, QR code bien visible, il se fond dans la masse des communicants publicitaires en soif de nouvelles technologies et de démonstrations virilistes. Mais de temps à autre, les plus méfiants refusent tout contact et tentent parfois de l’intimider.

La structure genrée du salon est super intéressante. On y voit en termes de classe, de race, de genre, la conjugaison des différents rapports de domination. Les femmes occupent une place particulière dans le salon, elles sont en général sur les stands de présentation en tailleur pour décorer les armes et attirer l’utilisateur final.

Mathieu Rigouste

Un tel engagement contre l’industrie de la violence remonte à ses premiers écrits mais aussi aux violences policières qu’il a personnellement subies en 2013, avant de finir à l’hôpital gravement blessé et d’être fiché S. Selon lui, les violences policières sont « structurelles, systémiques et organisées ». Milipol (un jeu sur les termes « militaire » et « police ») est la quintessence de leur légitimation. Dans ce monde, la violence est à faire désirer et à rendre fun. Que le salon ait lieu en France, deuxième vendeur mondial d’armes, confère au pays un pouvoir symbolique et technique.

En parallèle du salon, Rigouste réfléchit autour de ces questions avec ses amies Fahima Laidoudi et Fatou Dieng, militantes contre les violences d’État et de la police. Ce dispositif est, avec la voix-off du réalisateur, un moyen d’analyser en profondeur le sens de ces images et de comprendre les rouages de cette machinerie.

Des acteurs puissants

Mathieu Rigouste interroge Gérard Lacroix, l’un des dirigeants du Gicat, grand lobby de l’armement regroupant tous les géants du complexe militaro-industriel français. Cette institution, au cœur du fonctionnement étatique, fait le lien entre l’industrie sécuritaire et les instances de décision budgétaire ou de recherche et développement. Lacroix, dont on sent le média training, nous confirme que les entreprises ont tout intérêt à vendre leurs produits à l’État, car la validation de leur efficacité par le ministère de l’Intérieur leur ouvre le marché à l’export. Une fois testées sur le terrain, ces armes sont « combat proven », c’est-à-dire approuvées sur le champ de bataille.

J’ai discuté avec des industriels israéliens qui ont la même stratégie, celle de vouloir doter son propre État de ces dispositifs-marchandises, que l’État les utilise en répression, en surveillance, dans un modèle de guerre coloniale pour l’occupation et le génocide en Palestine […]. Une fois qu’un État en est doté, ça ouvre la porte à la vente à tous les États du monde, à des armées privées, à des agences de sécurité privées.

Mathieu Rigouste

Certaines entreprises se plaignent lorsque des restes de droit international leur empêchent de développer certains dispositifs, comme ce fut le cas avec les canons à eau lors des gilets jaunes. De telles réactions démontrent tout au long du film non seulement l’absence de honte mais aussi la fierté avec laquelle on réprime les classes populaires. À l’échelle mondiale, les années 2010 ont été rythmées par des soulèvements du peuple contre des régimes totalitaires, et dans le même temps le pouvoir a été capable de tenir voire de massacrer la population.

« Il n’y a pas de pouvoir total »

Malgré l’efficacité redoutable de cette machine sécuritaire, l’enquête de Mathieu Rigouste ainsi que les luttes prouvent qu’il « n’y a pas de pouvoir total », ni de « domination absolue ». De la plantation esclavagiste à l’horreur nazie, les opprimés trouvent des moyens de réagencer leur résistance. Le chercheur prend l’exemple d’un mouvement collectif dont le but fut de cesser l’activité d’une usine de grenades à gaz lacrymogène. Malgré le déploiement policier, ces manifestants se sont rendus compte qu’en s’approchant à cinq-cent mètres de l’usine, celle-ci était forcée de s’arrêter de fonctionner.

Le salon Milipol illustre bien tout au long du documentaire ce que Rigouste nomme « l’industrie duale », portée à la fois sur les secteurs militaire et civil. Historiquement, le marché sécuritaire comme système de pouvoir et domaine du capitalisme se déploie dans l’après-1968 comme une « sous-dimension » de l’industrie de l’armement et de l’économie de la guerre. Les marchandises du salon Milipol sont des dérivés de dispositifs militaires ayant été exercés sur les terres et les peuples colonisés jugés « sacrifiables ».

Les blindés vus à Notre-Dame-des-Landes, d’autres vus dans les répressions des révoltes pour Nahel, ont aussi été déployés en Kanaky, à Mayotte. Le dual, d’un point de vue commercial, permet de mettre toutes sortes de choses [sur le blindé], un canon à eau, des LBD ou de l’armement lourd comme une mitrailleuse. C’est aussi la possibilité de passer, dans leur langage à eux, du maintien de l’ordre au retour à l’ordre.

Mathieu Rigouste

Le réalisateur ne cesse cependant de mettre l’accent sur les luttes, car ce sont elles qui ont imposé le sujet des violences policières dans les médias. Les différents formes d’entraide dans la résistance ont permis de cerner certaines failles du contrôle. Pour Rigouste, l’histoire évolue dans une confrontation permanente entre dominants et dominés. Son film, avec les moyens du bord, joue de  cette confrontation par l’usage de la caméra, riposte esthétique à l’imagerie de surveillance. À voir absolument !

Cinq questions-clé

Qu’est-ce que Milipol ?

Milipol Paris est un salon dédié à l’industrie de la sûreté et de la sécurité intérieure des États. Il est parrainé par le Ministère de l’Intérieur français et a lieu tous les deux ans depuis 1984. En 2023, le salon a accueilli plus de 1 100 exposants et plus de 30 000 visiteurs.

Qu’est-ce que le Gicat ?

Le GICAT (Groupement des Industries de Défense et de Sécurité Terrestres et Aéroterrestres) est une organisation professionnelle française qui regroupe des entreprises du secteur de la défense et de la sécurité. Il couvre des domaines tels que les véhicules blindés, les drones, les systèmes d’information et de communication.

Qui sont Fahima Laidoudi et Fatou Dieng ?

Fahima Laidoudi milite en parcourant les luttes pendant plusieurs décennies. Elle organise des cantines populaires autogérées à l’instar des cantinières de la Commune de Paris. Fatou Dieng, soeur de Lamine Dieng, tué par la police en 2007, est une militante qui lutte contre les violences d’État et les continuités coloniales en Afrique.

Que veut dire « combat proven » ?

Une arme est dite « combat proven » lorsque son efficacité a été validée sur le terrain, souvent contre un soulèvement populaire. Cela lui donne une valeur sur le marché de l’armement.

Comment se procurer le film « Nous sommes des champs de bataille » ?

Le film a été autoproduit et réalisé par Mathieu Rigouste à l’aide de dons. Le film est à prix libre sur le site du chercheur : https://mathieurigouste.net/Le-film

Article précédent
Marie Dosé #AuPoste

Syrie: les enfants des camps, une honte française. Avec Marie Dosé, avocate

Article suivant

Comment Elon Musk amplifie la toxicité de X

2025 EN AVANT!

L’extrême droite qui rafle la mise, partout. Les libertés fondamentales attaquées de toutes parts. Une gauche de gauche à reconstruire. Plus que jamais une presse réellement indépendante, et pas pareille, est nécessaire.

Je fais un don #AuPoste

Dons déductibles des impôts (66%) au nom du pluralisme de la presse.