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Bye Bye Tibériade Lina Soualem

«Bye Bye Tibériade»: Lina Soualem convoquée Au Poste

Brel avait un mot. Aller voir. Il faut aller voir. Cette maxime, Hiam Abbass aurait pu la faire sienne. Il y a 30 ans, l’immense actrice a quitté son village palestinien pour l’Europe, et son cinéma, puis les Etats-Unis, et leur folie. Avec sa fille Lina Soualem, réalisatrice (son «Leur Algérie», il y a trois ans, fut un bijou d’humanité et de drôlerie), Hiam Abbass retourne sur les traces des lieux disparus et des mémoires dispersées de quatre générations de femmes palestiniennes.

Avec le carnage qui se déroule actuellement, et que l’on sait, «Bye Bye Tibériade» prend une incroyable force. C’est un film de cinéma, qui parle de nous, de la transmission, des résistances, du temps qui passe. Et c’est un film Au Poste (sortie sur grand écran: le 21 février). Joie de recevoir sa réalisatrice.


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La causerie en quelques mots

Elle a scénarisé la formidable série «Oussekine» et a déjà réalisé un premier documentaire personnel sur la question de l’identité. D’abord questionnée du côté paternel, dans son premier opus «Leur Algérie», Lina Soualem nous parle, ce 19 février 2024, de son second film qui résonne fortement à l’aune de la tragédie palestinienne. «Bye bye Tibériade» s’engage dans la mise en récit des origines, tissée à plusieurs générations de femmes, dans la lignée maternelle palestinienne de la réalisatrice. Son documentaire s’articule autour des images élaborées en paroles. L’une, intime, qui n’a pas été prise, l’autre, politique, celle du peuple palestinien, qui n’a pas été entendue.

Pourquoi il n’y a pas de mecs dans cette histoire ? 

La présence paternelle s’incarne plus discrètement au travers des images d’archives familiales, semées dans le documentaire. Moments de bonheur du quotidien avec les enfants ou lors de mariages, fragments à la fois intimes et universels qui témoignent de l’élan vital des individus face au chaos. 

Par la suite, l’entretien se tourne vers l’articulation de la grande Histoire avec la transmission familiale et le processus de création de Lina Soualem, allers-retours entre photos, vidéos et mots, à plusieurs mains et à plusieurs récits, tissage des souvenirs, des sens et des représentations. Les lieux bibliques de Tibériade et de Nazareth, apparaissent familiers, paysages des liens et jalons temporels du documentaire. Déjà initié par la monteuse, Gladys Joujou, dans «Leur Algérie» et souligné par David Dufresne comme un très beau geste de cinéma, la jeune femme explicite ce qui va être le support de la parole qui transmet la mémoire : afficher des photos anciennes et les faire commenter par les membres de la famille, dont sa propre mère, la grande Hiam Abbas.

Quand on se trouve face à des personnes ou des personnages pour qui le passé représente une douleur, ou est marqué par un silence, finalement, au lieu de poser des questions et de s’attendre à avoir des réponses claires, la transmission peut se faire aussi à partir des images. Et donc, en montrant des photos, ça me permet d’aller réveiller à la fois des émotions et des souvenirs, mais sans être dans la confrontation. La photo et l’archive deviennent précieuses dans aussi le contexte d’histoires, comme l’histoire de l’Algérie ou de la Palestine qui sont des histoires qui ne sont pas toujours racontées complètement.

Lina Soualem

Comment tu l’as écrit ce film ?

C’est une écriture qui ne s’arrête pas, le scénario s’est composé avec 4 femmes. Les images de Frida Marzouk se sont colorées des mots et des voix de Lina Soualem, Gladys Joujou et Nadine Naous. Les images d’archives de 1948, elles, ont été difficiles à trouver. Il a fallu faire appel à des documentalistes de différents pays, elles sont des ressources précieuses pour nommer l’existence du peuple palestinien avant la Nakba (800.000 palestiniens déplacés qui représentent 90% des villages détruits en 1948). Un peuple nié dans son identité, privé de ses droits, sans cesse obligé de prouver son humanité.

Revenir à l’individu, c’est une manière de se connecter au reste du monde

Lina Soualem

L’entretien chemine par allers-retours entre la forme et le fond. La justesse des faits est garantie par les films super 8 aux sons authentiques, les moments vécus par Hiam Abbas rejoués sur les lieux passés : recréations du réel, comme la mémoire est une reconstruction. Le récit évoque, non sans humour, le vécu poignant des grands-parents, quand la question des enfants nés dans la seule pièce de la maison est relevée par eux-mêmes, devenus adultes. Puis l’exil est rappelé, celui forcé des palestiniens et celui choisi d’Hiam Abbas. Bien qu’il soit aussi un arrachement pour elle, il lui a donné la possibilité de se réinventer. Permettant à la réalisatrice d’affirmer à nouveau sa foi en l’élan vital, en la force des enfants et de la psyché.

C’est aussi le fait qu’il s’agit d’une histoire familiale authentique qui rend le film universel en nous renvoyant tous.tes à notre histoire familiale.

Supamurgeman dans le chat

Partant d’elle, Lina Soualem situe  «Bye bye Tibériade» comme possible à la 4ème génération, du fait de la distance qu’elle a avec les événements qui ont traversé sa famille. Il lui permet également d’enrichir sa relation avec sa mère, comme un médium de transmission entre elles. La réalisatrice analyse également le fait d’être femme, soutien d’une sensibilité particulière pour le récit intime, traditionnellement transmis par les femmes.

Parvenir à faire de l’intime, du politique.

Citadellejeteconstruirai dans le chat

La causerie se termine sur le deuil qu’occasionne la réactivation traumatique de la sortie simultanée du documentaire et de l’actualité à Gaza. Mais grâce aux rencontres, il est possible de dépasser les clivages, de dialoguer, de faire exister les palestiniens.

On se raconte et c’est ce qui nous permet d’exister et de se lier aux autres.

Lina Soualem

À travers la reconstruction de la mémoire des douleurs et des joies de 4 générations de femmes palestiniennes, ce documentaire témoigne des images et des paroles de temporalités différentes et réélabore un récit. Devenu objet culturel, «Bye bye Tibériade» atteste de la transformation miraculeuse des traumas, reçus en héritage de l’Histoire : faire un pas de côté, faire perdurer une culture, continuer à célébrer la vie, comme l’envers des images d’actualité.

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