À la cour criminelle du Vaucluse, 51 hommes sont sur le banc des accusés. Un procès hors normes, source de réactions dans l’espace public. Gisèle Pélicot a refusé le huis clos. Son souhait : que la honte change de camp. Les témoignages des accusés, les déclarations effarantes de leurs avocat.es, la mise en accusation de Gisèle Pélicot rappellent le traitement infligé aux victimes de violences sexuelles.
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Sur le canapé d’Au Poste, on rencontre encore les quelques petits problèmes de son qui ont fait notre réputation. Qu’à cela ne tienne, on ressort les bons vieux micros à main. Dans le tchat, une personne interroge les trois spécialistes : « Combien ont plaidé coupable ? ». À l’ouverture de l’audience, « 35 accusés niaient les faits reprochés. Certains ont reconnu la matérialité des faits, mais la plupart nient l’intention de violer », répond Marlène Thomas. Le “scénario libertin” est un argument qui revient beaucoup dans leur défense.
« Dominique Pélicot allait rencontrer des hommes sur un salon en ligne qui s’appelle “à son insu”, ce qui est déjà plus qu’explicite (…) Il leur donnait un très grand nombre de consignes, comme se garer loin et ne pas porter de parfum. Toutes ces consignes laissent à penser que ces hommes avaient totalement conscience de l’état d’inconscience de Gisèle Pélicot. »
Marlène Thomas
En finir avec le monstre
La journaliste de Libération ajoute : « Il y a un accusé qui a pu dire que comme elle n’a pas refusé, il ne pouvait pas savoir qu’elle n’était pas consentante », un autre « qu’il ne savait pas ce qu’était le consentement ». Ces “monsieur tout le monde”, comme ils sont souvent décrits, révèlent par leurs actes la culture du viol, loin du stéréotype du violeur dépeint en monstre.
« Tant que l’on pensera que l’agresseur, c’est la figure du monstre, qui rend finalement compte du viol comme quelque chose d’exceptionnel, on n’y arrivera pas. Dans neuf cas sur dix, l’agresseur, c’est l’entourage. Il y a plus de 200 000 femmes qui sont violées chaque année. C’est massif. On doit porter un autre regard que celui du couteau et du parking. »
Marine Turchi
« Dans la définition du viol, les gens pensent “contrainte physique”. Mais il y a d’autres et c’est le cas ici », rappelle Marine Turchi, en allusion à la contrainte chimique. Dans beaucoup de ces affaires, les victimes ne se rendent pas compte de ce qu’elles subissent.
« Sur l’aspect médical, Gisèle Pélicot a vu des gynécologues qui ont relevé une grosse inflammation du col de l’utérus sans que ça les alerte. Je pense qu’il y a une question d’âgisme dans tout ça. Les femmes d’un âge avancé, on va leur nier la possibilité d’être victimes de violences sexuelles. C’est placer la question du viol sur le plan du désir alors que le viol est à placer sur le plan de la domination. »
Marlène Thomas
La bonne et la mauvaise victime
« Dès que Gisèle Pélicot arrive, un public souvent composé d’une majorité de femmes l’applaudit », livre Marlène Thomas. Le procès est un événement. Valérie Rey-Robert s’en inquiète : « Pour ce genre de procès extraordinaire, les gens sont tellement choqués qu’ils ont du mal à considérer que les viols plus ordinaires sont bien des viols ». Elle ajoute : « Le violeur, c’est l’autre ».
« Il faut en finir avec la surprise dans ces affaires. On ne peut plus tomber de sa chaise aujourd’hui, sept ans après l’affaire Weinstein et les révélations qui s’en sont suivies. On ne peut plus ne pas voir que c’est systémique. »
Marine Turchi
Si pour beaucoup, Gisèle Pélicot fait figure de symbole, elle fait aussi face à la réaction et le dit elle-même : « Je comprends que les victimes de viol ne portent pas plainte, parce qu’on passe vraiment par un déballage humiliant ». Marine Turchi témoigne : « On entend souvent parler de bonne et mauvaise victime ». Il faudrait avoir la bonne attitude, pleurer, mais pas trop, s’en souvenir, mais pas trop.
« Je trouve que cette image de la bonne et de la mauvaise victime, on la retrouve aussi dans la dignité que l’on peut prêter à Gisèle Pélicot. Son choix d’avoir choisi de rendre public l’intégralité des débats force l’admiration. En revanche, elle ne susciterait pas moins mon empathie si elle n’avait pas fait ce choix, si elle avait craqué à la barre. Il faudrait prendre en compte et respecter la vulnérabilité de toutes les victimes. »
Marlène Thomas
Dans le tchat, que la discussion a fait réagir tout du long, ac7276 se demande si le procès pourra faire évoluer la société. Le procès correspond a tellement de stéréotypes sur le viol, que Valérie Rey-Robert se montre sceptique : « il risque de renforcer l’idée que si on n’a pas été violée sous sédation par 90 hommes, il faut arrêter de se plaindre ».
Trois questions clés
C’est un concept sociologique adopté pour faire part d’une attitude systémique des individus vis-à-vis du viol qui tend à le normaliser. Il s’agit d’une norme commune dans laquelle le crime, au fond, ne choque pas l’opinion.
L’article 222-23 du Code pénal parle de viol lorsqu’il est commis par l’auteur selon l’un de ces quatre mots : violence, contrainte, menace ou surprise. La notion de consentement libre, volontaire et éclairé n’est pas évoquée.
Plusieurs accusés du procès de Mazan s’appuient sur cette faille juridique dans leur défense : selon eux, ils ignoraient que Gisèle Pélicot était inconsciente.
Sorti en 2021, l’ouvrage pointe les limites de ce que peut faire la justice et les obstacles que rencontrent les dossiers qu’elle traite. En faisant témoigner près de quatre-vingts personnes concernées, l’enquête part à la recherche des raisons de la défiance dans le système judiciaire.
- propagande https://x.com/AuPoste1/status/1842641509180670185 & https://x.com/davduf/status/1843352833346941048
- Marlène Thomas https://x.com/MarleneTD8
- Marlène Thomas pour Libération https://www.liberation.fr/auteur/marlene-thomas/
- #AuPoste avec Marine Turchi https://www.auposte.fr/invites/turchi-marine/
- Marine Turchi https://x.com/marineturchi
- Marine Turchi pour Mediapart https://www.mediapart.fr/biographie/marine-turchi
- Valérie Rey-Robert https://linktr.ee/Valerie_ReyRobert
- Le procès de Mazan sur Libération https://www.liberation.fr/recherche/?query=mazan
- Le Sexisme, une affaire d’hommes – Valérie Rey-Robert – 2020 https://editionslibertalia.com/catalogue/hors-collection/le-sexisme-une-affaire-d-hommes
- Le sénateur Joël Guerriau, soupçonné d’avoir drogué une députée (Sandrine Josso) , évoque une”erreur de manipulation” par Pascale Robert-Diard https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/11/19/le-senateur-joel-guerriau-soupconne-d-avoir-drogue-une-deputee-evoque-une-erreur-de-manipulation_6201048_3224.html
- Sandrine Josso https://fr.wikipedia.org/wiki/Sandrine_Josso
- âgisme https://fr.wikipedia.org/wiki/Âgisme
- Je suis une sur deux – Giulia Foïs – 2020 https://editions.flammarion.com/je-suis-une-sur-deux/9782081510777
- Caroline Fourest https://fr.wikipedia.org/wiki/Caroline_Fourest
- #AuPoste – s06-66 – 6 décembre 2023 #metoo, le combat (dis)continue avec Lenaïg Bredoux https://www.auposte.fr/metoo-le-combat-discontinue-avec-lenaig-bredoux/
- Lénaïg Bredoux https://www.mediapart.fr/biographie/lenaig-bredoux
- #AuPoste – s05-18 – 6 février 2023 Violences sexuelles: quand l’impunité prime avec Hélène Devynck et Anouk Aubert https://www.auposte.fr/vss-limpunite-et-le-silence-qui-ment-avec-helene-devynk-et-anouk-aubert/
- Une culture du viol à la française – Valérie Rey-Robert – 2019 https://editionslibertalia.com/catalogue/hors-collection/une-culture-du-viol-a-la-francaise
- Adèle Haenel https://fr.wikipedia.org/wiki/Adèle_Haenel
- #AuPoste s03-106 – 19 mai 2022 Le procès du 36 avec Ovidie https://www.auposte.fr/ovidie-convoquee-au-poste/
- Un troussage de domestique – Christine Delphy – 2011 https://www.syllepse.net/un-troussage-de-domestique-_r_87_i_517.html
- Procès des viols de Mazan: les conditions de diffusion des images bientôt débattues par Marlène Thomas 29 septembre 2024 https://www.liberation.fr/societe/police-justice/proces-des-viols-de-mazan-les-conditions-de-diffusion-des-images-bientot-debattues-20240929_O4N4NMXM7RFFHHMCXE3TLL3L3A/
- “Il est important que l’on puisse voir de quoi on parle”: la diffusion des images au cœur du procès des viols de Mazan par Juliette Delage 20 septembre 2024 https://www.liberation.fr/societe/police-justice/il-est-important-que-lon-puisse-voir-de-quoi-on-parle-la-diffusion-des-images-au-coeur-du-proces-des-viols-de-mazan-20240920_OYTRYGTRUJF67FHKCX7OBLJ42A/
- Nicolas Bedos visé par une enquête pour “viol” et “agression sexuelle” par Marine Turchi https://www.mediapart.fr/journal/france/180723/nicolas-bedos-vise-par-une-enquete-pour-viol-et-agression-sexuelle
- Faute de preuves – Marine Turchi – 2021 https://www.seuil.com/ouvrage/faute-de-preuves-marine-turchi/9782021483567
- Réforme des objectifs et principes de détermination de la peine : document de réflexion https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jr/ropp-rpps/p4.html
- Viol que fait la justice? – Véronique Le Goaziou – 2019 https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100513860
- mitaboula: Merci infiniment à Pauline et à chacune des intervenantes pour ce moment.
- Jugé pour agressions sexuelles, Nicolas Bedos plaide l’amnésie mais se souvient qu’il n’est pas coupable par David Perrotin https://www.mediapart.fr/journal/france/270924/juge-pour-agressions-sexuelles-nicolas-bedos-plaide-l-amnesie-mais-se-souvient-qu-il-n-est-pas-coupable
- #AuPoste – s05-22 – 17 février 2023 Sambre, radioscopie d’un fait divers (et d’une défaillante machine judiciaire) avec Alice Géraud https://www.auposte.fr/alice-geraud-sambre-radioscopie-dun-fait-divers-ou-leffroyable-mecanique-de-lechec-police-justice/
- Sambre – Alice Géraud, Marc Herpoux et Jean-Xavier de Lestrade – 2023 https://www.senscritique.com/serie/sambre/58383670