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«Bloc bourgeois et Bloc Extrême droite sont dans le même monde» Stefano Palombarini

Depuis le 9 juin 2024, et la chute du «bloc bourgeois», planqué derrière la LR-Macronie, la France semble rejouer 1936: front national contre front populaire. Stefano Palombarini, économiste, théoricien avec son complice Bruno Amable de l’affrontement des 3 blocs (extrême-droite, bourgeois, gauche radicale) a accepté la convocation d’Au Poste. Et c’est un bonheur.

Stefano Palombarini, Maître de conférences à l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, a publié avec Bruno Amable Où va le bloc bourgeois ? (édition La Dispute, en 2022), qui faisait suite à leur Illusion du bloc bourgeois (Raisons d’agir).

En s’appuyant sur ses publications, l’auteur nous expose sa démarche intellectuelle fondée sur une méthodologie qui permet une lecture des processus historiques et politiques à la lumière des attentes des différents groupes sociaux qui participent au mode de détermination démocratique.

La République affaiblie par le «bloc bourgeois»

Suite aux élections européennes du 9 juin 2024, le choix de Macron de dissoudre l’Assemblée Nationale rend compte d’un contexte et d’une procédure que l’on peut qualifier d’antidémocratique, tout en ouvrant une voie royale à l’extrême droite, selon Stefano Palombarini. L’auteur rappelle qu’il a été élu grâce aux discours prescrivant de faire «barrage à l’extrême droite», après une prise de parole à Médiapart, où il avait tenu des mots fermes sur les violences policières. Il avait récolté ainsi le double des voix au second tour des élections présidentielles, malgré un retour amer à la réalité avec la répression des Gilets jaunes et des autres mouvements sociaux.


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Pourtant face au péril qui menace la République, la résistance et l’opposition ont amené à son réflexe le plus précieux, la gauche divisée a une nouvelle fois réussi l’union des gauches. Dans ce cours laps de temps qui ne laissait que peu d’espace pour discuter des candidatures, rédiger un programme, créer une alliance et convaincre les électeurs, un magnifique accord a été trouvé pour contrer la défaite du «bloc bourgeois» et renverser la possibilité d’une politique capitaliste autoritaire et antisolidaire.

Ce qu’on essaye de faire, c’est de donner un cadre pour regarder les choses d’une façon un peu structurée, précise. Pas idéologique au sens mauvais du terme. Je fais de la politique dans ce sens là.

Stefano Palombarini

Le «bloc bourgeois» dans la crise politique actuelle

Dans sa définition, le «bloc bourgeois» est un concept qui décrit une alliance sociale spécifique, un groupe qui s’agrège autour d’une stratégie en deux axes : l’approfondissement de la construction européenne et la transition du capitalisme français vers le modèle néolibéral. Stefano Palombarini nous explique les mécanismes de rapprochement entre deux blocs qui en viennent à former un bloc inédit à partir des anciens blocs de gauche et de droite. Ce faisant, il en ressort cette idée de centre (extrême centre, pour Cagé et Piketty) conçue sur une hiérarchie de classes, celle des classes moyennes hautes. Le «bloc bourgeois» symbolise donc cette réunification des classes dans une seule alliance.

Alors se pose la question, est-ce une spécificité française ? Stefano Palombarini fait un état des lieux des pays européens ayant subi auparavant le même sort. De la Grande Bretagne de Tony Blair à l’Italie de Matteo Renzi en passant par l’Allemagne de Gerhard Schröder pour arriver à Bill Clinton aux Etats-Unis, c’est une issue similaire.

«La désillusion des bourgeois» : une trajectoire qui se répète ?

Pour Stefano Palombarini, Macron n’a rien inventé, il est allé vers un échec comme tous les autres. Ce n’est donc pas spécifique à la France, comme nous allons le voir maintenant. Par exemple, Matteo Renzi a été considéré comme un «génie», tout comme la couverture médiatique élogieuse à l’égard de Macron lors de sa première campagne électorale. Aujourd’hui, il n’a plus de poids politique et c’est Meloni au pouvoir. 

Le «bloc bourgeois» a toujours recours à un discours qui instrumentalise le progressisme et l’efficacité de l’institution libérale pour proposer une troisième voie. C’est la promesse de promotion sociale engendrées par des réformes ; c’est à dire, en réduisant les services publics, ça permettra de réduire les impôts, en allégeant les impôts des classes les plus favorisés. 

Stefano Palombarini

C’est la raison pour laquelle en France on a eu l’opposition entre ce que Stefano Palombarini et Bruno Amable ont appellé la gauche d’accompagnement vs la gauche de rupture. La gauche d’accompagnement s’accommodant des orientations néo-libérales pour rester compétitive économiquement et moderniser le capitalisme français par des réformes, tout en tentant d’amortir les effets délétères de ces mesures par des protections sociales. C’est la scission née de la tension entre une gauche liée à une base ouvrière forte et une deuxième gauche incarnée par Rocard et Delors, qui annonceront le tournant de 1983. Un clivage qui a façonné le paysage politique français avec pour conséquence la montée du bloc bourgeois : « Delors, Bayrou et Macron, c’est le même projet, ils profitent de la crise des blocs traditionnels. »

Les classes populaires comprennent qu’on ne peut pas rester dehors, mais une partie des classes moyennes peut croire qu’un projet de ce type leur permettra de monter de grade. Et  cela se traduit par une menace de dégradation sociale pour la quasi totalité des classes moyennes, qui finissent par s’éloigner du bloc bourgeois. Sa base est rétrécie et donc il s’effondre. C’est ce qui arrive avec Macron et c’est ce qui est arrivé avec les autres.

Stefano Palombarini

La conséquence de cet effondrement : analyse de l’élection européenne

Profitant de la crise politique des blocs de gauche et de droite, Macron se maintient en 2022 en capitalisant sur une droitisation et un vieillissement de son électorat. Envoyant des signaux en forme de coups de matraque, et d’autres plus symboliques avec De Villiers, et une tentative de réhabilitation du maréchal Pétain. Stefano Palombarini nous montre ainsi les liens qui existent entre Macron, produit de la haute administration et les intérêts capitalistes dominants.

Dans ce contexte de redistribution des forces politiques, la classe populaire du bloc de gauche est-elle passée à l’extrême droite ? De façon rétrospective, Stefano Palombarini explique que c’est faux, néanmoins, ils sont partis en 1990, par dégoût et ont plutôt utilisé l’abstention.

En 1981, les ouvriers étaient une composante fondamentale de la gauche, on ne peut pas dire que ces ouvriers sont passés à droite 43 années après ! Car les ouvriers de gauche sont morts, ce ne sont pas les mêmes.

Stefano Palombarini

En 2022, les ouvriers qui votent Le Pen à la Présidentielle ont une adhésion idéologique très forte, non pas à l’extrême droite, mais à « l’esprit du Rassemblement National.» Quant à ceux qui votent Mélenchon, une grande partie ne votent pas ensuite et donc mécaniquement, la participation des ouvriers passe de 65% à 40%, ce qui crée cette impression.

Y aurait-il plus de conscience de classe ? Une fois encore, Stefano Palombarini renvoie aux facteurs objectifs dans l’organisation collective. A l’époque, il y avait davantage de solidarité politique, car s’élaborant dans un cadre de travail ouvrier qui amorçait donc une prédisposition à s’organiser et à se politiser. Or c’est plus difficile aujourd’hui, lorsque les conditions de travail sont fragmentées et individualisées, sans le référentiel idéologique construit de longue haleine par les socialistes et les communistes.

En conclusion, Stefano Palombarini conteste le bilan exprimé sur tous les plateaux télé et chaines radio, rappelant au passage qu’il est «interdit» de comparer une élection européenne avec une élection présidentielle. Les différences de participations sont grandes, avec un écart d’environ 10 millions d’électeurs (35 millions en 2022, et 25 millions en 2024 ; selon les données du ministère de l’Intérieur). D’ailleurs, pour l’économiste, on ne réduit pas des dynamiques politiques aux résultats. Toute sa méthodologie s’établit autour du travail sur des groupe sociaux politiques, à partir des données post électorales et d’une batterie de questions longues, permettant d’obtenir une définition des types d’attentes sur les politiques publiques, d’où émergent les blocs du champ politique (analyse par composante principale, nuage de points qui créent des groupes expliquant 95% de la variance totale).

Trois questions clés

Qui est Stefano Palombarini ?

Stefano Palombarini est économiste, maître de conférences à l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis. Il est spécialiste des liens entre blocs politiques et régimes économiques, notamment le néolibéralisme. Avec Bruno Amable, il est l’auteur L’illusion du bloc bourgeois. Alliances sociales et avenir du modèle français (Raisons d’Agir, 2017). Dans cet ouvrage, il pose le cadre théorique du bloc bourgeois qui permet de comprendre les recompositions politiques à l’intérieur et en opposition au néolibéralisme en France et en Europe.

Quel est le sujet de l’ouvrage L’illusion du bloc bourgeois de Stefano Palombarini et Bruno Amable ?

La crise politique française entre dans sa phase la plus aiguë depuis plus de trente ans, avec l’éclatement des blocs sociaux traditionnels, de gauche et de droite. L’éloignement des partis «de gouvernement» des classes populaires semble inexorable. Ce projet se prolonge désormais par la tentative d’édifier un «bloc bourgeois» fondé sur la poursuite des «réformes structurelles», destinées à dépasser le clivage droite/gauche par une nouvelle alliance entre classes moyennes et supérieures. L’émergence, en réaction, d’un pôle « souverainiste », coexiste avec les tentatives de reconstruire les alliances de droite et gauche dans un paysage politique fragmenté.

Qu’est-ce que «l’extrême centre» ?

C’est un concept socio-politique défini par l’historien Pierre Serna en 2005 dans L’Extrême Centre ou le poison français : 1789-2019 pour caractériser le mode de gouvernement en France du Consulat à la Restauration, particulièrement entre 1814 et 1820 ; il en montre ensuite les parallèles qui peuvent s’établir, en France, entre la période d’émergence — du Gouvernement révolutionnaire au Directoire, puis à l’Empire et à la Restauration — et son apogée depuis les élections législatives de 2017. 

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