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Balance ton Hanouna

Durant des semaines, la chargée de recherche CNRS a scruté C8, et analysé ce qui compose les émissions de Cyril H. Retour sur l’infodivertissement chez Bolloré : l’extrême droite surmédiatisée. La majorité présidentielle : un bénéfice mutuel. Les figures de la gauche traditionnelle, de l’invisibilité au dénigrement. Les Insoumis, rouage relationnel et fonctionnel. Et la droite fantôme, en angle mort de la primaire LR. Claire Sécail était #Au Poste pour en parler, le 21 février 2022.

De septembre à décembre 2021, la chercheuse Claire Sécail a regardé intégralement toutes les émissions de Cyril Hanouna, pour en analyser les discours politiques (quantitative pour le temps d’antenne politique et qualitative pour l’argumentaire des débats) : « l’objectif était de repérer la dynamique de la médiatisation de la campagne dans un programme de divertissement pouvant traiter de sujets politiques et de comprendre les modalités de traitement des enjeux de l’élection (candidats, thèmes…) au regard du dispositif de l’émission et des interactions entre les participants (chroniqueurs, animateur, invités). » L’étude est disponible sur le site Les focus commuication et politique

Ce qui compte pour comprendre une émission de télé, c’est de savoir : quel est le dispositif qui est proposé ? Pour quel message ? Quel public ? Je crois qu’avec Cyril Hanouna, tout le monde est tombé dans le piège. Il y avait un vrai risque de voir à ce point se banaliser des idées et des personnalités d’extrême droite sur un plateau.

Claire Sécail

Selon ses calculs, Claire Sécail montre que le politique concerne 17% de l’émission. Cyril Hanouna s’octroyant un rôle d’animateur de la vie politique française. Pourtant raillé par une frange des médias, la chercheuse a pris au sérieux la posture de l’animateur de Touche pas à mon Poste (TPMP), dont la crédibilité s’est renforcée par l’intermédiaire de quelques membres du gouvernement (Marlène Schiappa, Jean-Michel Blanquer). Une émission qui s’inscrit dans une généalogie télévisuelle d’information et divertissement : Thierry Ardisson, Ciel, mon mardi ! un des modèles de Cyril Hanouna. Au départ, TPMP se consacrait à l’actualité des médias, mais depuis 2018/2019, et le mouvement des gilets jaunes, la part de sujets politiques a augmentée, jusqu’à l’invitation en 2013 de Jean Luc Mélenchon. Claire Sécail expose la manière dont l’animateur tente de créer une complicité, à travers la sympathie et l’humour.

Le terrain est bien préparé en amont du sondage (auquel ne participent que les spectateurs, donc soumis aux propos du plateau, rarement nuancés).

Glaudioman56 | Dans le tchat

Dans l’émission, le débat prend différentes formes : « un plateau avec une question explicitement politique ou un plateau non politique mais avec des invités qui vont parler de politique à un moment donné. » Claire Sécail pointe le problème du raisonnement binaire, puis la formulation du bandeau avec la question, enfin le sondage-maison sur Twitter, donnant l’impression d’un effet d’autorité. Réduisant une question à deux possibilités de réponses, Claire Sécail montre que ce procédé sert à masquer les échanges et des éclairages plus nuancés de la part des chroniqueurs ou des invités. Le débat n’est qu’une confrontation directe qui ne permet pas d’argumentaires modérés. L’émission devenant un échange relationnel, privilégiant l’émotion au détriment de la raison, la dépolitisation et le recours à la langue de bois lorsque l’on entre dans le vif des sujets. Tout cela dans le but de créer un mouvement d’opinion.

Le rôle des sondages est très important, parce que c’est ce qui vient légitimer la ligne éditoriale de l’émission.

Claire Sécail

A partir de son étude, Claire Sécail détaille la sociologie des spectateurs de TPMP. Sur Twitter, c’est une communauté très politisée, orientée souvent à l’extrême droite, « les réponses favorisent les idées d’Eric Zemmour (beaucoup de retweets) ». Un sondage Ifop (en 2021), fait état d’un public jeune (18-25 ans), actifs populaires (employés, salariés) ou inactifs non retraités. La chercheuse parle de « clientélisme gouvernemental » entre Cyril Hanouna et ses invités. L’émission, pensée comme un outil de communication, permet à l’animateur de cartographier son auditoire (quels sont les profils politiques ?). Cet usage « offre un bénéfice mutuel au gouvernement, qui a l’opportunité d’un contact relâché avec des populations dont il ne sera pas redevable ».

Au fil de son travail, Claire Sécail est interpellée par la surmédiatisation de l’extrême droite. Elle évoque le traitement de faveur d’Eric Zemmour. « Dans le buzz pour le candidat d’extrême droite, TPMP en faisait encore plus que les autres ». La chercheuse poursuit : « le pire, ce ne sont pas tant les chiffres, que le registre narratif, sans contradictoire ». Surtout l’émission déforme la réalité du candidat d’extrême droite : « victimisation (victime de la censure), l’idée de performances (produire des événements de campagne), banalisation,  dépolitisation. » Claire Sécail avertit : « il y a un danger à cette sur-représentation de l’extrême droite, dès lors que les spectateurs ne s’informent pas ailleurs. »

Pourquoi Marine Le Pen n’a pas le même traitement qu’Eric Zemmour ?

Liloo | Dans le tchat

Claire Sécail avance que Cyril Hanouna, anticipant les éventuelles défections de son électorat et de son entourage, a d’emblée disqualifié la candidate du RN. Cependant, après des appels sur les réseaux sociaux, pour revenir dans l’émission (fin septembre – début octobre), l’animateur reçoit à plusieurs reprises Julien Odoul et Jordan Bardella. La chercheuse déclare : « on assiste à un match des extrêmes. »

Il y a eu une collusion entre LFI et Hanouna, Raquel Garrido en est le meilleur exemple.

Aspsyrateur | Dans le tchat

David Dufresne demande alors à Claire Sécail : « quand on connaît le dispositif de l’émission, faut-il y aller ou pas ? Ou c’est injouable, le dispositif est plus fort que l’invité ? » 

Pour répondre, Claire Sécail revient sur l’émission Face à Baba où Jean Luc Mélenchon a compris qu’il était tombé dans un piège. Le fondateur de la France Insoumise « n’a pas assez pris en compte le dispositif et la façon dont celui-ci pourrait être détourné : Cyril Hanouna casse souvent les codes et ne respecte jamais le fil conducteur de son émission. » De même, lors de leurs venues sur le plateau de TPMP, les candidats LFI : David Guiraud et Julie Garnier n’ont pas pu avancer une seule idée. 

Quand on se prétend acteur et animateur de la vie politique, on se doit quand même de permettre à chacun de comprendre toutes les sensibilités politiques.

Claire Sécail

Suite à la publication de son étude, l’animateur a prononcé pour la première fois le mot extrême droite, ce qui n’apparaissait pas dans son vocable auparavant. A l’inverse, Cyril Hanouna utilisait tout le temps extrême gauche pour désigner une partie du spectre à gauche. Claire Sécail révèle également une bipolarisation de la pré-campagne : l’extrême droite contre Macron avec LFI en « idiot utile ». Un traitement, qui sous l’aspect du clash, profite à la majorité présidentielle.

Fascinant de rigueur, merci.

marcelpatulac_ci | Dans le tchat

Claire Sécail fait le portrait d’un présentateur très égocentré, prenant le pouls toutes les minutes de son audience. Son émission, motivée par le buzz et traitant les sujets politiques seulement en surface, dessert le débat. L’émission « donne à penser que les opinions ne reposent sur rien, or la chercheuse réplique : « les opinions reposent sur des faits et c’est l’élaboration et l’explicitation de données factuelles qui permettent de prendre position. » Néanmoins, Claire Sécail tempère : « en sociologie des médias, ce n’est pas parce que vous êtes exposés à un contenu que vous subissez une influence directe. L’opinion, elle se forge aussi beaucoup par tout le travail de socialisation autour de ces contenus. »

La pré-campagne (automne 2021) 26 janvier 2022
   
    Menée dans le cadre du groupe de travail Médias-Élections, cette étude porte sur le traitement de la campagne présidentielle dans les émissions de l’animateur-producteur de C8 Cyril Hanouna, en particulier sur la quotidienne Touche pas à mon poste (TPMP), à laquelle s’ajoute l’hebdomadaire Balance ton post (BTP) et les émissions ponctuelles préparées dans le cadre de la campagne électorale (Face à Baba…). L’objectif est de repérer la dynamique de la médiatisation de la campagne dans un programme de divertissement pouvant traiter de sujets politiques et de comprendre les modalités de traitement des enjeux de l’élection (candidats, thèmes…) au regard du dispositif de l’émission et des interactions entre les participants (chroniqueurs, animateur, invités).
    Nous présentons ici les résultats intermédiaires de cette étude portant sur la pré-campagne (période du 30 août au 16 décembre 2021)

    PLAN
        Objectifs de recherche et méthodologie
        Politisation d’une émission de divertissement
        L’extrême droite surmédiatisée
        La majorité présidentielle : un bénéfice mutuel
        Les figures de la gauche traditionnelle, de l’invisibilité au dénigrement
        Les Insoumis, rouage relationnel et fonctionnel
        La droite fantôme, en angle mort de la primaire LR 

https://lesfocusdulcp.wordpress.com/2022/01/26/lelection-presidentielle-2022-vue-par-cyril-hanouna-1-la-pre-campagne-auto

Claire Sécail Chargée de recherche CNRS au Cerlis / Université de Paris
2 commentaires
  1. Trrrrèèèès bien vu mais j aurais apprecié deux choses :
    1- la reference de l etude complete de Claire .
    2- un lien vers le gif “provocateur ” que Claire avait publié sur hanuna et que je recherche desesperement sur le net sans le trouver ! merci
    et merci a toute l equipe pour ce site !! alain..”gardien de la paix ” ?

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