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Alain Deneault #AuPoste

Alain Deneault: en guerre contre la médiocratie

A la sempiternelle question, Que faire?, le philosophe répond: «Faire que! Faire mal. Mal faire les choses, ne pas suivre les conseils officiels.» Dans une autre vie, sur un autre continent, on avait eu le bonheur côtoyer Alain Deneault. Depuis Montréal, il bataillait contre l’industrie extractiviste. Alain nous revient avec Faire que! (Lux éditeur), ouvrage lucide où il nous invite à explorer un nouveau mode d’engagement politique, la biorégion. Et nous somme de sortir de la sidération (et) de l’écoanxiété, pour mieux partir au combat (intellectuel). Attention, le bougre parle vite.

Face à une variation climatique d’une rapidité sans précédent, sortir de la sidération et de l’éco anxiété pour faire face aux enjeux écologiques et démocratiques paraît accablant et infaisable. Dans  son nouveau livre « Faire que », le philosophe canadien Alain Deneault soulève des concepts clés à la compréhension d’une alternative à l’écologie politique actuelle. Cet horizon dont il est question, c’est la « biorégion ». Alain Deneault, fervent combattant contre l’industrie extractiviste, critique sans concession du développement durable et de nos modes d’action actuels, nous livre sa vision du changement. Le tout à l’aide de grands gestes et d’un haut débit de parole.


L’extrême droite qui rafle la mise, partout. Les libertés fondamentales attaquées de toutes parts. Une gauche de gauche à reconstruire. Plus que jamais une presse réellement indépendante, et pas pareille, est nécessaire.

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Nihilisme libertarien à l’américaine

À la veille des élections américaines, une réflexion s’impose sur l’extrême-droite. Ce qui intéresse Deneault, en premier lieu, c’est d’analyser ce qui nous pousse à qualifier Donald Trump de « fasciste ». Cela passe par l’analyse des discours du candidat républicain et de l’emploi systématique de superlatifs, à l’instar de Jean-Marie Le Pen, dont les expressions catastrophistes ne touchent pas que les plus bêtes. Car dans la très belle société du spectacle, qui n’aurait pas envie de voir une telle clownerie sur la scène politique ?

Pour ce qui est de la France, l’extrême-droite se diviserait en trois catégories de personnes : les militants nostalgiques de Pétain et de l’Algérie française, les cyniques et les conformistes. Ces derniers, compatibles avec ces idées de plus en plus légitimées, y voient un objet de substitution à leur angoisse. Si le corps social va mal, virons simplement nos boucs émissaires préférés et tout ira mieux, comme le veut le concept freudien de déplacement et de concentration. Si nos sociétés tendent vers les idéologies d’extrême-droite, c’est bien parce qu’elles ne sont pas exigeantes intellectuellement. 

Éco-anxiété ou éco-angoisse? 

Dans la première partie de son livre, le philosophe distingue ces deux notions éminemment psychanalytiques en renvoyant d’une part l’anxiété à la crainte d’une chose spécifique, et d’autre part l’angoisse à un affect qui n’a pas d’objet. Tel est le cas de l’écologie politique qui selon lui n’a pas d’objet structurant la pensée et l’action, mais uniquement des notions substitutives qui ne fonctionnent pas, comme le capitalisme ou le développement durable.

Plutôt que de refouler cette angoisse ou de s’y complaire, il faudrait la convertir en une énergie agissante, à la fois lucide et joyeuse. L’éco-angoisse nous pousserait donc à contourner le problème en cherchant des substitutions, comme le font le développement durable (un bel oxymore !) et le modèle capitaliste extractiviste, dont les représentants technocrates prétendent qu’il « suffit de changer de source d’approvisionnement ». 

La difficulté est d’arriver à être mu par quelque objet virtuel, de pensée, sans garantie. Ce qui est  le contraire de l’optimisme qui a quelque chose de voisin étymologiquement avec l’optimal. L’optimiste, c’est le comptable, le mesquin […]. Au fond, l’enjeu est de se donner une structure de pensée et d’agir qui ne soit pas hors-sol mais qui soit lucide par rapport à l’envergure des problèmes.

Alain Deneault 

La transition… Quel rôle pour la gauche ? 

Mais alors que faire, face à une écologie politique qui malgré ses efforts de production d’objets de pensée, n’est qu’une accommodation au désastre ? Il faut faire mal. Et mal faire, c’est parfaire. Il faut lutter contre la médiocrité, c’est-à-dire ne pas rester dans des paramètres restreints, ne pas obéir à des règles tacites. Cet appel à l’anarchie ne se fait pourtant pas sans structuration. Comme le souligne Rancière, il y a une nécessaire dialectique entre l’anarchisme et l’autorité. En ce sens, Deneault perçoit l’écueil d’une certaine gauche qui est de s’extraire des choses plutôt que de s’affirmer comme quelque chose (on est « anti-capitaliste », « anarchiste », « décroissantiste », « insoumis »…). Approche qui mène au ressentiment, en laissant le pouvoir à l’autre de définir quelque chose pour ensuite s’inscrire en faux.

La gauche s’apparenterait à l’extrême-droite lorsqu’elle se positionne elle aussi comme un front. En prenant l’exemple de l’extrême-gauche américaine et de la « ventilation sociologique » des États-Unis, avec la mise en lumière de l’aspect composite du corps social, le philosophe craint que l’on oublie la nécessité d’une unité et d’une lutte commune. Sans oblitérer les distinctions entre les communautés, il ne faudrait pas sombrer dans l’incommunicable qui accentuerait les caricatures de ces mouvements sociétaux et servirait de repoussoir vers l’extrême-droite.

L’horizon biorégional

Lorsque les catastrophes naturelles comme les sécheresses, les incendies, les canicules ou les érosions se multiplieront, la mondialisation se contractera et la biorégion s’imposera comme alternative directe et incontournable. C’est ce qu’avance l’auteur de « Faire que » en prenant l’exemple très actuel des inondations à Valence, où une situation grave et l’absence d’aide gouvernementale poussent à l’auto-gestion. Lorsqu’on nous laisse crever, la seule chose à faire est de s’organiser et de manière autonome ! 

Je parle d’une situation de déréliction, où d’une manière générale et commune on sent qu’on est abandonné […]. On est laissé à soi-même, et c’est aussi vrai pour les chaînes d’approvisionnement. À Paris on ne s’en rend pas trop compte, mais quand on est éloigné des grands centres, on voit bien que l’approvisionnement ne se fait pas nécessairement de manière aussi fiable que jadis […]. À un moment on comprendra qu’il faut, là où on est, prendre conscience de la réalité territoriale qui est la sienne, et s’enquérir de la réalité des bassins versants, du climat, de la faune, de la flore, parce qu’on sera dépendant de ce territoire.

Alain Deneault 

Il définit la biorégion comme un projet solidaire, juste, démocratique et écologique, visant à prévenir des velléités autoritaires, violentes, racistes et à résister aux forces du capital. Lorsque nos supermarchés nous lâcheront, le dessein biorégional adviendra comme un objet clair et structurant qui renforcera notre détermination. Un tel système d’auto-gestion implique de s’inspirer des gens qui ont su vivre sans le capitalisme. C’est en cela que l’Afrique sera d’une grande aide à l’Occident, car elle lui apprendra comment cultiver, comment régler des différends, en somme, lui apprendre à se réorganiser. 

Être relié à sa terre 

Deneault affirme que dans cette perspective biorégionale, la terre est un sujet consubstantiel auquel on est lié émotionnellement. La notion de frontières elle-même est floue, car celles-ci se tracent selon les cours d’eau et les montagnes. La ligne biorégionale se trouve dans la vie et non dans les contours, et va de pair avec l’engagement et l’ancrage de chacun sur son territoire. C’est en cela que la biorégion diffère du municipalisme libertaire de Bookchin : ce dernier est soumis à un pouvoir autoritaire, la municipalité étant une entité fragile soumise aux grands partis et aux pouvoirs centralisés.

Avec le projet biorégional, le territoire est pensé en premier lieu et à partir de là sont créées les institutions locales. Le philosophe met en avant la nécessité de strates politiques autonomes, en s’inspirant du fonctionnement des sociétés autochtones. L’essentiel est de résister face aux forces extérieures, colonisatrices et destructrices qui ne voient le territoire que comme un site d’exploitation. Lorsque l’on aura assimilé ces concepts, alors « l’avenir est à nous », comme le dit la phrase finale de son livre. 

Cinq questions clés 

Comment le livre « Que faire » est-il structuré ? 

« Que faire » comporte trois parties principales : L’angoisse, La transition, et La Biorégion. Il comporte aussi un indexe qui recense tous les livres intitulés « Que Faire », question à laquelle l’auteur fait directement référence. 

Qu’est-ce que le biorégionalisme ? 

La biorégion est un territoire qui est délimité par sa géographie et ses écosystème et non par des organismes politiques. Le biorégionalisme est un mouvement localiste visant à ce que l’homme vive en harmonie avec son environnement naturel. 

Qu’est-ce que l’éco-anxiété ? 

C’est l’anxiété provoquée par le réchauffement climatique, la perte de la biodiversité et toute action humaine néfaste pour l’environnement, et les catastrophes naturelles à venir. Deneault considérant la pensée de l’effondrement climatique comme inouïe, il lui préfère le terme d’éco-angoisse, puisque l’angoisse se réfère à une émotion impensable, sans objet.

Qu’est-ce que le municipalisme libertaire de Bookchin ? 

Il désigne un système politique libertaire fondé sur une démocratie directe et structuré par une confédération de municipalités et de communes libres et autogérées. 

Pourquoi peut-on critiquer le développement durable ? 

Le développement durable est le développement de l’économie en prenant en compte les aspects social et environnemental. Il s’agit de maintenir notre système de production en prenant conscience des limites planétaires. Mais ce modèle est en parfait accord avec la croissance et le capitalisme, et reste en contradiction avec la perspective d’une société équitable et respectueuse de l’environnement.

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