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«Ce que j’ai vu, je dois le raconter»: parole d’Olivier Dubois, reporter captif d’Al-Qaïda au Sahel

Pendant presque deux ans, le journaliste Olivier Dubois (Libération, Jeune Afrique, Le Point…) a été l’otage de Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin, une filiale d’Al-Qaïda au Sahel. Dans un livre témoignage, il revient sur ces 711 jours de captivité, qui se sont transformés en une véritable enquête sur ses geôliers.

Ils m’ont dit : « on ne sait pas qui tu es, on va se voir»  

C’est une parole rare, habitée, au bord du gouffre et pourtant debout, que livre Olivier Dubois dans cet épisode d’« Horizon 21 ». Le journaliste, enlevé par un groupe affilié à Al-Qaïda au Mali, revient sur 711 jours de captivité, sur les raisons qui l’ont poussé à prendre le risque, et sur les failles de l’information dans les zones de guerre. Entre vertige intime et lucidité politique, le récit fait trembler les murs d’Au Poste. Une traversée entre ténèbres et lumière, où l’engagement journalistique devient une question de vie ou de mort.

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« Je voulais comprendre cette guerre dont personne ne parlait »

« Il y avait un conflit ouvert entre Al-Qaïda et l’État islamique au Sahel, et on n’en parlait pas », explique Olivier Dubois. Dès cette première phrase, on comprend qu’il n’est pas venu pour raconter un simple épisode de carrière. Le journaliste n’élude rien. Son choix de demander une interview à un cadre djihadiste – Abdallah Ag Albakaye, conseiller d’Iyad Ag Ghali – n’est pas une provocation. C’est une nécessité.

Pendant l’émission, le rythme des mots s’accorde au tempo du souvenir : lent, précis, parfois haletant. Olivier revient sur les mois qui ont précédé son enlèvement, ses échanges avec son fixeur, les tergiversations, les tests. Et enfin, ce jour du 8 avril 2021 à Gao. Le rendez-vous qu’il a accepté. « Ils ont dit qu’ils voulaient me rencontrer, parce qu’ils ne savaient pas qui j’étais. J’ai accepté. »

À ce moment-là, le tchat s’agite : « Il est fou ou héroïque ? » écrit Azraël. « Journalisme kamikaze ? » relance Marlène. On sent que le sujet dérange autant qu’il fascine. Olivier, lui, reste droit : « Je voulais leur poser dix questions. Je n’ai jamais pu. »

Le piège, l’ombre, les années volées

Ce jour-là, ce n’est pas une interview qui s’ouvre. C’est une prison sans murs. Olivier est capturé. Il ne reverra la liberté que deux ans plus tard.

« Dès que j’ai compris, je me suis dit : t’as merdé, mec. T’as été naïf. » Et pourtant, il ne s’enfonce pas dans l’autoflagellation. Ce qu’il raconte, c’est le quotidien d’un otage, mais aussi le parcours mental d’un homme contraint de se reconstruire en captivité. Les humiliations, les privations, les rares moments d’humanité. « Le plus dur, c’est l’attente. Et le silence. »

Un silence qui contraste brutalement avec le tumulte extérieur. Les gouvernements savent. Les familles espèrent. Les rédactions hésitent. Un journaliste du tchat, Vincent, glisse : « C’est une ligne rouge. Qu’aurions-nous fait à sa place ? » À ce moment-là, on ne peut qu’être d’accord avec lui : rien ne prépare à ça.

« J’ai refusé d’être une victime »

À sa libération, Olivier Dubois refuse le récit victimaire. Il publie Prisonnier du désert (Stock, 2024), un livre poignant et pudique. Il y consigne non pas l’horreur brute, mais la manière de rester vivant à l’intérieur de l’inhumain. « Je ne voulais pas faire un livre de haine. Ce serait un livre de mort. »

Il raconte à quel point les médias ont, à sa grande surprise, accueilli sa parole. Mais ce qui l’intéresse, ce n’est pas la promo. C’est le débat sur le terrain, la façon dont on informe aujourd’hui sur les zones grises du monde.

Et là encore, la colère affleure : « Pourquoi ne parle-t-on jamais de ces guerres oubliées, jusqu’à ce qu’un Occidental se fasse enlever ? »

« J’ai eu plus de visibilité en étant otage qu’en étant journaliste libre. » 
Olivier Dubois

De la solitude à la fraternité

Il y a dans cette émission un renversement. L’ancien otage devient celui qui interroge. Il secoue les certitudes, interroge les angles morts, demande pourquoi on oublie si vite le Sahel, les déplacés, les milliers de morts. « Ce conflit m’obsède toujours. C’est comme si j’étais resté là-bas. » Mais il y a aussi la tendresse. Pour ses proches. Pour les autres otages croisés dans le désert. « Dans certaines cellules, on se parlait avec des gestes. Une solidarité de silence. »

Ce moment, on le sent : il serre la gorge.

Le journaliste n’est pas un héros

« Ce que j’ai fait n’est pas héroïque. C’est du journalisme. » Ce refus de la posture, Olivier Dubois le martèle. Il veut rester fidèle à son métier, à son éthique, à cette conviction que chercher à comprendre n’est jamais une faute. Et face à l’emballement médiatique, il rappelle : « La vraie violence, c’est d’oublier les peuples qui vivent là-bas. Pas de poser des questions. »

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Pourquoi Olivier Dubois a-t-il pris un tel risque pour une interview à Gao ?

Parce qu’il estimait que ce conflit entre Al-Qaïda et l’EIGS méritait une enquête directe, et que personne ne s’y intéressait depuis le terrain.

Quelle est la part de responsabilité des rédactions dans le silence sur le Sahel ?

Olivier dénonce une forme d’indifférence sélective des médias occidentaux, qui n’envoient plus de reporters sur place, faute de budget ou par frilosité sécuritaire.

Quel est l’impact politique de la libération d’un otage occidental d ’Al-Qaïda comme Olivier Dubois ?

Elle met en lumière les jeux d’influence entre États, groupes armés et services secrets. Mais aussi l’hypocrisie d’un système qui ne bouge que sous pression.

Pourquoi le récit d’Olivier Dubois dérange autant ?

Parce qu’il révèle à quel point nos représentations du danger, du courage et de la guerre sont façonnées par une distance confortable avec le réel.

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Cet article est le fruit d’un travail humain, d’une retranscription automatique de l’émission par notre AuBotPoste revue et corrigée par Rolland Grosso et la rédaction.

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